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rieur de la voiture. Je vous assure que je progresse de plus en plus vite.

Lauren s'assit près de lui. Un silence s'installa, elle regardait par la fenêtre. Arthur filait dans la nuit. Il la questionna sur l'attitude à adopter une fois rendus à l'hôpital. Elle lui proposa de se faire passer pour un cousin du Mexique qui venant d'apprendre la nouvelle avait roulé toute la journée et toute la nuit. Il allait prendre un avion pour l'Angleterre au petit matin et ne reviendrait pas avant six mois, d'où l'impérieuse nécessité de déroger au règlement et de lui accorder l'autorisation de voir sa cousine adorée, en dépit de l'heure tardive. Il ne se trouvait pas franchement le type sud-américain, et envisagea que son bobard ne marche pas.

Elle le trouva fort négatif et suggéra que si tel devait être le cas ils reviendraient le lendemain. Il ne fallait pas qu'il s'inquiète. C'était plutôt son imagination à elle qui l'inquiétait. La Saab pénétra dans l'enceinte du complexe hospitalier. Elle le fit tourner à droite, puis prendre la deuxième allée sur sa gauche et l'invita à se garer juste derrière le pin argenté. Une fois garés, elle lui montra du bout du doigt la sonnette de nuit, lui précisant de ne pas sonner trop longtemps, cela les agaçait. « Qui ? »

demanda-t-il. « Les infirmières qui arrivent souvent du bout du couloir et qui ne peuvent pas se télé-

porter, réveillez-vous maintenant»... «J'aimerais bien », dit-il.

Arthur descendit de la voiture et sonna deux coups brefs. Une femme de petite taille, aux yeux cerclés de lunettes en écaille vint lui ouvrir. Elle entrebâilla la porte et demanda ce qu'il voulait. Il se débattit aussi bien qu'il le pouvait avec son histoire. L'infirmière lui fit savoir qu'il y avait un règlement, que si on se donnait la peine d'en faire un c'était certainement pour l'appliquer, et qu'il n'avait qu'à revenir demain, et retarder son départ.

Il supplia, invoqua l'exception qui confirme toutes les règles, s'apprêta à se résigner, la mort dans l'âme, vit alors la nurse flancher, regarder sa montre et finir par lui dire. « Je dois faire ma tournée, sui-vez-moi, ne faites pas un bruit, ne touchez à rien et dans quinze minutes vous êtes dehors. » Il prit sa main et la baisa en guise de remerciements. « Vous êtes tous comme ça au Mexique ? » questionna-t-elle en esquissant un sourire. Elle le laissa pénétrer dans l'enceinte du pavillon, l'invitant à la suivre.

Ils se rendirent aux ascenseurs et montèrent directement au cinquième étage.

- Je vous emmène dans la chambre, je fais ma tournée, et je passe vous rechercher. Vous ne tou-cherez à rien.

Elle poussa la porte du 505, la pièce était dans la pénombre. Une femme allongée sur un lit, éclairée par une simple veilleuse semblait dormir d'un sommeil profond. Depuis l'entrée, Arthur ne pouvait pas distinguer les traits du visage qui reposait.

L'infirmière parla à voix feutrée.

- Je laisse ouvert, entrez, elle ne risque pas de se réveiller, mais faites attention aux mots que vous prononcerez près d'elle, on ne sait jamais avec les patients dans le coma. C'est en tout cas ce que disent les médecins, moi ce que j'en dis c'est autre chose.

Arthur pénétra à pas de loup. Lauren était debout près de la fenêtre et le pria de la rejoindre : « Avan-cez, je ne vais pas vous mordre. » Il ne cessait de se demander ce qu'il faisait là. Il s'approcha du lit et baissa les yeux. La ressemblance était saisissante.

La femme inerte était plus pâle que son sosie qui lui souriait, mais hormis ce détail leurs traits étaient identiques. Il fit alors un pas en arrière.

- C'est impossible, vous êtes sa sœur jumelle ?

- Vous êtes désespérant ! Je n'ai pas de sœur.

C'est moi, allongée là, c'est seulement moi, aidez-moi et essayez d'admettre l'inadmissible. Il n'y a pas de trucage et vous ne dormez pas. Arthur, je n'ai que vous, il faut me croire, vous ne pouvez pas me tourner le dos. J'ai besoin de votre aide, vous êtes la seule personne sur cette terre à qui je puisse parler depuis six mois, le seul être humain qui sente ma présence et qui m'entende.

- Pourquoi moi ?

- Je n'en ai pas la moindre idée, il n'y a rien de cohérent dans tout cela.

- « Tout cela » est assez effrayant.

- Vous croyez que je n'ai pas peur ?

De la peur, elle en avait à revendre. C'était son propre corps qu'elle voyait se flétrir comme un légume un peu plus chaque jour, allongé avec une sonde urinaire et une perfusion pour être alimenté.

Elle n'avait aucune réponse aux questions qu'il se posait et qu'elle se posait tous les jours depuis l'accident. « J'ai des interrogations que vous ne sup-posez pas. » Le regard triste, elle lui fit part de ses doutes, de ses frayeurs : pendant combien de temps cette énigme durerait? Pourrait-elle revivre ne serait-ce que quelques jours la vie d'une femme normale, marchant sur ses deux jambes, serrant les gens qu'elle aime dans ses bras ? Pourquoi avait-elle donné toutes ces années à faire des études de médecine si c'était pour finir comme cela ? Combien de jours avant que son cœur ne lâche ? Elle se voyait mourir, et en avait une peur bleue. « Je suis un fantôme humain, Arthur. » Il baissa les yeux en évitant les siens.

- Pour mourir, il faut partir, et vous êtes encore là. Venez, nous rentrons, je suis fatigué et vous aussi. Je vous ramène.

Il passa son bras autour de son épaule et la serra contre lui, comme pour la consoler. En se retournant, il se trouva face à l'infirmière qui le dévisageait avec étonnement.

- Vous avez une crampe ?

- Non, pourquoi ?

- Votre bras en l'air là, avec la main fermée, ce n'est pas une crampe ?

Arthur lâcha brusquement l'épaule de Lauren et ramena son bras le long de son corps.

- Vous ne la voyez pas, hein ? demanda-t-il à l'infirmière.

- Je ne vois pas qui ?

- Personne !

- Vous voulez vous reposer avant de repartir, vous m'avez l'air tout bizarre tout à coup ?

L'infirmière voulut le réconforter, cela faisait toujours un choc, « c'était normal », « ça passerait ».

Arthur répondit en parlant très lentement comme s'il avait perdu ses mots et les cherchait encore :

« Non, tout va bien, je vais m'en aller. » Elle s'inquiéta de savoir s'il retrouverait son chemin.

Reprenant ses esprits, il la rassura, la sortie était au bout du couloir.

- Alors je vous laisse ici, j'ai encore du travail dans la chambre d'à côté, il faut que je change la literie, un petit accident.

Arthur la salua et s'engagea dans le couloir.

L'infirmière le vit relever son bras à l'horizontale, et maugréer : « Je vous crois, Lauren, je vous crois. » Elle fronça les sourcils et s'en retourna dans la pièce voisine. « Ah ! Il y en a, ça les secoue, y a pas à dire. » Ils s'engouffrèrent dans la cabine de l'ascenseur. Arthur avait les yeux baissés. Il ne disait rien, elle non plus. Ils quittèrent l'hôpital. Un vent du nord s'était engouffré dans la baie, amenant avec lui une pluie fine et ciselante, il faisait un froid de loup. Il releva le col de son manteau sur sa nuque et ouvrit la portière à Lauren. « On va se calmer un peu sur les effets passe-muraille et remettre les choses dans l'ordre, s'il vous plaît ! » Elle entra normalement dans la voiture et lui sourit.

Le retour se fit sans un mot prononcé ni par l'un ni par l'autre. Arthur se concentrait sur sa route, Lauren regardait les nuages par la fenêtre. Ce n'est qu'en arrivant au pied de la maison que sans se détourner du ciel elle se remit à parler :

- J'ai tellement aimé la nuit, pour ses silences, ses silhouettes sans ombre, ses regards que l'on ne croise pas le jour. Comme si deux mondes se par-tageaient la ville sans se connaître, sans imaginer la réciprocité de l'existence de l'autre. Des tas d'êtres humains apparaissent au crépuscule et disparaissent à l'aube. On ne sait pas où ils vont. Il n'y avait que nous à l'hôpital, pour les connaître.