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— Je le crois, Excellence. (Et sur un ton plus bas :) Nous… hem… nous ne voulons pas d’un autre SRAS…

— Vous êtes certain qu’il n’existe pas d’autre solution ?

— Il ne s’agit pas du H5N1 ordinaire, dit Li. Cette variante se transmet directement d’un individu à un autre. Elle est extrêmement contagieuse.

— N’est-il pas possible d’établir simplement un cordon sanitaire autour de la zone ?

Li se pencha en arrière dans son fauteuil et contempla par la fenêtre les enseignes au néon de Pékin.

— Le périmètre est trop important, avec trop de cols de montagne. Nous ne pourrions jamais être sûrs que les gens n’en sortent pas. Il nous faudrait un dispositif aussi infranchissable que la Grande Muraille, et nous ne pourrions pas le mettre en place à temps.

À cet instant, la voix du Président – si assurée à la télévision – n’était plus que celle d’un vieillard.

— Quel est le… comment dites-vous, déjà ? Quel est le taux de mortalité pour ce virus ?

— Élevé.

— C’est-à-dire ?

— Quatre-vingt-dix pour cent, au minimum.

— Ainsi donc, la plupart de ces gens mourront de toute façon ?

Et c’était l’argument majeur, la seule chose qui empêchait Li de s’étouffer dans sa propre bile.

— Oui.

— Dix mille…

— Pour protéger plus d’un milliard de Chinois… et beaucoup plus encore à l’étranger, dit Li.

Le Président resta silencieux un moment, et puis, comme s’il se parlait à lui-même, il dit à voix basse.

— En comparaison, le 4 juin aura été une aimable plaisanterie.

Le 4 juin 1989. Le jour du massacre des manifestants de la place Tian’anmen. Li ne savait pas s’il était censé réagir, mais comme le silence se prolongeait au-delà du supportable, il dit ce que tout bon membre du Parti se devait de due :

— Il ne s’est rien passé ce jour-là.

À sa grande surprise, le Président émit une sorte de reniflement sarcastique, puis il dit :

— Nous réussirons peut-être à contenir votre épidémie de grippe aviaire, docteur Quan, mais nous devons nous assurer qu’il n’y en aura pas d’autre dans la foulée. Li fut interloqué.

— Excellence ?

— Vous avez dit que nous ne pourrions pas dresser à temps quelque chose comme la Grande Muraille, et c’est vrai. Mais il existe une autre muraille, et celle-là, nous pouvons la renforcer…

6.

LiveJournal : La Zone de Calculatrix

Titre : Comme d’habitude…

Date : Mardi 18 septembre, 15 : 44 EST

Humeur : inquiétude

Localisation : là où Godzilla se balade

Musique : Lee Amodeo, Nothing To See Here, MoveAlong

Eh bien, Maman et moi, nous sommes encore à Tokyo. J’ai un pansement sur l’œil gauche, et on attend que ça dégonfle – je devrais dire « que l’œdème se résorbe » – pour qu’il n’y ait plus de pression anormale sur mon nerf optique. Demain, on retire le pansement et je pourrai enfin voir ! :D

J’ai essayé de garder le moral, mais cette attente me rend dingue. Et puis, mes meilleures blagues tombent complètement à plat, ici ! Comme tout ce traitement est gratuit, j’ai dit que j’avais été opérée à l’œil… mais ça n’a fait rire personne ! Apparemment, les Japonais n’ont pas le même sens de l’humour que moi…

Bon, voilà où j’en suis : on m’a attaché ce transmetteur au nerf optique de mon œil gauche. Quand il sera activé, il récupérera les signaux émis par ma rétine et il les enverra au petit ordinateur externe que je suis censée porter, disons, toute ma vie… Je l’ai appelé mon « œilPod », et ça, au moins, ça a fait rire le Dr Kuroda. L’œilPod va traiter ces signaux pour corriger les erreurs de codage, et transmettre cette version à l’implant, qui passera les informations au nerf optique pour qu’elles poursuivent leur voyage vers ce royaume inconnu qu’on appelle – allez-y, musique d’ambiance, tadaam – « Le Cerveau de Calculatrix » !

En parlant de cerveau, je me régale vraiment avec le livre dont j’ai déjà parlé : La Naissance de la conscience et patati et patata. Et voici donc notre Mot du Jour (marque déposée) : Commissurotomie. Non, rien à voir avec le vieux sage de la tribu des Jalupates dans Cats (qui reste ma comédie musicale préférée !). C’est l’opération qui consiste à trancher le corpus callosum, le faisceau de fibres nerveuses qui relie les deux hémisphères du cerveau – qui sont, bien sûr, les deux chambres de l’esprit bicaméral de Jaynes…

Bon, demain, nous verrons si mon opération a réussi. Les amis, envoyez-moi quelques commentaires encourageants – donnez-moi quelque chose à lire pendant que j’attends la minute de vérité…

[Et secretissime message à BB4 : regarde un peu tes mails, ma chérie !]

Le Dirigeant suprême et Président de la Chine reposa le combiné incrusté d’or sur son immense bureau en bois de cerisier. Il jeta un coup d’œil autour de lui, aux boiseries délicatement sculptées, aux magnifiques tapisseries et aux vitrines remplies d’objets précieux. Un bâton d’encens se consumait sur une table basse.

Il régnait un calme absolu dans la pièce. Finalement, à présent certain de sa décision, le Président se tourna dans son fauteuil en cuir rouge et appuya sur un bouton de l’intercom.

— Oui, Excellence ? fit aussitôt une voix de femme.

— Apportez-moi le dossier sur la Stratégie Changcheng. Il y eut une seconde d’hésitation, puis :

— Tout de suite, Excellence.

— Et faites en sorte que le ministre Zhang soit briefé sur la situation dans le Shanxi, puis dites-lui de venir me voir.

— Oui, Excellence.

Le Président se leva et s’approcha de la grande baie vitrée, dont les rideaux de velours rouge étaient retenus par des galons dorés. La fenêtre derrière son bureau donnait sur la Cité Interdite, mais celle-ci permettait de voir l’un des deux petits lacs artificiels entourés de jardins impeccablement entretenus à l’intérieur du complexe de Zhon-gnanhai. Quand on regardait dans cette direction, on arrivait presque à oublier qu’on était au centre de Pékin, à deux pas de la place Tian’anmen.

Il reporta son esprit en arrière, en 1989. Le gouvernement avait fait de son mieux pour maintenir l’ordre social, mais des agitateurs extérieurs avaient aggravé une situation déjà difficile en inondant le pays de fax comportant des informations totalement fausses, en particulier des articles du New York Times et des transcriptions des émissions de CNN.

Le Parti s’était rendu compte que des circonstances similaires pourraient se représenter un jour, nécessitant de protéger les citoyens contre le déferlement de propagande étrangère… et c’est ainsi qu’avait été conçue la Stratégie Changcheng. Beaucoup plus ambitieuse que le Projet du Bouclier d’Or, déjà en place depuis de nombreuses années, Changcheng n’avait jamais été encore complètement activée, mais il n’y avait aucun doute qu’elle s’imposait maintenant. Il s’adresserait à la nation pour lui parler de la crise du Shanxi dans les termes qui convenaient, et il ne permettrait pas à des étrangers de remettre aussitôt en question ses déclarations. Il ne pouvait pas prendre le risque que les citoyens réagissent par la violence ou la panique.

La porte de son bureau s’ouvrit. Il se retourna et vit sa secrétaire – jeune, belle, parfaite – faire le long chemin pour s’approcher, tenant à la main un épais dossier à la couverture noire.