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De l’Âne et du Cheval.

Un Cheval couvert d’une riche housse, allait trouver son Maître à la guerre. Un Âne le vit passer; alors il ne peut s’empêcher de soupirer, et d’envier le bonheur de l’autre. Suis-moi, lui dit le Cheval qui s’en était aperçu, et tu partageras la gloire dont je vais me couvrir. Le Baudet ne se le fit pas dire deux fois et le suivit. Il arrive au camp; et d’abord soldats, armes, pavillons, le bruit des tambours, le font tressaillir d’aise. Mais quelques jours après, lorsqu’il vit le Cheval obligé de porter son Maître dans la mêlée, au risque de mille coups, il sentit diminuer sa joie, et pensa à ce qu’il avait quitté. Un moment après il baissa les oreilles, et tourna le dos. Puis, malgré tout ce que l’autre put lui dire pour l’engager à rester, il courut au grand trot reprendre le chemin du moulin.

Du Paon et de la Pie.

Un jour les Oiseaux s’assemblèrent à dessein de nommer entr’eux un roi, qui fût capable de les gouverner. Chaque Oiseau, pour se concilier les suffrages de l’assemblée, fit valoir tout autant qu’il le put les avantages qu’il avait reçus de la nature. L’Aigle parla de sa force, le Coq de son courage, le Perroquet de sa mémoire, et la Pie de son esprit. Mais ce fut en vain que les uns et les autres vantèrent à la diète leurs bonnes qualités. On n’y fit pas la moindre attention; au contraire, le récit qu’ils en firent ennuya. Là-dessus le Paon vint à son tour étaler sa belle queue. Dès qu’il parut, les Oiseaux, charmés de la bigarrure de son plumage, lui donnèrent leurs voix; de sorte que sans vouloir écouter les remontrances de la Pie, qui soutenait que ce Paon n’avait point d’autre mérite que celui de sa queue, ils lui rendirent hommage, et sur le champ le proclamèrent roi.

Du Dauphin qui porte un Singe.

Un Dauphin côtoyait de fort près en nageant le rivage de la mer. – Bon, dit un Singe qui l’aperçut, voici un moyen pour voir la pleine mer tout à mon aise. Je ne l’ai jamais vue, et ainsi il faut que je me contente. – Cela dit, il s’approche du rivage, ensuite il s’élance, et retombe sur le dos du poisson. Celui-ci qui aime l’Homme, crut qu’il en portait un, et mena le Singe assez loin. Là-dessus, ce dernier, charmé de voguer sur l’Océan, jette un cri de joie. À ce cri, l’autre lève la tête, envisage le Singe, et le reconnaît. Le Dauphin fit sauter sa charge en l’air d’un coup de sa queue, et se replonge aussitôt au fond de la mer.

Du Berger et du Louveteau.

Un Berger trouva un Louveteau que la Louve avait abandonné; il le prit et l’emporta dans sa cabane; là, il le nourrit, et l’éleva parmi les Chiens qui gardaient son troupeau. Il aurait beaucoup mieux fait de l’assommer, car le Louveteau, qui d’abord n’avait fait aucun mal tant qu’il s’était senti faible, ne fut pas plutôt Loup, qu’après avoir étranglé les Chiens, pendant que le Berger dormait, il courut se jeter sur les Brebis, et les mit toutes en pièces.

Du Serpent conduit par sa queue.

Un jour le Serpent vit sa queue s’élever contre sa tête. – Quel orgueil! disait la première à l’autre, de s’imaginer, comme vous faites, que je ne pourrais pas vous mener aussi bien que vous me menez; comme si mon jugement était fort inférieur au vôtre? Il y a assez de temps, ce me semble, que je vous suis, suivez-moi maintenant à votre tour, et vous verrez si tout n’en ira pas beaucoup mieux. – Cela dit, elle tire la tête et rebrousse chemin, heurte tout ce qui se trouve sur son passage; ici se froisse contre une pierre; là trouve des ronces qui la déchirent; puis un peu plus loin va se jeter dans un trou. Elle n’eut pas fait vingt pas, que tout le Serpent fut en très-mauvais état. Alors elle se laissa gouverner, et convint, en suivant la tête comme à l’ordinaire, que tout était bien mieux conduit par elle que par la queue.

De Jupiter, d’Apollon et de Momus.

Prêtez-moi pour un moment votre arc, dit un jour Jupiter à Apollon, je veux vous montrer que j’en sais tirer, et même plus juste que vous. Voyez-vous ce chêne planté sur la cime de l’Olympe? je veux que la flèche que je vais décocher aille droit au milieu du tronc de l’arbre. Cela fait, vous tâcherez d’en faire autant, et qu’après cela Momus nomme le plus adroit de nous deux. Disant cela, il prend l’arc d’Apollon, et le bande. Le trait part. Mais au lieu d’aller droit, il s’écarte, rase le visage du juge, et va se briser contre des rochers, à cent pas à côté du but. Maître des dieux, dit Momus en se levant tout effrayé du danger qu’il venait de courir, j’ignore si les coups d’Apollon sont plus justes, mais ce que je sais de certain, c’est qu’ils ne m’ont jamais donné la peur que le vôtre vient de me causer. Ainsi, croyez-moi, reprenez votre foudre, et vous, seigneur Apollon, votre arc, et tout n’en sera que mieux. Cela dit, sans vouloir ni s’expliquer davantage, ni prendre garde au coup de l’autre, il se retira, et de cette manière laissa, par ménagement pour Jupiter, la gageure indécise.

Du Boeuf et de la Vache.

Un Boeuf suait à tirer la charrue sur un terrain fort pierreux. Une Vache en riait. – Pauvre malheureux, lui criait-elle, je ne doute point que tu n’envies cent fois le jour mon sort. Avoue que tu voudrais te voir nourri et chéri comme je le suis sans essuyer la moindre fatigue. – Comme elle parlait, un sacrificateur arrive, et lui fait prendre le chemin du temple pour la conduire à l’autel, et là l’immoler à son dieu. – Orgueilleuse, lui dit alors le Boeuf, ton sort te semble-t-il maintenant si digne d’envie? il est vrai que je viens de souhaiter d’être à ta place; mais confesse à ton tour, que tu voudrais bien te voir à présent à la mienne. -

Du Renard qui a perdu sa queue.

Un Renard tomba dans un piège, et s’en retira, mais ce ne fut qu’après y avoir laissé sa queue pour gage. Il en était au désespoir; car le moyen de se montrer aux autres ainsi écourté, sans exciter leurs risées? Pour s’en garantir, que fait-il? Il se met en tête d’avoir des compagnons; ensuite il assemble les Renards, leur conseille en ami, disait-il, de se défaire de leurs queues; elles embarrassaient beaucoup plus qu’elles n’ornaient; ce n’était qu’un poids fort superflu. En un mot, une queue ne servait, à l’entendre, qu’à balayer les chemins. Il eut beau le remontrer, on le hua dans toute l’assemblée. – Ami, lui dit un vieux Renard, j’ignore ce qu’on pourrait gagner à se passer d’une queue; mais ce que je sais certainement, c’est que tu ne m’en aurais jamais fait observer l’inutilité, si tu avais encore la tienne. -

Du Vigneron et de ses Enfants.

Un Vigneron se sentit proche de sa fin. Alors il appela ses Enfants: – Mes Enfants, leur dit-il, je ne veux point mourir sans vous révéler un secret que je vous ai tenu caché jusqu’à présent, pour certaines raisons. Apprenez que j’ai enfoui un trésor dans ma vigne: lorsque je ne serai plus, et que vous m’aurez rendu les derniers devoirs, ne manquez pas d’y fouiller, et vous le trouverez. – Le bon Homme mort, les Enfants coururent à la vigne, et retournèrent le champ de l’un à l’autre bout; mais ils eurent beau fouiller et refouiller, ils n’y trouvèrent rien de ce que le Père leur avait fait espérer. Alors ils crurent qu’il les avait trompés; mais ils reconnurent bientôt qu’il ne leur avait rien dit que de véritable. Le champ ainsi retourné devint si fécond, que la vigne leur rapporta, pendant plusieurs années, le triple de ce qu’elle avait accoutumé de produire.