Выбрать главу

— Ca suffit, Daneel. Comment savez-vous tout cela ?

— Ce n’est qu’une partie de la documentation dont on m’a pourvu sur Aurore, avant que je parte, dit Daneel doucement.

— Jehoshaphat ! Et qui s’occupe de tout cet ensemble ? dit-il, en désignant la pièce d’un geste large.

— Il y a un grand nombre de robots domestiques : ils ont été mis à votre service et veilleront à votre confort.

— Mais je n’ai pas besoin d’autant de choses, dit Baley.

Il éprouvait un désir violent de s’asseoir et de ne plus bouger. Il en avait assez de voir des chambres, des pièces, des salles…

— Nous pouvons ne demeurer que dans une seule pièce, si tel est votre plaisir, Elijah. C’est une possibilité qui a été envisagée dès le début. Néanmoins, les mœurs solariennes étant ce qu’elles sont, on a jugé plus sage de faire construire cette maison dans…

— Construire, dit Baley suffoqué. Vous voulez dire que cette maison a spécialement été construite pour moi ? Avec tout ce qu’elle comporte ?

— Dans une économie complètement automatisée par les robots…

— Oui, oui, je sais ce que vous allez dire. Et qu’en feront-ils de ce palais quand l’affaire sera close ?

— Je pense qu’ils le démoliront complètement.

Baley se pinça les lèvres. Bien sûr : on le démolit complètement. On construit un édifice somptueux pour l’usage d’un seul Terrien, et puis on détruit totalement ce qu’il a touché. Il faut aseptiser le sol où cette maison s’est dressée et vaporiser d’antiseptiques l’air même qu’il a respiré. Les Spaciens pouvaient paraître des gens et des esprits forts, mais, eux aussi, ils avaient leurs craintes stupides.

Daneel semblait lire dans son esprit, ou du moins déchiffrer ses mimiques, car il dit :

— Il peut vous venir à l’esprit, Elijah, que c’est pour éviter la contagion qu’ils détruiront cette maison. Si c’est là ce que vous pensez, je vous suggère de ne pas vous inquiéter à ce propos. La crainte qu’ils éprouvent vis-à-vis des maladies n’est pas encore aussi vive. C’est simplement que, pour eux, l’effort nécessité par la construction de cette maison est tellement infime, et l’énergie perdue à la démolir leur paraît aussi mince. Et, selon les lois, Elijah, on n’a pas le droit de laisser cette maison debout. Elle est située sur le domaine de Hannis Gruer, et il n’y a légalement qu’une seule habitation par domaine : celle du propriétaire Il a fallu une dispense spéciale pour construire celle-ci, dans un but parfaitement défini : nous loger pendant une période de temps déterminée, qui est celle dont nous aurons besoin pour accomplir notre mission..

— Qui est cet Hannis Gruer ? demanda Baley.

— Le chef de la Sécurité Solarienne. Nous devons le contacter à notre arrivée.

— Vraiment ! Jehoshaphat ! Daneel, quand est-ce qu’enfin je vais pouvoir apprendre quelque chose de cette histoire insensée ? J’évolue dans le noir le plus complet, et je n’aime pas ça. Je ferais aussi bien de regagner la Terre, je ferais même mieux…

Il sentit qu’il se montait, sous l’effet de la colère, et s’arrêta net ; Daneel n’avait pas bronché et attendait simplement l’instant de pouvoir parler :

— Je regrette que tout cela vous ait agacé. Mes connaissances générales sur la vie à Solaria semblent plus complètes que les vôtres, mais, quant au meurtre, je n’en sais pas plus que vous. C’est l’inspecteur Gruer qui nous dira ce que nous devons savoir. Le gouvernement solarien en a ainsi décidé.

— Eh bien, voyons ce Gruer. Est-ce loin d’ici ?

Baley appréhendait cette idée d’avoir encore à se déplacer au-dehors, et le spasme se faisait sentir de nouveau dans sa poitrine.

Daneel dit :

— Nous n’avons pas besoin de nous déplacer, Elijah. L’inspecteur Gruer nous attend dans le salon de conversation.

— Ah ! parce qu’il y a aussi un salon de conversation, murmura Baley sardonique.

Puis à haute voix :

— Il nous attend ? Maintenant ?

— Je pense que oui.

— Eh bien ! allons-y donc, Daneel.

Hannis Gruer était chauve, et ce, sans restriction. Il n’y avait pas même de frange de cheveux sur les côtés du crâne : une véritable boule de billard. Baley avala sa salive avec difficulté et essaya, par politesse, de ne pas regarder ce crâne, mais ne put s’en empêcher.

Sur Terre, on avait coutume de considérer les Spaciens selon leurs propres idées : ils étaient indiscutablement les rois de la Galaxie, grands, la peau et les cheveux couleur bronze, beaux, imposants, distants : des aristocrates. Bref, tout ce qu’était Daneel Olivaw, mais avec, en plus, le fait d’être des humains. Et les Spaciens que l’on envoyait sur la Terre avaient souvent cet aspect ; peut-être, d’ailleurs, était-ce la raison pour laquelle on les choisissait.

Mais là, le Spacien qu’il avait en face de lui, eût par son physique, facilement passé pour un Terrien. Il était chauve ; par surcroît, son nez était un peu de travers ; pas beaucoup certes, mais sur un Spacien, la plus légère dissymétrie paraissait une anomalie.

— Bonsoir, monsieur, dit Baley. Excusez-moi si nous vous avons fait attendre.

La politesse n’a jamais fait de mal, surtout vis-à-vis de gens avec qui il va vous falloir travailler.

Il eut un instant l’idée de traverser toute la pièce (si ridiculement vaste) et de lui tendre la main pour le saluer. Mais c’était là une tentation facile à vaincre. Un Spacien jamais n’accepterait une telle salutation : une main infestée de microbes terrestres.

Gruer était assis, l’air grave, aussi loin de Baley qu’il lui était possible, les mains cachées par ses longues manches, et ayant probablement inséré des filtres dans ses narines avant l’entrevue, quoique Baley n’ait pu les distinguer. Il lui parut même que Gruer regardait Daneel d’un air de désapprobation comme pour dire : « Vous êtes un étrange Spacien pour vous tenir si près d’un Terrien. » Ce qui ne pouvait signifier qu’une chose : Gruer n’était pas au courant de la supercherie. Mais Baley s’aperçut alors, avec surprise, que Daneel se tenait à bonne distance, bien plus loin qu’il n’en avait coutume.

Evidemment, s’il était resté trop près, Gruer aurait pu trouver qu’une telle attitude était inconcevable. Et Daneel était bien décidé à passer pour un humain.

Gruer avait une voix amicale, agréable, mais il avait tendance à regarder furtivement Daneel, puis à regarder ailleurs pour y laisser revenir son regard.

— Je n’ai guère eu à attendre, dit-il. Soyez les bienvenus sur Solaria, messieurs. Faites comme chez vous.

— Merci bien, monsieur, répondit Baley.

Il se demandait si la courtoisie n’exigeait pas que ce fût Daneel, « Spacien », qui parlât pour eux deux, mais il rejeta cette éventualité avec force. Jehoshaphat ! C’était à lui, personnellement, qu’on avait fait appel pour cette enquête et Daneel n’était venu qu’ensuite. Dans les circonstances présentes, Baley se refusait à jouer les utilités au profit d’un véritable Spacien, à plus forte raison au profit d’un robot, même d’un robot comme Daneel.

Mais Daneel n’essaya même pas de s’assurer le monopole de la conversation, sans que Gruer en paraisse surpris ou gêné. Au contraire, il porta aussitôt son attention sur Baley, sans plus faire grand cas de Daneel.

— On ne vous a rien dit, inspecteur Baley, dit Gruer, au sujet de ce crime pour lequel nous avons fait appel à vos services. Je suppose que vous êtes impatient d’en apprendre davantage ?

Il secoua les bras pour remonter ses manches et se croisa les mains sur le ventre :

— Mais je vous en prie, asseyez-vous, messieurs.

Ce qu’ils firent, tandis que Baley répondait : « Nous sommes dévorés de curiosité », tout en remarquant que Gruer ne portait pas de gants pour protéger ses mains.