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Et de nouveau, une voix intérieure se désespérait :

« Je ne peux pas quitter la Terre. »

— Personne ne sait rien là-dessus. Personne sur Terre. Les Solariens ne nous ont rien dit. Ce sera votre travail là-bas de découvrir pourquoi ce meurtre est si important qu’il leur faille un Terrien pour résoudre ce problème. Ou plutôt ce ne sera là qu’une partie de votre travail.

Baley était assez désespéré pour oser demander :

— Et si je refuse ?

Il n’ignorait pas la réponse, évidemment. Il savait exactement ce que signifierait une rétrogradation pour lui, et plus encore pour sa famille.

Minnim ne parla pas de rétrogradation. Il dit doucement :

— Vous ne pouvez pas refuser, inspecteur ! Vous avez une tâche à remplir.

— Pour les Solariens ? Qu’ils aillent au diable !

— Pour nous, Baley, pour nous.

Minnim fit une pause, puis reprit :

— Vous connaissez la position de la Terre vis-à-vis des Spaciens. Je n’ai pas à y revenir.

Baley, comme n’importe quel Terrien, n’ignorait rien de la situation politique. Les Mondes Extérieurs, en dépit d’une population qui, à eux tous, était inférieure à celle de la Terre seule, possédaient un potentiel militaire peut-être cent fois plus important. Sur leurs planètes sous-peuplées, dont l’économie reposait sur l’emploi intensif de robots positroniques, la production énergétique par tête était des milliers de fois supérieure à celle de la Terre. Et c’était cette capacité de production d’énergie par chaque habitant qui conditionnait la puissance militaire, le standard de vie et tous ses à-côtés.

Minnim dit :

— L’un des facteurs qui contribuent à nous maintenir dans cette situation humiliante est le manque d’informations. Rien que cela. Aucun renseignement. Eux, il n’y a rien qu’ils ne sachent sur nous. Grands Dieux ! Avec le nombre de missions diplomatiques ou autres qu’ils expédient sur Terre ! Mais nous, que savons-nous d’autre que ce qu’ils ont bien voulu nous dire ? Il n’y a pas un seul Terrien qui ait jamais mis le pied sur l’un des Mondes Extérieurs. Vous, enfin, vous allez pouvoir le faire.

— Mais, je ne peux… commença Baley.

— Vous allez le faire, répéta Minnim. Vous allez vous trouver dans une position unique : sur Solaria, à leur propre demande, poursuivant une enquête qu’ils vous auront confiée. A votre retour, vous ramènerez des quantités de renseignements utiles à la Terre.

Baley fixa un regard noir sur le sous-secrétaire :

— Si je comprends bien, je pars là-bas espionner au profit de la Terre.

— Il n’est pas question d’espionnage, voyons. Vous n’aurez rien d’autre à faire que ce qu’ils vous demanderont de faire. Seulement, gardez l’esprit lucide et les yeux bien ouverts. Observez. La Terre ne manquera pas de spécialistes qualifiés pour analyser et interpréter les observations que vous nous ramènerez.

— Il y aurait donc quelque chose dans l’air, monsieur, me semble-t-il, dit Baley.

— Qu’est-ce qui vous le fait croire ?

— L’envoi d’un Terrien sur un Monde Extérieur est une entreprise aléatoire : les Spaciens n’ont que mépris et méfiance à notre égard. Avec la meilleure volonté du monde, bien que je me rende là-bas à leur demande expresse, je puis être la cause d’incidents à l’échelle interstellaire. Le gouvernement de la Terre pouvait facilement se dispenser de déférer à leur requête. On pouvait prétendre que j’étais malade. Avec la peur pathologique qu’ils éprouvent pour les maladies, les Spaciens ne m’eussent accueilli sous aucun prétexte, de crainte d’une contagion possible.

— Suggérez-vous, dit Minnim, qu’il nous faille utiliser une telle échappatoire ?

— Non, bien sûr ! Si le gouvernement n’avait que ce seul motif de me détacher, quelqu’un aurait déjà pensé à cette ruse, on aurait découvert une réponse évasive encore plus subtile, sans mon avis. Il s’ensuit donc que ce rôle d’espion est le point crucial. S’il en est ainsi, pour justifier de pareils risques, je me refuse à croire qu’il s’agisse tout simplement d’observer tout ce qu’on me laissera voir.

Baley s’attendait à un éclat. Il l’aurait accueilli presque avec joie, comme un soulagement.

Mais Minnim se contenta d’un sourire glacial, en disant :

— Vous aimez aller au fond des choses, sans vous laisser berner par les apparences, n’est-ce pas ? Après tout, je n’en attendais pas moins de vous.

Le Sous-secrétaire se pencha par-dessus son bureau, les yeux dans ceux de Baley :

— Bien ! Voici donc des renseignements dont vous ne devrez parler à quiconque, pas même à d’autres fonctionnaires haut placés. Nos sociologues ont atteint plusieurs conclusions sur l’état actuel de la situation galactique. D’un côté, les Mondes Extérieurs, sous-peuplés, hyper-robotisés, puissants, dont les habitants jouissent d’une parfaite santé et d’une longévité extrêmement poussée. De l’autre, nous, surpeuplés, sous-développés du point de vue technologique, tôt décédés, à leur merci. C’est là une situation particulièrement instable.

— Bah ! Tout passe avec le temps.

— Avec le temps, cette instabilité va s’accentuer. Le maximum de temps dont nous disposons avant le conflit est au mieux un siècle. Bien sûr, tout cela se passera après nous ; nous n’y serons plus ; nos enfants, eux, seront au plein cœur de l’affaire. Car nous deviendrons forcément un danger trop tangible pour que les Mondes Extérieurs nous laissent vivre. Il y a déjà huit milliards de Terriens à haïr les Spaciens.

— Ils nous ont relégués hors de la Galaxie ; ils traitent toutes nos affaires de commerce extérieur à leur prix, nous imposent un système de gouvernement, au lieu de nous laisser faire à notre gré, et en plus ils n’ont que mépris pour nous. Ils désirent peut-être notre gratitude, non !

— Tout ceci est exact et un schéma s’en dégage. Révolte, d’où répression, d’où re-révolte, nouvelle répression, etc., et, en l’espace d’un siècle, la Terre ne figurera plus parmi les mondes habités. Tout au moins, voilà ce que prétendent les sociologues.

Baley s’agita, mal à l’aise. On ne pouvait mettre en doute la science des experts ni la logique des ordinateurs.

— Mais alors, qu’attendez-vous de moi, si tout est comme vous venez de le dire ?

— Rapportez-nous des renseignements, des renseignements précis ! Le point noir dans toute prédiction sociologique est une information insuffisante. Et nous, nous manquons de tous renseignements sur les Spaciens. Nous en avons été réduits à des extrapolations hasardeuses, à partir de ceux qui sont venus sur Terre. Nous avons dû nous fonder sur ce qu’ils voulaient bien nous dire de la vie sur leurs planètes. Aussi, y a-t-il une chose que nous commençons à connaître : leurs points forts, et quels points forts ! Leurs robots, leur faible densité humaine, leur longévité. Mais le Diable y serait s’ils n’avaient pas de points faibles. Y a-t-il un, ou des facteurs qui, si seulement nous en avions connaissance, pourraient entraver la certitude sociologique de notre anéantissement, quelque chose qui déciderait de notre manière d’agir et améliorerait les chances de survie de la Terre ?

— Est-ce qu’un sociologue ne serait pas plus qualifié que moi, monsieur ?

Minnim hocha la tête :

— Si nous pouvions envoyer là-bas qui nous voulons, il y a dix ans que quelqu’un serait sur place ; nous l’aurions envoyé dès que nous avons abouti à de telles conclusions. Vous êtes la première chance que nous ayons d’avoir un agent là-bas. Ils réclament un enquêteur : nous ne pouvions demander mieux. Un détective est un peu sociologue, croyez-moi ; un sociologue empirique et terre à terre, mais c’en est un tout de même, sinon ce ne serait pas un bon enquêteur. Et tout votre dossier prouve que vous en êtes un bon.