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— Nos manies !

Baley fronça les sourcils, offensé. Ce n’était pas là un mot qu’il appréciait lorsqu’on le lui appliquait.

— Eh bien ! par exemple, cette question du sas externe. Je suis au courant de l’aversion que vous éprouvez pour les grands espaces libres. C’est une conséquence de votre éducation à l’intérieur des villes de la Terre.

Peut-être était-ce dû à ce mot de manie appliqué aux Terriens, mais Baley eut l’impression qu’il devait contre-attaquer ou perdre la face devant une machine. Aussi, changea-t-il brusquement de sujet – ou peut-être était-ce simplement l’expérience de toute sa vie passée qui lui interdisait d’ignorer un illogisme.

— Il y avait un robot à bord, dit-il, qui s’occupait de mon bien-être. Un robot (et là il mit quelque malice) qui a l’apparence d’un robot. Le connaissez-vous ?

— Je lui ai parlé avant de monter à bord.

— Comment s’appelle-t-il ? Comment puis-je entrer en contact avec lui ?

— C’est RX-24-75. Il est normal sur Solaria de n’appeler les robots que par leur matricule de série.

Les yeux calmes de Daneel se portèrent sur le tableau de contrôle près de la porte.

— Ce bouton doit l’appeler.

Baley appuya du doigt et, moins d’une minute plus tard, le robot, tout au moins celui à l’apparence de robot, entra.

Baley dit :

— Vous êtes RX-24-75 ?

— Oui, monsieur.

— Vous m’avez dit, tout à l’heure, que quelqu’un allait venir pour me faire sortir de L’astronef et m’escorter jusqu’à mon domicile. Est-ce celui dont vous parliez ? dit Baley en désignant Daneel.

Les deux robots se regardèrent et RX-24-75 affirma :

— Ses papiers confirment qu’il est bien la personne qui doit vous rencontrer.

— Vous avait-on prévenu d’autre chose avant son arrivée ? De son aspect, par exemple ?

— Non, monsieur. Je ne savais rien d’autre que son nom.

— Qui vous avait prévenu ?

— Le capitaine de l’astronef, monsieur.

— Un Solarien, je crois ?

— Oui, monsieur.

Baley s’humecta les lèvres. La prochaine question serait décisive :

— Quel nom devait porter celui que vos instructions désignaient devant me rencontrer ?

— Daneel Olivaw, monsieur, répondit le robot.

— C’est bien, mon garçon. Vous pouvez disposer.

Après une courbette façon robot, et un rapide demi-tour, RX-24-75 sortit de la pièce.

Baley se retourna vers son collègue et, d’un ton pensif :

— Vous ne m’avez pas dit toute la vérité, Daneel.

— Qu’entendez-vous par là, Elijah ? demanda Daneel.

— Tout à l’heure, lorsque nous parlions, il m’est revenu à l’esprit quelque chose de curieux. Lorsque RX-24-75 m’a dit que quelqu’un viendrait me chercher, il déclara qu’un homme allait venir. Je m’en souviens très bien.

Daneel écoutait paisible, sans un mot. Baley reprit :

— Je me suis dit, lorsque je vous ai vu, que le robot avait fait erreur, ou bien que l’homme primitivement désigné avait été au dernier moment remplacé, par vous, sans que RX-24-75 ait été prévenu du changement. Mais vous m’avez entendu vérifier ce point : c’est bien vos papiers qui lui avaient été communiqués, c’était bien votre nom qui était marqué. Mais le nom marqué n’était pas tout à fait exactement le vôtre, Daneel, n’est-ce pas ?

— En effet, mon nom n’y figurait pas en entier, reconnut Daneel.

— Car votre nom exact n’est pas Daneel Olivaw, mais R Daneel Olivaw, n’est-ce pas ?

— C’est tout à fait cela, Elijah.

— J’en conclus donc que RX-24-75 n’a jamais été prévenu du fait que vous étiez un robot. On lui a laissé croire que vous étiez un homme, ce qui, en raison de votre physique, est parfaitement plausible.

— Il n’y a rien à reprendre à votre raisonnement.

— Continuons donc.

Baley commençait d’éprouver les premiers frissons d’une espèce de plaisir intuitif. Il était sur la piste de quelque chose. Ce pourrait bien ne pas être quelque chose d’important, mais c’était le genre de piste qu’il savait relever, le genre d’enquête où il excellait, au point qu’on fasse appel à lui de l’autre bout de l’Univers.

— Pourquoi, dit-il, chercherait-on à tromper un vulgaire robot ? Que lui importe, à lui, que vous soyez homme ou robot ? De toute façon, il obéira aux ordres. Une conclusion logique s’impose : d’une part, le capitaine solarien qui a prévenu le robot de votre arrivée, et, d’autre part, les fonctionnaires solariens qui donnèrent ces instructions au capitaine ignoraient tous votre qualité de robot. Comme je viens de vous le dire, j’en tire là une conclusion logique, mais peut-être n’est-ce pas la seule qu’on puisse en extraire. En tout cas, celle-ci est-elle valable ?

— A mon avis, oui.

— Parfait ! Maintenant, quelle est la raison de cette supercherie ? Le Dr Han Fastolfe, en recommandant votre coopération, laisse croire aux Solariens que vous êtes un homme. Est-ce que ce n’est pas délicat ? Si les Solariens découvrent le pot aux roses, il y aura du grabuge. Pourquoi donc s’y être résolu ?

L’humanoïde dit :

— On me l’a expliqué, Elijah : votre coopération avec un homme des Mondes Extérieurs va vous faire prendre en considération par les Solariens, tandis que de vous associer avec un robot ne pourrait que vous amoindrir. Comme j’étais au courant de vos mœurs et pouvais travailler fructueusement en équipe avec vous, on a pensé qu’il était plus commode de laisser croire aux Solariens que j’étais un homme et qu’ils m’acceptent comme tel, sans pour autant les tromper en affirmant réellement que j’en étais un.

Baley n’en crut pas un mot. Tout cela dénotait une telle compréhension, un respect si poussé des sentiments terriens, que c’était invraisemblable de la part d’un Spacien, même de quelqu’un d’aussi évolué que Fastolfe.

Baley envisagea un autre point de vue et demanda :

— Les solariens ne sont-ils pas réputés pour la qualité de leur production de robots ?

— Je suis heureux de constater que l’on vous a mis au courant des affaires intérieures de Solaria, dit Daneel.

— Au courant de rien du tout ! J’ai une idée de l’orthographe du mot « Solaria » et à cela se bornent mes connaissances.

— Alors, je ne conçois pas ce qui a pu vous pousser à poser cette question, Elijah, mais elle est tout à fait à propos et vous êtes tombé en plein sur le problème. Ma mémoire magnétique comporte des références qui prouvent que, sur les quelque cinquante Mondes Extérieurs, la renommée de Solaria provient de la qualité et de la variété des robots fabriqués ici. Cette planète exporte des robots spécialisés dans tous les autres Mondes Extérieurs.

Baley hocha la tête, plein d’une amère satisfaction. Il était évident que Daneel ne pouvait suivre des intuitions paralogiques qui prenaient pour base les défauts de l’humanité. Et Baley n’avait pas la moindre envie de lui expliquer son raisonnement. Si Solaria se révélait un monde renommé pour ses robots, le Dr Han Fastolfe et ses collègues pouvaient avoir des motifs purement personnels et très humains pour mettre en valeur leur chef-d’œuvre en matière de robot. Ils n’avaient, en vérité, que faire de la sécurité ou des sentiments d’un Terrien. Mais ils allaient pouvoir ainsi démontrer leur supériorité en laissant croire aux Solariens qu’un robot fabriqué sur Aurore était un être humain et en le faisant l’accepter pour tel.

Baley se sentit beaucoup mieux. Mais que c’était étrange de n’avoir pu se débarrasser de ses angoisses malgré les efforts intellectuels déployés dans ce but, malgré toute sa force de volonté, et d’y parvenir en un clin d’œil parce que sa fatuité venait d’être agréablement chatouillée.