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— J’ai étudié le robot de chez les Delmarre après le meurtre, dit-il. Il n’avait pas de membre détachable, ou, plus exactement, pour les détacher, fallait-il, comme pour tous les autres robots, des outils spéciaux et des mécaniciens capables. Aussi, ce robot n’a-t-il pas été l’arme utilisée pour tuer Delmarre. Et votre argument n’a pas de valeur.

— Qui d’autre peut confirmer la validité de vos propos ? répondit Baley.

— On ne met pas ma parole en doute.

— Eh bien, moi je la mets. Je vous accuse formellement de meurtre, et votre objection, non corroborée en ce qui concerne ce robot particulier, n’a pas de valeur. Si quelqu’un acceptait de confirmer vos dires, ce serait différent. A propos, vous vous êtes bien vite débarrassé de ce robot. Pourquoi ?

— Il n’y avait aucune bonne raison de le conserver. Il était absolument hors d’usage, sans la moindre utilité pratique.

— Mais, pourquoi ?

Leebig brandit le poing vers Baley et, avec violence :

— Vous m’avez déjà posé la question, Terrien, et, moi, je vous ai répondu : il avait assisté à un meurtre qu’il avait été incapable d’empêcher.

— Oui, et vous m’avez dit également qu’un tel acte entraînait toujours la destruction intégrale du cerveau positronique, que la règle ne souffrait pas d’exception. Pourtant, lorsque Gruer fut empoisonné, le robot qui lui avait offert le breuvage empoisonné s’en tira avec des troubles cérébro-moteurs des membres inférieurs et des organes de phonation. Or, en tout état de cause, il avait été l’agent même de ce qui, sur le moment, parut un meurtre. L’auteur, dis-je, et non un simple témoin. Et, lui, a conservé suffisamment l’usage de son cerveau pour répondre à mes questions !

« Aussi j’affirme que l’autre robot, celui présent chez le Dr Delmarre, doit être mêlé au meurtre d’une façon beaucoup plus intime que le robot de l’inspecteur Gruer. Et je répète ce que j’ai dit :

« Le robot du Dr Delmarre a eu son propre bras utilisé comme arme du meurtre. »

— Fatras ridicule, glapit Leebig. Vous ne connaissez rien à la Robotique !

— Je vous l’accorde, répondit Baley. Mais je suggère, néanmoins, que le Chef de la Sûreté, Attlebish, mette sous séquestre les archives de votre usine et de votre atelier de réparations de robots. Ainsi pourrons-nous savoir de façon sûre si vous avez construit des robots à membres détachables et, si oui, si vous en avez envoyé au Dr Delmarre et à quelle date.

— Personne ne touchera à mes archives, s’écria Leebig.

— Et pourquoi ? Si vous n’avez rien à craindre ?

— Mais pourquoi, par tous les corps célestes, voulez-vous que j’aie tué Delmarre ? Dites-le-moi. Pour quel motif ?

— J’en vois deux, répliqua Baley. Tout d’abord, vous étiez très ami avec Mme Delmarre. Extrêmement ami. Et, après tout, les Solariens sont des êtres humains. Vous ne vous êtes uni à aucune femme, c’est vrai, mais cela ne vous rendait pas, pour autant, insensible à, disons, des impulsions animales. Vous avez vu Mme Delmarre, oh pardon, vous l’avez visionnée, alors qu’elle se trouvait assez légèrement vêtue et de…

— Non, s’écria Leebig au supplice.

Et Gladïa murmura, mais avec énergie :

— Non !

— Peut-être ne vous êtes-vous pas rendu compte de la nature de vos sentiments, poursuivit Baley sans s’inquiéter des dénégations, ou, si vous en avez vaguement pris conscience, vous vous êtes méprisé en raison de cette faiblesse et avez pris en haine Mme Delmarre qui vous l’avait inspirée. De plus, vous pouviez n’avoir que haine pour le Dr Delmarre qui, lui, en était le légitime époux. Vous avez demandé à Mme Delmarre d’être votre assistant ; vous avez pactisé avec votre libido jusqu’à ce point. Mme Delmarre refusa et votre haine n’en fut que plus vive. En assassinant le Dr Delmarre de telle façon que les soupçons aillent se porter sur Mme Delmarre, vous vous êtes vengé des deux êtres en même temps.

— Qui voudrait croire à de pareilles insanités, à de telles ordures ? demanda Leebig d’une voix rauque, presque inaudible : un autre terrien, une autre bête répugnante peut-être. Mais pas un Solarien.

— Je ne compte pas sur ce seul motif, répondit Baley, bien que je sois persuadé de son existence, plus ou moins inconsciente. Mais vous aviez aussi un motif beaucoup plus net : le Dr Rikaine Delmarre gênait vos plans et il vous fallait vous en défaire.

— Quels plans ? demanda Leebig.

— Les plans visant à une conquête de la Galaxie, docteur Leebig, répondit froidement Baley.

18

La réponse est donnée

— Ce Terrien est fou s’écria Leebig en se tournant vers le reste de l’auditoire. C’est visible, non ?

Personne ne répondit. Certains regardèrent Leebig, d’autres Baley. Baley ne leur laissa pas le temps de se faire une opinion.

— Allons donc, docteur Leebig, dit-il. Reconnaissez-le une bonne fois, le Dr Delmarre allait rompre son association avec vous. Mme Delmarre pensait que son attitude venait de votre refus de vous marier. Moi, je ne le pense pas, le Dr Delmarre, lui-même, était en train de faire des plans pour un avenir où l’ectogenèse serait possible et le mariage, par conséquent, inutile. Mais le Dr Delmarre travaillait avec vous et donc savait, ou tout au moins pouvait deviner, plus que n’importe qui d’autre, quelles étaient vos préoccupations. Il pouvait savoir que vous étiez en train de vous livrer à des expériences dangereuses par leurs conséquences. Il a essayé de vous en dissuader. Lui-même fit part de ses craintes à l’inspecteur Gruer, mais sans donner de détails, parce qu’il n’était pas encore certain des détails. Il est visible que vous avez eu vent de ses soupçons et vous l’avez tué.

— De la folie, répéta Leebig. Je n’en écouterai pas davantage.

Mais Attlebish s’interposa :

— Vous écouterez jusqu’au bout, Leebig !

Baley se mordit la lèvre pour ne pas déployer prématurément toute la satisfaction qu’il ressentait au ton acerbe du Chef de la Sécurité.

— Au cours de cette même discussion dans laquelle vous m’avez parlé de robots à membres détachables, reprit Baley, vous avez également fait mention d’astronefs comportant des cerveaux positroniques incorporés. Vraiment, à ce moment-là, vous avez trop parlé. Peut-être vous êtes-vous dit que je n’étais qu’un Terrien incapable de comprendre tout ce qu’implique la Robotique ? Ou bien, comme je vous avais menacé de venir vous voir en présence effective, puis, ensuite, avais accepté de ne pas mettre cette menace à exécution, peut-être étiez-vous un peu hors de vous-même de soulagement ? Mais de toute façon, le Dr Quemot m’avait déjà dit que l’arme secrète sur laquelle les Solariens comptaient pour se rendre maîtres des Mondes Extérieurs était le robot positronique.

Quemot, de se voir ainsi mis en avant à l’improviste, réagit vigoureusement en s’écriant :

— Mais je voulais dire…

— Oui, vous l’entendiez d’un point de vue purement sociologique, je le sais bien. Mais cela m’a donné à penser. Considérons un astronef à cerveau positronique incorporé, par comparaison avec un astronef à équipage humain. Ce dernier, en cas de guerre ouverte, ne pourrait avoir recours aux robots, car un robot serait incapable de détruire des êtres humains à bord d’un astronef ennemi ou sur une planète ennemie. Il se révélerait totalement inapte à saisir la différence entre humains ennemis et humains alliés.

« Bien sûr, on peut lui dire que l’astronef adverse n’a pas d’humains à son bord. On peut lui raconter que c’est une planète inhabitée qu’il faut bombarder. Mais ce serait difficile de le lui faire croire. Car le robot voit bien que l’astronef où il se trouve a un équipage humain, il sait pertinemment que le monde sur lequel il vit est peuplé d’humains. Aussi va-t-il avoir tendance à postuler qu’il en est de même chez les ennemis. Il n’y aura qu’un expert en Robotique, et encore un excellent, tel que vous, docteur Leebig, pour le contraindre, sans trop de difficultés, à agir selon les directives données. Mais il existe bien peu d’experts qualifiés en ce domaine.