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Baley s’en fut, le cœur plein d’enthousiasme. Il ne s’était pas attendu à obtenir une franche victoire sur Minnim. On ne remporte pas, en un jour, ni en un an, la victoire sur des réflexes conditionnés. Mais il avait vu l’expression de curiosité, d’hésitation, de réflexion, passer sur les traits de Minnim et obscurcir, tout au moins un instant, sa jubilation précédente.

Baley envisageait l’avenir sous l’aspect suivant : Minnim allait consulter les sociologues. Il y en aurait bien un ou deux qui allaient hésiter. Ils allaient se poser des questions. Ils feraient appel aux lumières de Baley.

Dans un an, pensait Baley, un an pas plus, je serai en route pour Aurore et, dans une génération, les Terriens affronteront de nouveau l’Espace.

Baley monta sur l’express du Nord. Bientôt, il allait voir Jessie. Mais, est-ce qu’elle comprendrait ? Et aussi Bentley, son fils de dix-sept ans ? Est-ce qu’à dix-sept ans le fils de Ben se tiendrait sur un monde nouveau, vide, pour une vie, face à l’Espace ?

Quelle pensée effrayante ! Baley avait toujours peur des espaces libres. Mais il n’avait plus peur de sa peur. Ce n’était plus quelque chose à fuir, cette peur, mais quelque chose à combattre, à maîtriser.

Baley sentît qu’une espèce de démence s’était retirée de lui. Dès le premier instant, les espaces libres avaient exercé sur lui leur magique attrait, dès cet instant même où dans le véhicule de surface il avait joué Daneel : il avait fait ouvrir le toit pour pouvoir se dresser à l’air libre.

A l’époque, il n’avait pas compris ce qui l’avait poussé. Daneel avait estimé que c’était un sentiment morbide. Lui, Baley, il avait cru qu’il devait faire face au vide par conscience professionnelle, pour résoudre ce crime. C’était seulement le dernier soir, sur Solaria, lorsqu’il avait déchiré la tenture voilant la fenêtre qu’il avait enfin compris. Il avait besoin de faire face au vide sans autre raison que l’attrait qu’il exerçait, que la promesse de libération qu’il évoquait.

Ils seraient légion, sur la Terre, à éprouver ce même besoin, si seulement on attirait leur attention sur l’Espace, si on leur faisait franchir le premier pas.

Il regarda autour de lui.

L’express continuait sa course. Tout, autour de lui, baignait dans une lumière artificielle : les immenses immeubles qui défilaient devant lui, les enseignes flamboyantes, les vitrines illuminées, les usines et la foule. La foule, le bruit, les lumières, encore plus de foule, de bruit, de gens, et de gens, et de gens…

Et, maintenant, tout lui paraissait étranger.

Il ne pouvait plus s’y incorporer, s’y perdre.

Il était parti pour résoudre un meurtre et il lui était arrivé quelque chose.

Il avait dit à Minnim que les villes étaient des cocons, et c’est bien ce qu’elles étaient. Mais quelle est la première chose qu’un papillon doit faire avant d’être un vrai papillon ? Il lui faut quitter le cocon, briser le cocon. Et une fois qu’il en est sorti, il ne peut plus y rentrer.

Baley avait quitté la ville. Il ne pouvait plus y rentrer. Il ne participait plus à la cité, les cavernes d’acier lui étaient étrangères. Et ceci était comme il devait l’être.

Il en serait de même pour d’autres. La Terre renaîtrait à la vie de surface et les Hommes de la Terre vogueraient vers l’Espace.

Il sentait son cœur battre à coups précipités et le bruit de la vie tout autour de lui s’estompa en un murmure inaudible.

Il se souvenait de son rêve sur Solaria. Il comprenait enfin. Il leva la tête, et au travers de l’acier, du béton, de l’humanité, au-dessus de lui, il le vit. Il vit ce phare planté dans l’Espace pour attirer les hommes vers ailleurs.

Il voyait son éclat rayonner jusqu’à lui, l’éclat éblouissant des pleins feux du soleil.