Выбрать главу

Il pleure derechef.

Berce tendrement, et avec d’infinies précautions, la maquette sur son cœur.

— L’un des rêves de ma vie de collectionneur, balbutie ce tendre milliardaire constipé, ce qui explique son séjour prolongé entre les ailes marmoréennes du cygne. Et c’est cet homme, ici, là, présent devant moi, reprend-il, beau et calme. Superbe. A l’œil direct et au menton fier, c’est cet homme qui vient me la remettre avec simplicité. Oh, je sens que ce sera pour aujourd’hui !

— Vraiment ? clame l’infirmière garde-merde.

— Oui, je le sens, mes entrailles me le promettent, et elles ne m’abusent jamais. Elles ont des murmures annonciateurs qui ne trompent pas, miss Alexandra. Je vais même vous préciser que cela va se produire dans pas longtemps. Aidez-moi !

Lors, la duègne quitte vivement son fauteuil et gravit les marches du trône. Elle s’agenouille devant le cacateur et lui masse le ventre avec dextérité, science et sagacerie. Tout en lui fourbissant l’abdomen, elle invoque le Dieu tout-puissant qui régit tout en ce monde, depuis le cycle des marées jusqu’à l’intestin le plus paresseux.

— Seigneur, assiste-le, psalmodie la dame. Fais qu’il fasse ! Viens à son secours, Seigneur ! Aie pitié de ton glorieux fils Fredd Meredith qui n’a pu déféquer depuis seize jours. Assouplis ses pauvres entrailles paresseuses. Vide-le, ô Seigneur Tout-Puissant, toi dont le rayonnement éclipse celui du soleil ! Oui, permets qu’il déféque, Seigneur ! Ne serait-ce qu’un peu, un tout petit peu, juste pour dire de conserver intacte la foi qu’il a en toi. Débouche-le, Seigneur, il l’a mérité.

— Ça y est presque ! tonne le pauvre milliardaire. Arrêtez la musique !

Et l’orgue devient bientôt silencieux, que c’est tout juste si des ondes déjà programmées continuent de courir sur son pelage.

Tout le monde retient son souffle.

Fredd Meredith a abaissé la tête, fermé les yeux. Il continue de presser convulsivement la maquette de la Stephenson 1829 contre son cœur.

Une longue plage de silence s’écoule, et puis c’est l’inespéré parce que trop ardemment attendu, le miracle ! Un floc menu.

— Mon Dieu, balbutie miss Alexandra, ai-je bien entendu ? Se pourrait-il ? L’autre jour nous nous sommes réjouis trop vite, puisqu’il s’agissait de votre montre !

Meredith se décrispe lentement, comme une morille déshydratée plongée dans un saladier d’eau.

— C’est ! annonce-t-il. C’est bel et bien. Voyez !

Il se soulève. La dame regarde. Prise de vertige elle porte la main à l’emplacement de sa personne qui nécessite chez la plupart des femmes le port d’un soutien-gorge.

— Ouiiiii ! crie-t-elle. Merci, mon Dieu !

Et alors, l’organiste attaque, sans différer, la Marche Nuptiale de Mendelssohn-Bartholdy (1809–1847).

Et miss Alexandra va chercher le récipient qu’elle tenait naguère, y prend une éponge mouillée dont elle se sert pour toiletter son cher patient[6].

— C’est la joie, me dit-il, en ouvrant complaisamment son maigre derrière pour en faciliter le récupérage. La joie que m’a causée cette merveille. Mais dites-moi, cher homme, quelle somme demandez-vous pour ce joyau ?

A toi de jouer, Santonio.

Je lui vote un sourire qui aurait fait chier Saint-François d’Assise par la miséricorde (à violon) qu’il recèle.

— Monsieur Meredith, il est encore de par le monde des choses non chiffrables. Ainsi du contentement procuré par le bonheur qu’on apporte à son prochain. Cette pièce rare, je vous l’offre.

Tu t’imagines quoi ? Qu’il va me sauter au cou sans prendre le temps de remonter son futal ? Fume ! Bien au contraire, il se rembrunit.

— Oh, non, dit-il. Non : je préfère payer…

Et comme je le comprends. Il est tellement plus aisé de donner de l’argent que de la gratitude. C’est tellement plus facile. Tellement plus simple…

— Non, monsieur Meredith. Cette maquette appartient à ma famille depuis un siècle et demi (tu parles, le Vieux me l’a expédiée par avion hier) ; je ne m’en dessaisirai jamais contre de l’argent, ce serait trahir la mémoire de César Birotteau, mon arrière-arrière-grand-père maternel qui l’avait obtenue du vice-roi des Indes dont il avait sauvé la vie au cours d’une chasse à l’hurluberlu des plus dramatiques. Depuis lors, plusieurs générations se sont succédé devant cette fabuleuse maquette, orgueil de notre patrimoine familial. On ne vend pas l’orgueil de sa famille, monsieur Meredith, on l’offre !

Alors là…

Alors là, il descend de son cygne, le tendre milliardaire.

— Dans mes bras ! me dit-il en américain, mais ça reste assez beau tout de même.

Je.

Et il m’étreint (de marchandise).

Et puis il demande :

— Que puis-je vous offrir en échange, ô mon ami ?

— Rien qu’un peu de votre amitié, précisément, monsieur Meredith. Invitez-moi à dîner ou à déjeuner chez vous, ce qui me permettra d’admirer votre fabuleuse collection, et nous serons grandement quittes !

— A dîner ! A déjeuner ! hoquète le petit vieillard ; mais vous plaisantez. Venez vous installer à la maison, généreux étranger.

Et voilà le travail. Pas plus difficile que ça, l’ami. Je crois qu’il a raison, Martin Fisher, quand il déclare que je passe pour le flic le plus démerdard du world. Une petite enquête à propos de la collection de trains du bonhomme m’apprend quelles sont les pièces rares qui lui manquent. Un coup de grelot au Vieux qui se met en quatre. On déniche la fameuse « fusée » au musée du petit train. On la fait reproduire en un temps que je te vas qualifier de record sans que ça fasse un pli, on me l’expédie, et trois jours plus tard, je suis en mesure de vivre la scène préalablement décrite.

Système D !

Vive la France ingénieuse !

A toi de jouer, Santantonio !

VIII

Voyage silencieux. Etrange équipage. Le chauffeur est un gorille au visage cabossé qui a dû servir de sparring-partner à deux générations de boxeurs. A force d’avoir été martelés, ses orifices paraissent obstrués et l’on se demande comment il peut voir, manger, respirer et entendre avec des bourrelets. Assis, devant, il y a miss Alexandra, l’infirmière incantatoire, torche-cul de grand luxe, plus l’un des vilains qui m’ont fouillé. A l’arrière, sur un strapontin, le second.

Et enfin, sur la plantureuse banquette impériale, Meredith et mézigue. Au niveau du strapontin occupé par l’un des gardes du corps, imagine une sorte de bureau, comportant le téléphone, la télé, un dictaphone, un poste émetteur de radio et, accessoirement de quoi écrire. Dans le corps du meuble se trouvent un petit bar avec réfrigérateur et une pharmacie pourvue d’un bloc opératoire pliant, permettant une intervention sur place en cas d’échéant (comme dit Bérurier).

Le vieux Fredd ne parle pas, trop occupé qu’il est à examiner sa loco (autrefois j’aurais dit : sa loco le motive, mais à présent qu’on parle de moi pour l’Académie Goncourt, j’édulcore).

Personne ne moufte. Le milliardaire constipé voyage sans pantalon car son siège est transformé en chiotte.

La principale préoccupation de cet exquis vieillard consiste à chier. Libérer ses chétives entrailles chichement encombrées, je le présume, est le but de sa vie. Aussi passe-t-il la majeure partie de son temps à s’efforcer au-dessus d’un réceptacle.

— Vous est-il arrivé de « faire » en auto, monsieur Meredith ? je l’interroge.

Il hoche sa tête d’ampoule.

— Une seule fois. A la suite d’une collision : un camion sans frein qui nous est entré dedans de plein fouet. L’émotion a eu sur mon intestin cet effet bénéfique et j’ai donné mille dollars au chauffeur dudit camion.

вернуться

6

Oui, oui, je sais… D’aucunes et d’aucuns, sans parler des autres, vont clamer que je suis un ignoble scatologue (de Manufrance) qui se complaît (deux pièces) dans un univers merdique. Frappé moi-même par cette douteuse inclination à la chose, je me suis fait psychanalyser par un professeur en renom, habile à couper les poils du rêve en quatre. Grâce à ce maître de l’inconscient, j’ai appris que la scatologie était une forme de rébellion contre les brimades endurées pendant notre jeune âge. Ma chère Félicie, malgré qu’elle soit une merveilleuse maman, porte donc une lourde part de responsabilité dans ce mal qui m’accable et rend mon œuvre incouronnable par l’Académie Française. En effet, c’est elle qui, par son exemple et ses exhortations, m’a empêché de me comporter en enfant normal. A cause de cette excellente femme, je n’ai donc jamais mis le feu à ma classe, lapidé mes professeurs, énucléé mes camarades, violé des petites filles, pris du L.S.D., fumé du « h », volé des bagnoles, passé mes vacances à Katmandou, peint ma bite en vert, bu de l’Eau de Cologne, plastiqué Minute, écrit au goudron C.R.S. = S.S. sur les murs, baisé sur le capot d’une bagnole à la sortie d’un cinéma, participé à une prise d’otages ni braqué une banque. Elle ne s’est souciée que de soigner mes fièvres irruptives, que de m’apprendre à me laver, à me tenir à table, à avoir de bonnes notes en classe, à faire traverser la rue aux aveugles, à dire bonjour, à dire merci, à prier Dieu et à ne pas trop pisser à côté de la cuvette des chiottes. Bref, tout en croyant bien faire, elle a fait de moi ce taré dont la philosophie prend sa source dans la fosse d’aisance de notre immeuble. Je suis un touille-merde. Amerde !