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— Je te demande pardon, Armande. Je ne sais pas ce qui m’a pris. J’ai essayé de te consoler, et puis…

Elle a un pâle sourire. Mes boniments d’après-pelle, elle m’en fait cadeau.

— Allons, va, petite.

Elle descend de ma tire. Puis, une fois sur le trottoir se penche vers la portière. J’actionne l’abaisse-vitre de son côté.

— Dites, on se reverra?

Comme quoi elle y a pris goût, tu vois. Faut comprendre, ça fonctionne comme ça, la vie. Comme ça et pas autrement. Des instincts, des élans, des sécrétions. Un peu de rêve plus ou moins salace par-dessus le blaud pour lier la sauce.

— Oui.

— Quand?

— Bientôt.

— C’est promis?

— C’est juré. Donc tu ne m’en veux pas?

— Non.

Je la regarde s’éloigner dans mon rétroviseur. Il est vingt-deux heures et des. J’ai pas sommeil. Faire quoi?

Je décarre et roule en direction de Montmartre.

FAIS PAS DANS LA DENTELLE!

L’avenue Junot, à dix plombes du soir, ça ressemble à l’avenue de la Gare de Montrond-les-Bains, question animation.

L’été, encore, t’as des langueurs qui s’étalent. Mais en ce printemps fraîchouillard, mouillé, crachoteux, c’est presque aussi vide que le kangourou d’un académicien (à l’exception de celui de Jean Dutourd qui prétend le contraire et que je crois sur parole).

J’escalade la rue Caulaincourt, et puis je tourne à droite et comme une place se propose, je la profite. L’arrêt du véhicule ne réveille pas davantage Béru que sa mise en marche. Faut dire que ma Maserati est d’un moelleux qui flanque des crises d’urticaire purulent à M. Multispire, l’homme qui a su mater les insomnies les plus récalcitrantes.

Je le laisse aux bras de Morphée, ou à son rêve enchanteur dans lequel il apprend enfin le théorème de Picador.

Et de marcher dans le sens de la Butte.

La «dame» habite le quartier, si j’en crois le témoignage de la gentille Armande. Or, j’ai en poche son portrait ressemblant. Seulement, il est tard. Il n’y a plus, d’ouverts, que les bars.

J’en avise un, plus haut, flanqué de deux arbrisseaux étiques dans des caisses dépeintes.

Dès l’entrée, je devine que c’est un port d’attache pour gens étranges venus d’ailleurs ou soucieux de s’y rendre. La salle est en longueur, feutrée, avec un éclairage qui t’a misé, comme dit Béru.

Deux «messieurs» sympas comme de la pisse dans un pot de chambre conciliabulent dans le fond. Une radasse avec un renard mort au cou, écluse au bar. La vamp sur catalogue d’avant Canuet: platinée, robe fourreau noire, fume-cigarette. Une véritable affiche de film muet adapté de Chandler ou de James Hadley Chase.

Pour couronner le «climat»: au rade, un patron-barman en bras de chemise, blond et déplumé, avec une tronche de chourineur aux yeux clairs, qui prépare son tiercé dans la lumière d’un grand abat-jour de porto Sandeman.

Il lève le nez à mon entrée et le fronce en me voyant. Nos routes méandreuses ont dû se croiser jadis à la faveur d’un coup tordu; mais je ne fais pas l’effort de le retapisser plein cadre.

— Une vodka-orange, please!

Il se remue en soupirant. A son comptoir, il a morflé du burlingue, le frère. La sédentarité est le complice de l’âge pour ce qui concerne la ruine de nos foutues carcasses.

Il me sert, sans un mot.

La fille, intéressée, commence à repter dans ma direction, mais le taulier lui fait signe que «pas la peine, c’est pas un tapin pour toi». Confiante dans son jugement, elle rengracie et se remet à penser à sa petite fille qui est en pension chez les bonnes sœurs, près d’Evreux.

Comme le patron prétend se remettre aux courtines, je dépose le portrait robot de Mme X sur son baveux plein de crottin et d’espoirs.

— Excusez, fais-je, ce petit sujet habiterait le quartier; il ne vous dit rien? J’ajoute qu’il est question d’une immonde histoire de gosses, pour apaiser vos états d’âme éventuels.

Le blafard blond aux yeux de faïence sort des lunettes pliantes de sa fouille, les reconstruit et en chausse son tarbouif.

Il examine l’image avec une application marquée.

— La gonzesse en question se baguenauderait avec un petit bouledogue sombre en laisse, insisté-je.

Ça, c’est le détail qui devrait lui faire faire «tilt». Mais il secoue la tête négativement.

— Inconnue au bataillon.

— Dommage.

Je désigne la radure plantée au bout de son chalumeau dans un verre de gin-fizz.

— Mademoiselle est du village?

Le taulier hausse les épaules.

— Elle vient de se lever et elle ira se torchonner aux premières lueurs, je doute qu’elle connaisse les gens du quartier; mais demandez-lui toujours.

Moi, conscience professionnelle chevillée à l’oigne, stop. Ne laisse jamais perdre une occasion de faire avancer le progrès, stop. Donc contacte la gonzesse.

Je lui pousse mon document près du godet. Il a été vachement inspiré par Yvette Bonatout, mon chose-frère de l’identité, car la femme reconstituée a une expression effrayante.

Je sers mon petit boniment à la radasse de noye. Au lieu de mater le portrait robot, c’est ma pomme qu’elle scrute.

— Tiens, je vous situais pas poulet! fait-elle.

— Merci du compliment, ça me va droit au cœur mais vous avez déjà vu cette frangine? insisté-je.

Elle se décide, blasée.

— Non, moi je vois personne.

Je me rends compte alors qu’elle est tellement schnouffée qu’elle doit passer sa vie à l’ombre d’un arbre à came pour en cueillir les fruits qui tombent.

Désenchanté, je rengaine le portrait robot.

— Vous allez arpenter tout le quartier avec ce machin à la main?

— Probable. Mon job est fastidieux, mais l’obstination finit toujours par payer. Je serai d’autant plus pugnace que, selon toute vraisemblance, la femme en question torture et bute les gamins.

— Salope! murmure la pute nocturne.

Elle rêvasse sur son mépris.

— J’ai perdu un enfant, il y a quelques années. Il était placé à la cambrousse. Il adorait les bêtes et passait sa vie dans l’étable. Une vache lui a foutu un coup de corne dans la tête…

— Vous buvez quelque chose? invité-je. C’est ma tournée.

— Merci. C’est bien la première fois que j’accepte une consommation d’un flic.

Je hausse les épaules.

— Flic ou truand, même combat: la vie, soupiré-je. Tous des hommes avec des problèmes, des misères…

Ces paroles philosophico-apaisatoires me gagnent la bienveillance de la môme.

— Vous êtes sûr que votre gonzesse habite le quartier?

— On l’y a vue déambuler avec un sac à provisions.

— Faudrait vous renseigner auprès des commerçants.

— Merci du conseil, seulement ça reporte l’enquête à demain car tout est bouclarès à cette heure!

Elle secoue la tête.

— Sauf la pharmacie de garde, plus bas. J’en viens.

Je réagis sec:

— Merci du tuyau.

La pute ajoute:

— Tout le monde va un jour ou l’autre chez le pharmago de son quartier…

Ils sont deux pour s’occuper des clilles, et ce n’est pas suffisant car ça se bouscule au portillon. C’est dingue le nombre de gens qui, la nuit, ont besoin de médicaments. Y a une petite dame boulotte en blouse blanche, et un grand maigre à frime pincée qui ressemble à un toucan réveillé en sursaut. C’est pas une pube vivante, cézigue, car il paraît plus malade que les gens qui sont montés à l’assaut de l’Alka-Seltzer, du Sympathyl et autres dragées Fuca. J’attends patiemment mon tour, et c’est la petite rondouillarde qui s’enquiert de mes désirs.