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Pourquoi est-ce la bonne grosse touilleuse d’onguents que j’évoque en promenant mon désir sur la somptueuse académie de Mary? On est bizarroïdes, nous autres bonshommes. Toujours à côté de nos pompes ou de nos culs. A fantasmer plein tube.

— Il faut que je vous laisse, Mary.

— Vous allez me délivrer, dites donc! regimbe-t-elle.

— Plus tard, ma belle. Quand j’aurai récupéré Skinézi.

— Vous n’allez pas me laisser toute seule dans cette cabane! Ligotée! Je…

— Quelqu’un vous tiendra compagnie. Un homme charmant, du monde!

Et je sors chercher Gude.

Bloomsbury Street, à la nuit tombée; on peut pas dire que ça soit sinistros, pourtant c’est pas là-bas que j’irais soigner mes dépressions nerveuses s’il m’arrivait de moroser. Des maisons toutes pareilles, ou presque. Un éclairage pour film policier américain des années 30. Un taxi dans lequel se sont usées deux générations de pantalons rayés m’arrête devant le 818. C’est une maison de trois étages, protégée par une grille noire. Un bref escalier mène à la porte d’entrée, un autre, plus étroit, livre accès au sous-sol où des gens vivotent au-dessous du niveau de la rue. Façade de briques jaunasses. Encadrements de fenêtres dépeints par les intempéries… Les rideaux tirés jugulent la lumière.

Brève hésitance du commissaire.

Tout de même, je me décide à gravir les huit marches du perron. La porte est peinte en noir. Ça paraît tout frais. Y a que ça qui ait l’air neuf dans la façade fatiguée. Et encore, faut que ça soit black! Tu parles d’une joie!

C’est une dame de couleur qui vient délourder. Grosse et vioque. Pas la Case de l’Oncle Tom, pas le riz de l’Oncle Ben, plutôt du gris asiatique; du gris safrané. Elle est borgne, ce qui n’a jamais empêché quelqu’un de passer l’aspirateur et de faire les lits. Cheveux gris. Tenue classique: noire et blanche. On devine la maison de tradition chez tante Virginia. Des odeurs de haddock s’attardent encore dans le rez-de-chaussée, bien que le lunch soit expédié depuis lurette. La loi du lunch, ici, elle est sacrée, je t’avertis.

La grosse femme de chambre (pour l’instant femme de hall) m’enveloppe d’un regard cyclopique mais bienveillant, car elle a un faible pour les beaux garçons 7.

Le sourire dont je la remercie ferait fondre le Spitzberg.

— Des amis à moi m’ont recommandé votre pension, madame, pourrais-je avoir une chambre?

— Je vais demander à mistress Simplecon, dit-elle en s’effaçant à l’aide d’un pinceau chargé de typex.

J’entre dans l’intérieur le plus anglais qui se puisse imaginer. Plus britiche que ça, tu fous le feu à Buckingham Palace en représailles.

La femme de hall s’en va prévenir tantine et icelle se pointe dans toute sa majesté.

Figure-toi the queen d’Angleterre en auburn, avec un peigne andalou dans le chignon, un collier de chien pour remonter ses fanons, une poitrine entassée dans deux havresacs jumelés, un fessier large comme l’entrée de Westminster Abbaye, des panards kif celui de Berthe au Grand Pied (mais en double) et surtout le maquillage le plus surprenant qu’il m’ait été donné d’admirer depuis je ne sais plus quel film de Fellini. Son rouge à lèvres est orange, son bleu à z’yeux vert, sa poudre de riz grise, et des mouches (à merde si j’en crois leurs dimensions) constellent ses joues et son triple menton.

Elle me coule une œillade rêveuse de vache assistant au passage du Trans-Orient-Express. Des nostalgies encore vivaces poignent ses glandes usées.

— Il paraîtrait que vous souhaiteriez une chambre dans mon établissement? articule le personnage avec la pompe que met l’huissier de Old Bailey à annoncer l’entrée de la Cour.

— Ce serait un grand honneur pour moi, madame.

— Vous n’êtes pas britannique, n’est-ce pas? rechigne-t-elle déjà, considérant, ainsi que tous ses compatriotes, qu’un non-britannique se situe certes dans la classe des mammifères mais dans un ordre indécis entre les primates et les monotrèmes.

— Je suis suisse, milady.

Un peu d’indulgence rallume sa prunelle atoniée.

— Les Suisses sont propres, convient la dame.

Je la laisse méditer sur cette vérité qui a fait autant pour la gloire helvétique que l’horlogerie de précision ou la maison Nestlé.

Elle finit par soupirer:

— Où sont vos bagages?

— Ils doivent arriver par un vol de demain car il s’est produit une fâcheuse erreur à l’enregistrement.

— Vous allez dormir comment?

Sa question m’à-brûle-pourpointe. Surtout que je n’avise pas de lui répondre que je vais me coucher nu dans ses draps sacrés car j’encourrais ses foudres.

— A demi vêtu, madame, car je n’ai plus l’opportunité de m’acheter des vêtements de nuit.

Sa mansuétude se met à ruisseler comme d’un robinet dont le joint vient de péter.

— Je vais vous en trouver un de mon défunt mari et vous le prêterai pour la nuit.

— Votre bonté est grande, madame. Je vous enverrai quelques kilogrammes de chocolat Lindt sitôt rentré, pour vous marquer ma gratitude.

Elle a un râle de poitrine, un battement de ses longs cils fluorescents; puis elle me prend le bras comme elle ferait avec un vieil amant devenu vieil ami pour fait de cessation de bandaison.

— Allons visiter votre chambrette. Aimez-vous la cretonne à fleurs?

— Plus que tout au monde.

— Désirez-vous aller dormir tout de suite ou voulez-vous regarder la télévision au salon avec ces messieurs-dames? Ce soir; on donne une très belle dramatique: La Mission héroïque du Docteur Wattferfoot.

— Eh bien, j’ai eu une journée éprouvante et je souhaiterais me reposer.

— Comme il vous plaira, monsieur?… Heu?

— Albéric Foiridon, milady.

La pièce est de dimension modeste, mais très confortable et meublée avec goût. La salle de bains se trouve au bout du couloir, ce qui est pratique pour faire son footinge.

— Je vous apporte le pyjama promis, roucoule la taulière.

Elle s’envole, les pans de son déshabillé vaporeux flottent gracieusement de ses part et d’autre, répandant à la ronde les effluves opiacés de son terrible parfum de vieille radasse.

La grosse doudoune colorée s’amène pour préparer mon pageot. Je me hâte de lui refiler un kilo de mornifle 8. Elle me remercie chaleureusement.

— Je suis bien contente que Madame elle vous ait loué une chambre. Elle loue pas à n’importe qui.

— C’est une pension très sélecte, n’est-ce pas?

— Oh! là là! très, je comprends!

— Des habitués, je suppose?

— Beaucoup. Tous des gens bien: des veuves d’officier, des administrateurs à la retraite, des docteurs en voyage, des pasteurs…

— Des docteurs, dites-vous? C’est intéressant pour le cas où l’on tomberait malade. Il y en a en ce moment?

— Oui, deux. Le docteur Mortimer, mais il est gâteux et il croit que le foie se trouve derrière les poumons. Et puis le docteur Skinézi qu’est arrivé aujourd’hui.

Tu sais comme j’aime l’adagio d’Albinoni? Et le concerto pour deux mandolines de Vivaldi? Et l’accordéon d’Yvette Horner? Eh bien pour mes trompes d’Eustache, ces divines musiques ressemblent à l’écoulement d’une chasse d’eau patraque en comparaison des mots que me balance cette femme d’enfin chambre.