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Ils quittent la scène par le hanamiti.

Premier mitiyuki

Durant le mitiyuki, toute l’action se déroule sur la passerelle du hanamiti. Kinjo et Yuba évoluent à la manière koaruki, c’est-à-dire en mimant la marche, sans presque bouger de place. Kinjo marche, sac au dos, menant la jeune fille par la main. Yuba a relevé les pans de son kimono et adopté une démarche qui n’a rien de féminin, mais virile au contraire : à larges enjambées, ce qui symbolise sa rupture avec « le monde des fleurs et des saules », règne de l’artifice et d’une féminité affectée. Au début elle se retourne constamment vers le rideau fermé, puis elle y renonce. Le vent a défait son chignon.

Yuba. Et s’ils allaient courir après nous ?

Kinjo. Rien à foutre !

Yuba. Et s’ils allaient nous mettre en prison ?

Kinjo. Rien à foutre !

Yuba. Et si nous ne trouvons nul refuge ?

Kinjo. Rien à foutre !

Yuba. Dis-moi, tu ne vas pas me laisser ?

Kinjo. Rien à f… (il se reprend et avec un ample geste) Sûrement pas !

Le récitant.

Ils se pressent de fuir au plus tôt cet endroit,

Leurs cheveux malmenés par le vent du péché.

Les voilà entraînés par le terrestre amour

Sur une voie sans nom, serpentant sur la terre

Qui résiste à leurs pieds, terre tout à la fois

Cruelle et magnanime, généreuse et mesquine.

Les voilà condamnés à errer sur les routes

Jusqu’à ce que la terre en la terre ait enfoui

Tout au bout de leur vie leur si terrestre amour,

Et que le vent balaie une poignée de cendres.

La lumière s’éteint.

Kinjo et Yuba disparaissent dans l’obscurité.

Deuxième tableau

La chambre d’O-Bara à nouveau. La geisha entre, des fleurs dans les bras. Elle est suivie par Futoya, enveloppé d’un manteau. O-Bara se retourne vers lui et tous deux se figent.

Le récitant.

O-Bara de nouveau a convoqué chez elle

Futoya, son complice. Elle veut l’informer

Que dès lors tout est prêt, qu’elle a tantôt donné

Le signal convenu. La scélérate ignore

Qu’un espion silencieux désormais la surveille

Et fort discrètement s’attache à tous ses pas.

Il bat du tambour. De l’autre côté de la cloison de papier apparaît le Silencieux, qui écarte très légèrement les shôji. O-Bara et Futoya se remettent en mouvement.

O-Bara. Aujourd’hui ou demain, sa fin lui est promise. Personne ne viendra contrarier mon succès.

Elle s’agenouille devant la table basse et, songeuse, à gestes lents, entreprend de composer un ikebana. Futoya s’assoit à côté d’elle.

Tout ce que vous et moi, mon ami, désirions, fort bientôt, point de doute, sera réalité.

Futoya. Excellente nouvelle ! Je vous prie à présent de me rendre l’objet qui vous était confié. Le signal est donné, dès lors pour Izumi l’heure ultime a sonné. Les shinobi ont l’art d’accomplir sur-le-champ la mission convenue. Leur homme à tout moment peut soudain apparaître, et je devrai alors restituer le dragon.

O-Bara achève sans hâte de composer son bouquet. Puis elle soulève la table, ouvre la cachette et fouille à l’intérieur. Elle pense s’être trompée de pied et explore successivement chacun d’eux.

Le récitant (pendant ce temps).

Le Silencieux écoute avec grand intérêt,

Tout le plan fomenté soudain lui devient clair.

Il a devant les yeux les deux commanditaires

Du meurtre. Par leur faute, il doit tuer Izumi !

Oh, avec quel plaisir il livrerait l’un l’autre

A un cruel trépas sans réclamer salaire !

Mais chez les shinobi une règle interdit

De châtier son client sans solide raison.

O-Bara. Où est-il donc passé ? Fort bien je me rappelle avoir celé l’objet dans ma cache secrète…

Futoya. Il n’est pas lieu de rire ! Rends-moi ce talisman !

O-Bara. Enfer ! On l’a volé ! Je n’en crois pas mes yeux ! Voici le pied creusé, la plus sûre des caches !

Futoya retourne la table, pieds en l’air.

Futoya. J’ai compris ! Je devine ! Oh, perfide serpent ! Tu désires à présent te défaire de moi ? Je ne suis plus utile ? Plus rien n’ai à donner ? Tu comptes me livrer à leur férocité ? (Il l’empoigne violemment par l’épaule.) Le jônin me tuera si je ne rends la chose ! C’est là ce que tu veux ! Rends-le-moi, rends-le-moi !

O-Bara (lui résistant). Allons, êtes-vous fou ? Lâchez-moi, pauvre idiot ! Tous deux sommes alliés ! Pourquoi vouloir vous perdre ? C’est sans doute Yuba qui m’aura détroussée ! J’avais noté chez elle un peu de rébellion…

Futoya (sans l’écouter). Rends ce dragon, catin ! J’ai par amour pour toi commis crime assez grand pour ruiner mon karma !

Elle lui échappe, il la poursuit à travers la pièce. Il parvient à la renverser sur le sol, mais O-Bara est forte et agile, et de nouveau elle se libère. Enfin ils tombent tous deux, et commencent à rouler sur les tatamis, en se frappant et se griffant l’un l’autre. Tout cela se déroule sans un mot ni un cri, à la manière d’une pantomime.

Le récitant (pendant la pantomime).

Ce farceur de destin aime tendre des pièges

Au pécheur comme au juste. Il n’épargne personne.

Et rien ne lui plaît tant que le rusé chasseur

Se prenant par bévue dedans ses propres rets.

Le Silencieux jubile. Eh quoi ? Plus de dragon ?

Il a droit à présent de réclamer des comptes

A ceux qui d’Izumi ont demandé la mort !

Le shinobi muet prend papier et pinceau…

Le Silencieux tire un rouleau de papier de sa ceinture et en déchire un morceau. Il sort également une pierre à encre et un pinceau, puis trace rapidement quelques mots.

Puis sur la feuille écrit : « Contrat exécuté.

Rendez-moi le dragon, comme a dit le jônin. »

Coup de tambour.

Le shinobi ouvre brutalement les shôji et entre dans la pièce.

O-Bara. Assez ! Arrêtez donc ! Nous ne sommes pas seuls ! (Au Silencieux.) Je ne crois pas, bouffon, t’avoir convié ici !

O-Bara et Futoya se désenlacent. Tous deux s’agenouillent, en s’efforçant de remettre de l’ordre dans leur tenue et leur coiffure.

Le Silencieux, sans prêter attention à la geisha, tend la feuille de papier au marchand.

Futoya. Un papier ? Qu’est-ce donc ? Il est pour moi, c’est ça ? (Il lit en silence, pousse une exclamation.) Par le divin Bouddha ! Elle est morte déjà !

Le Silencieux tire de son sein un poignard à la lame en forme de serpent, le montre au marchand, puis tend la main pour obtenir le dragon.

Futoya (cherchant à s’éloigner à croupetons). Sommes commanditaires tous deux, et j’ai confié le dragon aux bons soins de cette digne dame…

O-Bara. Il ment ! De ce dragon jamais n’ai ouï parler. Que racontez-vous là ? Qu’aurais-je commandé ?

Le Silencieux ramasse par terre la branche de pommier et la montre à la geisha.

O-Bara (comprenant qu’il est absurde de nier). Oui, en effet, pardon. J’ai cru qu’à tout hasard mieux valait tout d’abord montrer quelque prudence. Elle est morte ? Si vite ? Nous sommes exaucés ? Comment croire un tel fait ? Je veux voir son cadavre.

Futoya (dans un chuchotement furieux). Tu vas nous perdre, sotte ! Ne va pas l’offenser ! En ces affaires-là, jamais les shinobi ne cherchent à mentir à leurs commanditaires. Rends-lui donc ce dragon ! Ta ruse est éventée ! Sinon c’est à nous deux qu’il fera triste sort !

O-Bara (chuchotant elle aussi, et s’écartant à mesure en direction de la lanterne de papier posée par terre). Sot vous-même, monsieur ! Je n’ai pas le dragon, il a été volé ! Vous voulez vivre, non ? Dans ce cas taisez-vous, et laissez-moi agir !