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— En couleurs et parlant ? répéta Eraste Pétrovitch, intrigué, car il pensait de son devoir de suivre les nouveautés du progrès dans tous les domaines techniques. Comment est-ce possible ?

— C’est très simple ! Enfin… c’est une manière de parler… Chaque image sera peinte à la main, sur toutes les copies. Quant au son, il sera préanerégistré sur des disques de phonographe. Bièn antandiou, les acteurs en gros plan, chez nous, ne parlent pas – seulement ceux filmés de loin, ou bien de dos. Mais les bruits de la nature, de la rue, le vacarme des batailles, tout cela sera natiourrel ! J’ai investi cinquante mille roubles dans l’impression d’affiches, de kartpostal, de calendriers, j’ai commencé à éditer un magazine illustré, et sur chaque couverture apparaît Claire Delune.

— Oui, j’ai vu, soupira Fandorine.

L’aile droite de la maison de la rue Svertchkov était tout entière tapissée d’śuvres chromolithographiques : Claire se tordant les mains, Claire arborant un sourire aveuglant, Claire haussant les sourcils d’un air tragique, Claire à cheval, Claire sur un iceberg, et cetera, et cetera.

— Vous n’imaginez pas l’effet que ça a produit ! poursuivit Simon.

Une ombre passa sur le visage de son interlocuteur, mais il n’y prêta pas attention.

— Le nouveau film n’est pas encore tourné que les distributeurs nous inondent déjà de demandes ! L’armée des adorateurs de Claire a vu ses effectifs décupler ! Bien sûr, ces admirateurs créent cierrtène incammaditié – surtout ici, à Bakou, où les hommes sont si fougueux et insistants, mais cela ne fait que renforcer la lioumiérre dont est auréolée une véritable star !

C’est alors seulement qu’il nota qu’Eraste Pétrovitch s’était passablement rembruni, et il en perdit un instant contenance, devinant qu’un mari n’aimait sans doute guère entendre de tels propos au sujet de sa femme. Toutefois, il n’était pas dans le caractère de Simon de rester longtemps embarrassé.

— La « starification » du cinématographe a une autre conséquence, reprit-il avec une grimace comique. À présent, des milliers de femmes rêvent de devenir des védiettes. Je reçois des milliers de lettres et de photographies d’actrices de théâtre, d’étudiantes, de lycéennes ou de dames qui s’ennuient. J’ai commencé de profiter de mon grransiouccès auprès des femmes. Je n’ai pas le temps de faire de séléksion.

— Sélécassio, qu’est-ce que c’est ? demanda Massa, qui avait cessé de déballer les affaires et dressé l’oreille dès que la conversation était tombée sur les femmes.

— Le choix des candidates aux différents rôles. On vérifie qu’elles sont jolies de visage et de silhouette, et qu’elles ont du talent. On renvoie celles qui ne conviennent pas.

— Ça ressemble au casting, comme disent les Anglais pour désigner le tri des chevaux avant les courses, dit Fandorine en esquissant une grimace.

— Casting ! répéta Simon, séduit par la sonorité du mot. Ça en impose. Ça fait plus strict que séléksion. Je m’en souviendrai.

Massa s’approcha, embrassa à demi son ami et déclara d’un ton patelin :

— Senka-koun, tu es un goland pelsonnage, tlès okyupé. Tu as bozouin d’un assistant, poul faile cassating. Je vais t’aider. Qui t’a appoulis à t’adolesser aux femmes ? Moi, je m’y connais en femmes. Le visage, la shilhouette… tout sela poul le mieux.

Imaginant un instant un film dans lequel ne joueraient que des actrices correspondant aux goûts de Massa, Fandorine frémit.

Mais Simon sut se tirer d’affaire :

— Vous oubliez le talent, senseï. Seul le prodiouktor peut déterminer si une comédienne possède un potènsiel commerrsial. Même les réalisateurs ne devinent pas ça.

Le Japonais réfléchit.

— Et si la femme est tlès belle, mais sans talent ? Vas-tu la chasser, la malheuleuse ?

— Non, je la prends pour assistante ! s’esclaffa Simon.

Sur quoi il consulta sa montre.

— Oh ! Eraste Pétrovitch, allons-y vite, pendant que c’est encore la pause. Dès que les lampes auront refroidi, le tournage va reprendre, et le réalisateur ne laissera personne approcher Claire. Il est complètement cinglé.

— Bien, bien, allons-y.

L’idée d’avoir avec Claire une conversation brève, juste le temps que les projecteurs fussent de nouveau en état de fonctionner, plaisait à Fandorine. Il observerait ainsi les convenances, puis il serait libre et pourrait vaquer tranquillement à ses affaires.

En revenant vers le Nouvelle Europe (à cause de la chaleur, ils marchaient lentement, en s’efforçant de rester à l’ombre), Simon parla sans arrêt du film en cours de tournage, tandis qu’Eraste Pétrovitch, que le sujet ne passionnait guère, l’écoutait d’une oreille distraite.

— Mon réalisateur est un vrai dingo, bon pour l’asile de fous. J’ai eu une chance terrible de le trouver, je suis carrément au septième ciel ! jacassait Simon sans se soucier de logique. J’avais d’abord engagé ce Léon Art en désespouar dié koz. Je n’avais pas d’argent pour le film. Or son oncle est un prince du pétrole. Il voulait faire de son niévo un spécialiste, il l’a envoyé étudier en Amérique, sur les chantiers pétroliers. Mais Léon, en Californie, est tombé amoureux du cinéma. Il a dit à son oncle : « Je ne veux pas exploiter du pétrole, je veux faire des films. » Vous comprrénez ? Léon a de l’argent, mais il ne sait pas comment faire du cinéma, or moi je sais comment faire du cinéma, mais je n’ai pas d’argent. Vous ne le croirez pas : quand je l’ai rencontré, j’étais au fond du gouffre !

Simon ne pouvait se trouver que dans deux états émotionnels : soit au septième ciel, soit au fond du gouffre. C’est pourquoi Eraste Pétrovitch étouffa un bâillement et s’abstint de tout commentaire.

— Mon prrojè orrièntal s’écroulait, je n’avais plus un rond, mes créanciers menaçaient de me traîner devant les tribunaux. Je vous ai raconté comment l’émir de Boukhara m’a odieusement roulé ?

Fandorine secoua la tête.

— Eh bien, voilà ! Ce fut un cauchemar, toute la perfidie de l’Orient ! J’avais récolté l’argent pour tourner mon film exotique en milio natiourrel – pas en studio, ni en Crimée, mais dans un cadre tout ce qu’il y a d’authentiquement oriental. Le scénario voulait Bagdad, mais Boukhara, c’était encore mieux. Ce n’est pas si loin, pas besoin de passeport, et des mosquées, des palais, des coupoles, des… comment dit-on déjà… des minarets, en veux-tu en voilà, tout comme il y a mille ans. Je me suis entendu avec deux ministres de là-bas. Ç’aurait fait sensassione ! Mais juste avant le départ, tout a brusquement été remis en question. La chancellerie de la cour m’a écrit que Sa Splendeur l’émir était inquiet à l’idée que le film pût comporter des scènes diffamantes pour Boukhara. On exigeait de pouvoir examiner le scénario. Vous imaginez ! Même aux acteurs, je ne le donne pas à lire ! Je paie des fortunes pour l’avoir. Qu’on m’en vole le sujet, et adio ! J’ai donc refusé. « Puisque c’est comme ça, m’écrivent-ils, ne venez pas. Autrement, couper la tête à vous. » Banqueroute totale ! Je suis au fond du gouffre. L’expédissione est annulée, scandale dans les journaux, les investissiorrs reprennent leurs billes…

Envahi par d’affreux souvenirs, Simon se prit la tête dans les mains.

— Et là, Léon Art ! Il lit dans le journal un article sur le film. Il a l’argent, me dit-il. On peut tourner à Bakou. Une seule kondissione : c’est lui le réalisateur. J’ai accepté, je n’avais pas d’autre solution. Et qu’est-ce que vous croyez ? Léon s’est révélé avoir un talent fou ! s’écria le prodiouktor, au comble de l’enthousiasme. Je suis au septième ciel ! Lui et moi allons rrévalioussianer toute l’industrie du cinéma !