Выбрать главу

— M-mais attends, je ne saisis pas. Si on sait qu’une bande d’anarchistes s’est emparée de la datcha d’un industriel du pétrole, pourquoi la police ne les arrête-t-elle pas ?

Cette fois-ci, c’est Gassym qui se montra interloqué.

— Pourquoi les arrête ? Ter-Akopov police a pas demandé, argent a pas donné. Pour prendre bande Khatchatour, il faut police beaucoup beaucoup donner. Police est pas imbécile, pas attraper Khatchatour gratuitement. Khatchatour a aussi ses gens « Mauser ». Et il y a encore là-bas le lion.

Le gotchi rectifia :

— Les lions. Deux. Des dents, tiens, comme ça !

Il ouvrit toute grande la bouche, dévoilant de grosses dents blanches.

Fandorine était totalement perdu.

— Comment ça, des lions ? De quoi parles-tu ?

— Des lions qui font r-r-r-r-r.

Gassym venait d’imiter le rugissement du lion de manière très convaincante.

— Khatchatour avant travaillait cirque. Comment on dit… dompteur, oui ? Il est devenu anarchiste ensuite, parce que vivre anarchiste plus drôle, et plus d’argent. Au datcha, à Choubany, mur très haut, dans jardin la nuit les lions se promènent. Qui veut aller dans jardin, les lions le mangent. Pourquoi police a besoin aller là-bas ? Police ira pas là-bas. Mais nous, nous irons, nous avons besoin. J’ai été à Choubany. J’ai grimpé la mur, j’ai interrogé les gens. La dernière nuit, Khatchatour était pas au datcha. Elle est rentrée l’aube. Le matin, trois cercueils a commandé. Aujourd’hui elle reste au datcha, ils font repas enterrement. S’ils restent maison la nuit, nous irons, nous les tuerons.

— Tu as un p-plan ?

— Qu’est-ce que c’est un « plan » ?

— Un « plan », c’est quand on imagine à l’avance comment on va agir.

Le gotchi opina du chef.

— J’ai plan. Bon plan. Si Arméniens dorment maison, je grimpe par-dessus la mur. Maison je vais. Je tue tous. Voilà plan.

— Et les lions dans le jardin, qu’en fais-tu ?

— Les lions me mangeront pas. Jamais les bêtes me touchent. Je sais pas pourquoi. L’année dernière, j’ai sauvé de prison, je m’ai caché dans les montagnes, des loups affamés ont accouru. Ils m’ont regardé, regardé, et ont reparti en courant.

Fandorine ne fut pas autrement surpris : les animaux sentent parfaitement la force et sont très prudents avec les individus corpulents, or Gassym avait le gabarit d’un ours de bonne taille.

— Tu restes assis sur mur, tu attends. Tu entends coups de feu dans le maison, tu sautes, tu vas. Le lion vient vers toi, tue-le. Tiens, prends ce fusil.

Le maître de maison montra une carabine à six coups accrochée par-dessus le tapis mural.

— Difficile tuer lion avec pistolet. Quand lion mort, tu viens dans le maison. Tu aideras.

Eraste Pétrovitch s’abstint de discuter ce « plan ». Il lui fallait d’abord élaborer le sien.

— Tu ne saurais pas par hasard comment sont agencés les lieux ?

— Pourquoi je saurais pas ? Je sais. Ter-Akopov venait au datcha voisin pour deux choses : boire-manger et…

De nouveau, un gros mot fut prononcé de parfaite manière.

— C’est pourquoi dans le datcha il y a seulement deux pièces : une pour boire-manger, l’autre pour…

— Compris, coupa Fandorine, qui avait horreur des trivialités. Mais plus en détail ? Pourrais-tu me dessiner ou bien m’expliquer la disposition des pièces ?

Le gotchi saisit un plateau de cuivre de forme rectangulaire et le vida des noix et autres douceurs qu’il contenait.

— Ici regarde. Voilà, c’est le maison, oui ?

Son doigt martelait bruyamment le plateau.

À cet instant, un visiteur apparut sur le seuil : un gueux, coiffé d’un bonnet à poil enfoncé sur les yeux. L’homme se figea dans une attitude respectueuse, attendant qu’on lui prêtât attention.

— Éc-coute ! éclata Eraste Pétrovitch. Comment peux-tu vivre dans de pareilles conditions ? Sans arrêt quelqu’un entre sans rien demander et se balade dans la maison. Tu connais tous ces gens ?

— Eux me connaissent, répondit Gassym d’un ton important. Plus un homme a beaucoup respect, plus il y a gens autour de lui. Va-t’en, hein ? lança-t-il au mendiant en le chassant de la main. Ne dérange pas ! Nous faisons le plan : nous allons tuer Arméniens.

L’autre salua avec déférence, recula et s’éclipsa.

— C’est le maison, oui ? Ça, c’est mur, oui ?

Gassym posa en travers du plateau une longue tchourtchkhela géorgienne.

— Là il y a encore… comment on dit… couloir. Comme ça, petit. Ici dans chambre, Khatchatour dort.

Sur la partie gauche du plateau vint se poser un gros abricot séché.

— Ici les autres dort.

Quatre raisins secs atterrirent sur la partie droite.

— Pourquoi le ride sur le front ? Pourquoi tu dis rien ?

— Je réf-fléchis. Ton plan est mauvais. Il en faut un autre.

Eraste Pétrovitch attrapa une feuille de papier et un crayon. Il traça le kanji « sabre ». Puis au-dessous, en petits caractères : « Les lions – parfait. Ils se sentent en sécurité. Khatchatour est seul à gauche. Simultanément. Deux minutes. Compter. »

— Tu écris quoi ? Pourquoi tu écris ?

— Je note un plan.

— Ton plan sera meilleur comme ça ? ricana le gotchi. Je connais pas les lettres, je sais pas lire-écrire. Tout le mal vient de lire-écrire. La fonctionnaire écrit, la police écrit, la bourgeois écrit, tous les gens mauvaises écrivent. Lis ce que tu as écrit.

Fandorine s’exécuta.

— J’ai rien compris ! Tu as critiqué mon plan, mais ça, c’est quoi ?

— Ton plan n’est pas bon, parce que j’ai besoin de Khatchatour vivant, expliqua Eraste Pétrovitch. Le fait que des lions rôdent dans le jardin est une excellente chose. Cela signifie que les bandits se sentent en p-parfaite sécurité et ne posent pas de sentinelles. Nous approcherons de la maison par chaque côté, simultanément. Moi par la gauche, à partir d’ici. Toi par la droite. D’abord, je dois m’emparer de Khatchatour. Ensuite je traverserai le couloir, et nous tomberons en même temps sur les autres : moi de la gauche, toi de la droite, par la fenêtre. Laisse-moi simplement deux minutes. Tu sais compter jusqu’à cent vingt ?

— Pourquoi compter ? J’ai un montre.

Gassym tira de sa poche un magnifique chronomètre.

— Je vais pas compter deux minutes, je vais regarder. Mais ton plan est mauvais. Comment dans jardin tu iras ? Les lions vont te manger.

— Ils ne me mangeront pas. Les bêtes sauvages ne m’attaquent pas, moi non plus. Je l’ai vérifié plus d’une fois.

Gassym se renfrogna, manifestement mécontent.

— Tu as besoin Khatchatour vivant, moi mort, prononça-t-il enfin. Nous allons discuter.

Au souvenir du puits de pétrole, Fandorine répondit à voix basse :

— Il me le faut vivant, mais pas pour longtemps. J’ai juste à lui poser deux ou trois questions.

Et le gotchi s’apaisa.

— S’il veut pas répondre, dis-moi. Je vais le battre un peu. Et quand il a parlé, tu rendras Khatchatour à moi.

Eraste Pétrovitch prêta l’oreille à la moralische Gesetz : n’allait-elle pas s’indigner ? Mais la loi morale resta muette.

— Avec g-grand plaisir.

Fandorine passe de main en main

« Sur la presqu’île d’Apchéron se trouve concentrée 82,6 % de la production de pétrole de toute la Russie. Les coûts de production y sont parmi les moins élevés du monde, car le pétrole affleure à la surface : la profondeur d’un puits est en moyenne cinq fois moindre qu’au Texas. On compte dans cette zone près de 4 200 derricks. La production annuelle de pétrole et de produits pétroliers représente un chiffre d’affaires d’au moins 300 millions de roubles… »