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— Je vous jure que je ne vois pas ce que vous voulez causer, affirme le tracteur-man en se grattant le haut du crâne à travers la brèche de sa casquette.

Un formidable bruit de concassage nous fait tressaillir. C’est Béru qui s’est mis à bouffer la betterave. Ce spectacle plonge le fermier dans l’effroi. Un homme qui mange la nourriture réservée aux vaches, voilà qui est nouveau pour lui et constitue à ses yeux le comble de l’insolite.

Je reprends ma question.

— Ho ! Dalbuche ! C’est pas gentil de nous faire des cachotteries… Si vous persistiez dans cette voie, ça risquerait de se gâter.

Béru, la bouche pleine, opine avec véhémence en poussant un grognement à côté duquel le grondement du grizzli affamé n’est que soupir de libellule.

— Mais quoi donc, bafouille le rat des champs. Mais quoi donc !

Et, reculant d’un pas, sa face d’oiseau-rapace plus blême que jamais, il répète :

— Vous… vous êtes vraiment policiers ?

— Devine ! ricané-je.

Heureusement que j’ai visionné tous les films du Napoléon. Ça aide dans mon job. Voilà que je me surprends à jouer les Paul Newman. Je sors mon arquebuse et la fais tournicoter au bout de mon index en sifflotant entre mes dents serrées. Je dois être vachement terrible, moi je vous le bonnis. In petto, je suis plus péteux. Je me dis que si ce cinoche s’avère injustifié, si mon pégreleux a la blancheur Persil, je pourrais bien comprendre ma douleur et me faire admonester vilain par ma conscience.

Seulement, les gars, retenez bien ceci : dans la vie vaut mieux se gourer en allant de l’avant, que d’avoir raison à reculons.

— Vous êtes qui, alors ? demande le flageolant qui prend ma question pour une réponse négative.

— Devine ! répété-je.

Un silence… On entend les bruits souverains de la cambrousse en fin de journée. Ce que ça pue bon, toutes ces betteraves terreuses, cette paille, ces vieilles tuiles moussues… Je comprends les urbanistes qui se mettent à construire des villes à la campagne.

— J’attends, Dalbuche ! J’attends, dis-je en immobilisant mon camarade tu-tues dans ma paume et en soufflant sur le canon.

— Je n’ai rien à dire, tente encore le pauvre homme.

Béru jette loin de lui son tronçon de betterave, se torche les lèvres et fait en se dressant :

— Tu permets que je m’en mêle, San-A. ?

J’opine, dont je sue, comme disait Casanova.

— T’as tort, Dalbuche, de t’obstiner, prophétisé-je. Mon copain, malgré son air bon bougre, c’est un terrible. Si je te disais qu’au Japon on lui accorde plus de visas, ils préfèrent encore les typhons !

Bérurier parle. Il parle en se curant les dents avec le petit doigt, ce qui n’améliore pas sa diction.

— Bonhomme, attaque-t-il, voilà le programme : c’est pas le plan quinquennal, tu vas te rendre compte. Je te dérouille jusqu’à ce que tu causes. Ou tu causes, ou tu causes pas. Si tu causes pas, tu causeras plus jamais. Si tu causes après t’avoir fait tirer l’oreille, on foutra le feu à ta ferme. Si tu causes illico, je m’économise les calories et on fait ami-ami ; t’as bien suivi ?

« Et pour te prouver que c’est pas de la rigolade, je vais d’orge et d’orgeat faire brûler ton n’hangar, ajoute Sa Majesté en sortant son briquet.

Faut toujours qu’il en rajoute, Béru, c’est ça son inconvénient. Il balance au prologue la grande tirade du trois : une manie !

— Attends la nuit pour tout faire cramer, Gros ! le rappelé-je à l’ordre, ça va attirer du monde et on sera obligé de descendre Cézigue avant l’arrivée des pompelards…

— Très juste, admet le Monarque en remisant son Flaminaire.

Puis, à sa presque victime ;

— Qu’est-ce que tu décides, fleur de betterave ?

— Écoutez, claquedesdente l’homme, je ne sais pas… Je ne comprends pas… Je… Qu’est-ce que vous voulez dire en me demandant ce que j’ai déniché au Franc-Mâchon ?

— Ça ! dit Bérurier en lui plaçant un crochet en plein plexus.

Dalbuche tombe à genoux en se tenant le bide. Il geint.

Moi, je suis glacé d’épouvante. Molester un peut-être — très — honnête homme simplement parce que j’ai eu une impression, admettez que c’est gonflé, non ? Dans le genre téméraire on ne va pas plus loin…

Je me mets à genoux devant lui et lui pose la main sur l’épaule.

— Dalbuche, t’as trouvé quelque chose à la ferme. Tu vois très bien ce que je veux dire. Si tu parles, t’as ma parole qu’on te fera pas d’ennuis, mais il faut qu’on sache. Pense à tes mômes, à ta ferme, à ta femme…

— … à tes chevaux et à ceux qui les montent ! termine ce mutin Bérurier.

Les ondes douloureuses s’estompent. Son regard redevient lucide. Il est empli de larmes.

— Oh, soupire-t-il d’un ton misérable, je sentais bien qu’un jour ça craquerait… Bien mal acquis ne profite jamais…

Musique ! O douce musique des aveux ! Quelle symphonie de Beethoven, quelle sonate de Mozart, quelle composition de Francis Lopez charme plus que vous l’oreille policière ?

— Je suis sûr que les remords t’empêchaient de dormir, Dalbuche, avancé-je… Vrai ou faux ?

Il branle la tête. Une tête plus lourde de cent ans !

— Si je vous disais, murmure-t-il d’une voix peureuse, que depuis cinq ans j’ai pas fait mes Pâques !

Je revois la photo papale compostée de ses noms et adresse dans la cuisine du Franc-Mâchon.

— Quelle horreur ! soupiré-je. Tu avais honte, tu n’osais pas te confesser ?

— Oui.

— Eh bien, maintenant, tu vas pouvoir, Dalbuche ! C’est Dieu dans un sens qui nous envoie. Tu sais comment ils sont, les desseins de la Providence !

— Impénétrables, sanglote-t-il.

— Oui, mon ami : im-pé-né-trables ! martelé-je. Cela dit, parle ! Et ne cache rien, je suis comme ton âme, Dalbuche : j’ai besoin de lumière.

Il torche son nez, sa bouche et ses yeux du même coup de manche quasi béruréen, allume la cigarette que je lui fourre dans le bec, à la flamme du briquet dont le Gros menaçait ses biens et commence :

— Quelques mois après mon installation au Franc-Mâchon, un mur de la bergerie s’est écroulé et j’ai voulu le remonter… Pour faire le ciment, je suis été chercher du sable à l’ancienne carrière qui se trouve à la pointe du petit bois, derrière le château. C’t’une carrière qu’on s’en sert plus depuis longtemps vu que son sable n’est pas de première qualité. Maintenant les ronces ont repoussé par-dessus…

Il se masse le ventre et expulse par le nez un bref jet de fumaga.

— J’ai remarqué un endroit qu’était tout fraîchement pioché au fond de la carrière… J’ai pensé que mon fermier-cesseur était venu se munir de sable et j’ai choisi ce même endroit. Voilà-t-il pas qu’en creusant j’ai trouvé un gros tas de ferraille noircie…

Là, San-A. le renifleur de charme, San-A. au sens divinatoire indiscutable, San-Antonio, quoi, puisqu’il faut parler bref, murmure :

— C’était une voiture. Une petite voiture sport à laquelle on avait mis le feu ? Marque M. G.

Chose curieuse, ça ne surprend que Bérurier, vu que le sieur Dalbuche me prend pour un superman depuis plusieurs minutes déjà.

— Oui, fait ce dernier.

— Ensuite ?

C’est là le plus duraille, là que ça coince un peu pour sortir. La grande partie de mea-culpa-je-suis-pas-grec !

— J’ai examiné les encombres, continue Dalbuche qui veut parler de décombres. Ça m’étonnait un peu, cette bagnole dans la carrière… Y avait plus de plaque zoologique, les banquettes étaient complètement brûlées, la capote aussi. Une vraie carcasse pleine de ressorts, jusque z’aux pneus qu’avaient fondu, à l’exception de la roue de secours. J’sais pas pourquoi, peut-être à cause qu’elle était enfermée dans le coffre, donc à l’abri de l’air, mais il restait du pneu à la jante. C’était une roue imitation rayons, avec un enjôleur au milieu pour enjoliver. Quelle idée qui m’a pris de tripatouiller cette roue ? P’t’être parce qu’il y avait plus que ça de récupérable dans l’auto ! Toujours est-il que l’enjôleur me reste dans les doigts tandis que je le manipulais. Et qu’est-ce que j’avise, dans le trou du moyeu ? Une sorte de boule noire grosse comme le poing. S’agissait d’un sac de toile.