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Je ne me gêne pas avec le Vioque. Le propre d’un ami, c’est qu’on peut se balader à poil devant lui, physiquement et moralement.

— Je sens que nous avons quelque chose à découvrir ici, César.

Il accueille gravement cet aveu.

— Soit, mais on ne peut pourtant pas pénétrer dans cette maison par effraction ?

— Non, conviens-je, on ne peut pas.

Ce que disant, j’empoigne la manette de la porte coulissante d’un garage et je tire dessus. Le panneau se déplace sur son rail avec un bruit feutré. Pas un grincement : c’est de la demeure bien entretenue, bien graissée, bien fourbie, où l’on termine les bordures de pelouses au ciseau de brodeuse.

Je tâtonne un peu avant de trouver le commutateur électrique. Une lumière crue, intense, nous fait ciller. Le garage abrite une grande tire amerloque, du type canadien. Seulement ce n’est pas une bagnole que je cherche, mes chéries. Je tâche de repérer quelque chose de beaucoup plus petit, bien que cela serve également à se déplacer et que ce soit monté sur caoutchouc… Pour tout vous dire, je m’intéresse à une paire de bottes. Car où dépose-t-on (tonton tontaine) des bottes crottées sinon dans son garage ? Bon, d’accord, le gus du souterrain les a peut-être nettoyées, mais elles m’intéressent tout de même.

Je contourne la pompe (adour) et m’accroupis pour examiner le contenu des rayonnages garnissant le fond du garage. Des outils de jardin, des bottes. Une théorie de bottes ! De quoi équiper la nouvelle armée allemande ! Toutes plus rutilantes l’une que l’autre…

Juste comme je vais me redresser, une grosse voix rocailleuse hurle :

— Ne bougez plus !

Faut une drôle d’oreille, mes lapins, pour savoir qu’une voix est rocailleuse quand la phrase qu’elle balance ne comporte pas un seul « r ».

Je vais pour me dresser, mais moi, vous me connaissez ? Ma gamberge, souventes fois, va plus vite que mes réflexes, ce qui est le propre des êtres exceptionnellement intelligents (vous ne pouvez pas comprendre mais croyez ce que je vous cause). Alors, en vertu des pouvoirs intellectuels qui me sont conférés, je me dis que l’arrivant n’a pas pu m’apercevoir derrière la guindé où je me tiens et que par consécouille c’est à la Membrane que s’adresse son apostrophe.

— Levez les brrrras ! continue le mec à la voix rocailleuse.

— Mais vous vous méprenez, bêle le Fané, je ne…

— Levez les bras où je tirrre !

Je me coule un tantinet soit peu sur le côté pour examiner le paysage. Je découvre un grand malabare en pyjama, chaussé de pantoufles et armé d’un fusil de calibre 12. Il a les cheveux en broussaille, une moustache à la Brassens, des valoches sous les yeux et l’air aussi avenant qu’un gardien de la paix auquel on vient de barboter son gode-bâton-miché.

— Sortez d’ici ! fait le Malabare au Chétif.

— Certainement, cher monsieur, affabilise Pinuche, mais je vous assure…

— Passez devant, et garrrdez les brrrras en l’airrr !

Mon ami obéit et ces messieurs disparaissent.

Ce qu’il y a de chouette avec Baderne-Baderne c’est qu’il est d’un naturel atout-tes-preuves. L’irruption de l’homme au flingue l’a surpris, pourtant, rien dans son attitude n’a pu donner à penser qu’il ne se trouvait pas seul.

Leurs pas concassent le gravier. J’attends la suite, blotti derrière la chignole, l’oreille brandie.

— Monsieur ! Monsieur ! hèle le flingueur.

Sa voix produit comme des « bangs » supersoniques dans le silence. Une fenêtre ne tarde pas à s’ouvrir, quelque part. Une voix ensommeillée, extrêmement distinguée malgré l’heure tardive, demande :

— Que se passe-t-il, Dimitri ?

— Je viens de trouver un homme dans le garage !

— Tiens donc ! Un instant, je descends…

Je rampe jusqu’à la porte et dévide mon regard scrutateur à l’extérieur. Ah, Dieu, l’étrange scène ! Le pauvre Pinaud botté, terreux, frileux dans sa tenue de pêcheur, ses pauvres bras d’épouvantail dressés vers un ciel clément. Et à deux mètres de lui, ce grand tordu au fusil ! Cela serre le cœur.

Des lumières ponctuent la façade du moulin. La porte du bas s’ouvre. En contre-lumière, la silhouette élégante d’un homme en robe de chambre.

— Entrez ! fait-il.

La Relique entre avec son Vigile sur les talons. La porte se referme… Je sors du garage et, plaqué contre la façade des communs, je trace en souplesse jusqu’à une grande baie vitrée de petits carreaux.

Mes yeux plongent sur une grande pièce à la rusticité élégante. J’enregistre une vaste cheminée à la hotte basse, des carreaux de Provence au sol, des murs blanchis, des meubles de prix. L’homme à la robe de chambre est assis sur le coin de la grande table de réfectoire. C’est un type à l’allure aristocratique. Il a le teint bistre, les cheveux gris-bleu, un regard calme, très intense. Ses lèvres charnues indiquent la sensualité et l’ironie. Ce pèlerin doit aborder la soixantaine avec précaution, à grand renfort de culture physique, de sauna et de massages.

Il interroge le père Pinouille, lequel se tient debout devant lui comme un élève pris en faute.

Je tends l’oreille.

— Que faisiez-vous dans mon garage ? lui demande-t-il.

— Pfofff, j’enquêtais ! répond le Déconcerté.

— Je vous demande pardon ? reprend l’autre.

— Je vais tout vous expliquer, promet mon ami.

— J’aimerais.

— Je suis inspecteur de police et, à la suite des rapts d’enfants, on m’a chargé de surveiller la forêt.

— De nuit ?

— Oui, de nuit…

Le regard de l’homme aux cheveux bleus tombe sur les bottes boueuses de Pinuche.

— Et vous considérez que mon garage fait partie de la forêt ?

— Certes non, dit gentiment la Banane, aussi m’excusé-je de cette intrusion dont je ne nie qu’elle puisse sembler heu…

— Bref, il s’agit d’une violation de domicile caractérisée, tranche le personnage à la robe de chambre.

— Il m’avait semblé entendre comme un bruit.

— Ah oui ?

Le sexe à génaire hausse les épaules. Il tend la main vers le téléphone, consulte le cadran de l’appareil et compose deux chiffres d’un index rageur.

— Vous expliquerez tout cela à la police, dit-il.

— Mais je suis policier ! s’étrangle le Dévasté. Si vous voulez bien me permettre de vous montrer mes papiers, je…

— Je n’ai aucune qualité pour examiner vos papiers. Mon jardinier vous a trouvé chez moi, en pleine nuit, je vous remets aux autorités, là se borne mon intervention.

Je me caresse la nuque pour faciliter l’accouchement d’une idée remarquable. M’est avis que le pauvre biquet est en train de barboter dans un tas de gadoue qui malodore furieusement.

Le maître du moulin (il n’a rien d’un meunier, croyez-moi) est en train de parlementer avec le bigophone.

— Ici Alphonse Daudeim, propriétaire du Moulin des Lettres de Mont, annonce-t-il. Mon jardinier vient de surprendre un rôdeur dans la propriété. Il le tient en respect. Venez en prendre livraison, je vous prie. L’adresse ? Chemin du Nabab. Vous prenez l’allée Roumeston, c’est à droite. Merci !

Il raccroche et achève de contrir Pinaud par un regard qui filerait des complexes à un ténor italien.

À la même seconde, un fracas de verre pulvérisé troue le silence entier de la nature éteinte. Les trois hommes sursautent. Pour ne rien vous cacher, c’est tout simplement l’illustre San-Antonio, le seul, le vrai, l’unique qui vient de balancer une brique dans le vitrage d’une serre voisine. Au lancement du poids, mes gueux, j’aurais ma chance.