— Vous ne voulez pas me dire ce qui se passe ? chuchote la mignonne.
— Un peu plus tard, je vous le promets.
— Pourquoi avez-vous assommé mon mari ?
— Je ne l’ai pas assommé, je l’ai mis K.O. nuance ! Il ne fallait pas qu’il donne l’alerte.
Un léger silence. Elle reprend avec un chuchotis de confessionnal :
— Quelles sont vos intentions ?
— Je vous épouserais bien, mais puisque vous êtes déjà mariée, ça risquerait de faire double emploi.
Ma parole, elle se marre ! Un mignon petit rire aussi frais qu’un glouglou de source.
— Comment vous appelez-vous ? voilatilpacje-demande tout à trac.
— Alicia.
— Vous êtes ma première.
— Votre première quoi ?
— Ma première Alicia. Ça vous va bien. Je m’imagine vous roucoulant ça entre deux baisers.
Mon lutin intérieur se file en renaud et me passe un savon de carabin. Il me dit des véhémences, comme quoi je ne serai jamais sérieux et que chez moi c’est comme chez Shell : l’essence passe avant tout le reste ! Cette enguirlandade, mon neveu ! Jamais je l’ai trouvé aussi furax ! Il en débite tant et tant que ça finit par m’échauffer les portugaises et que, pour le narguer, je hasarde ma dextre sur la mameluche de la petite madame. Ça la lui coupe net, au lutin.
À Alicia aussi, d’ailleurs.
— Mais, qu’est-ce que vous faites ? balbutie-t-elle innocemment.
— Je vous expliquerai par la suite, avec le reste, chaque chose en son temps, mon amour.
Vzzoum ! La pelle !
— Et mon mari ? objecte-t-elle (car c’est une protestataire aussi classique que timide).
— Il fait des rêves d’Orient dans son tapis, chérie, surtout pas d’inquiétude à son sujet.
Si vous voulez mon avis, l’époux à la jolie madame, ça doit pas être une épée de plumard. Je l’imagine incertain de la baguette magique, Césarin. Un parcimonieux. Il doit faire reluire sa nana seulement le samedi soir quand ils vont pas au cinéma et s’il n’a pas trop bu de bière.
Un timoré du bec verseur, un balbutiant du kangourou. Un effarouché de la pomme d’arrosage ! À ce propos, y a des personnes qui m’écrivent pour me demander quelle est la bonne fréquence en amour. Je crois devoir leur répondre qu’un gars normal calce sa mémère deux fois par jour, quant aux extra, c’est selon l’occase et le temps dont on dispose.
Alicia, mes caresses l’emballent comme la duchesse du même nom. Une petite opportuniste dans son genre. Pour une fois qu’elle ne craint pas de voir déhotter son Jules, elle en profite. Souvent c’est cet épais quidam aux clés qui gâche le plaisir des amants. Ils tressaillent au moindre grincement, les malheureux. La hantise du conjoint susceptible d’opérer sa jonction, justement. Dans notre cas, son mecton, elle ne le craint plus. Elle l’a vu dûment ficelé dans son tapis. Alors l’envolée s’empare de ses sens emmagasinés. Les tordus de maris se figurent qu’ils s’engourdissent, les sens à leur bobonne imbrossée, qu’elle finit, à force de négligence, par se scléroser du bas-morcif, par oublier à quoi que ça sert, par se colmater la brèche au ciment prompt. Tu parles. Toujours disponible, il reste, leur fignozoff. Suffit de le dépoussiérer un brin pour qu’il se retrouve en état de marche et d’autant plus intrépide qu’il a subi des années de délaissement. L’hibernation n’est pas la mort, au contraire, c’est de la vie emmagasinée. Quand ces dames mal tringlées vous déballent leur petit stock d’extase, alors on touche tout de suite ses dividendes, mes pères ! Les intérêts progressifs sont pour vous ! Votre air de flûte, vous l’interprétez pas à l’intérieur d’un petit morceau fluet de musique de chambre, mais dans un opéra de Wagner.
Alicia, suffisait d’un rien pour lui reconnecter la durite des sens. Remarquez qu’on ne peut pas appeler notre situation un rien ! La friponne pionçait près de son éclopé du slip. Un bruit les réveille. Zozo se pointe dans le couloir. Il morfle une pêche tellement féroce que l’ami Bruno Coquatriste parle d’en faire la vedette anglaise de son prochain spectacle, au rayon cascadeur. Un inconnu surgit alors. Un bel inconnu, si vous motorisez cette légère rectificance, qui saucissonne le mari, le valdingue dans la baignoire, se couche tout loqué contre la dame toute nue, ferme le robinet d’électricité et se met à lui vérifier le velouté mammaire ; reconnaissez, mesdames, messieurs, et vous aussi amis pédales, qu’il y a de quoi déboussoler la plus chaste des épouses, la plus prude des dames patronnesses, la plus hermétique des vierges.
Moi, vous me connaissez, mes biquets, je suis capable de faire plusieurs choses à la foire. Il m’est arrivé de lire le journal en mangeant, de fumer en prenant mon bain, et d’aller au cinéma pendant que le Général causait à la télé. Tout en battant en neige ma petite camarade, je tends l’oreille aux bruits du rez-de-chaussée. Je ne perçois qu’un murmure très confus de conversation. Les flicards mandés par le sieur Daudeim ne sont point encore tarifés. Je décide en conséquence d’entreprendre sérieusement la belle, la tiède, la nue Alicia. Je lui baisotte les lèvres à petites goulées, puis le cou, puis les boutons moletés avant d’organiser une expédition de secours à travers la douce lande qui sépare ses délices supérieures de ses délices inférieures, lesquelles sont donc postérieures. Je ne précise pas, mais vous suivez mon regard n’est-ce pas ?
Elle se met à pâmer, la môme ! Flûte : je suis tombé sur une bruyante. Une qui se croit obligée d’exclamer ses sensations, de les porter à la connaissance du public. Pour les julots d’en bas qui risquent d’entendre, ça n’est pas grave vu qu’ils la croient avec son mari ; mais c’est pour le mari que ça me gêne. Depuis la salle de bains, il doit l’écouter trémoler, sa gerce. Et je vous parie que ça l’afflige, cet homme. Une mâchoire fêlée, déjà, ça rend morose, alors s’il faut en plus que votre légitime vous interprète son récital de sommier avec le gars qui vous a lézardé le maxillaire, y a de quoi faire le défilé du 14 Juillet sur les mains, après s’être carré un plumeau dans le fignedé pour se déguiser en Saint-Cyrien.
Moi, je lui rappellerais bien la promiscuité de son époux, à Alicia, seulement admettez que ce serait mufle ! Je risquerais de lui faire éclater l’extase comme un ballon de baudruche. Tant pis, je me la continue à travers ses cris. Elle ne hurlerait que des voyelles, à la rigueur, elle pourrait prétendre ensuite à son vieux que je la torturais. Un « Aaaaah » d’orgasme ou un « Aaaaah » d’agonie, c’est similaire. Seulement elle bavarde ! Et je te dis que c’est bon ! Et je te demande de ralentir le mouvement ! Et je te complimente sur ta vigueur ! Et je m’extasie sur ta robustesse ! Et j’implore que tu continues ! Après ce radioreportage, ça va être coton de chiquer à la dame molestée. Une femme torturée n’appelle pas son bourreau chéri, que je sache ! Elle lui dit pas qu’il a la consistance d’une barre de fer, ni qu’elle veut sa bouche, en même temps ! En même temps ! Vous vous rendez compte ? Dans sa baignoire, Duchenock se demande « en même temps que quoi ». Enfin bref, c’est son problème. Cela dit, une frangine s’en sort toujours. Elle parvient à faire gober n’importe quelle couleuvre à son baluche. Si ça se trouve, Alicia jurera au sien que ce qu’il a entendu c’est une causerie de M. Couve de Murville à la radio. J’ai tort de m’inquiéter…