Un soubresaut pour me jeter sur le côté et la corrida commence.
CHAPITRE VII
SI JE M’ATTENDAIS À ÇA !
J’ai jamais aimé les rasoirs à main, car je suis un homme de progrès, moi ! Chaque fois que je peux faire appel à la fée électricité, je n’hésite pas. Qu’un gus d’une trentaine de berges se rase encore au sabre d’abordage, voilà qui me dépasse. Peut-être après tout qu’il l’utilise seulement comme arme de combat, son coupe-chou ?
En tout cas il a l’air fermement décidé à s’en servir sur mon élégante personne. Faut le voir darder sa main féroce en direction de mon physique de théâtre ! Ah ! la carne ! Le coup passa si près qu’une de mes mèches de cheveux tomba ! Si vous voulez la ramasser, elle assurera vos vieux jours. On vend bien une mèche des tifs à Napoléon ! Et son bitos, donc, à l’Empereur ! Il devait en posséder une sacrée tartinée pour qu’à chaque instant on cloque son bicorne aux enchères ! Et vous remarquerez : c’est toujours LE chapeau de Napoléon Ier. Chez l’homme, le goût de la relique, c’est inné ! L’os à saint Machin, le bout de la vraie croix, le prépuce à Sa Majesté du Genou, le morceau du slip de la grande Sarah, j’en passe et des moins bonnes ! Mais Napo, il tient le pompon ! On oserait vendre des roustons de mouton en prétendant que ce sont les siens, ça mettrait la folie dans la triperie de luxe ! Tiens, c’t’une idée, faudra que je ventauzenchèrepublique mes claouis, un de ces quatre morninges ! Mise à prix une brique la paire, bocal non consigné ! Une affaire, non ? Le malin qui les achète fait la tournée des villes pour organiser une expo chez les libraires, au lieu d’une séance de signature trop classique. Ça remeuterait la populace. Toutes les lectrices feraient la queue (si j’ose dire) pour les admirer, les valseuses à San-A. De mon vivant, je pourrais me contenter d’exposer la photo seulement, vu que les originaux sont en plein rendement (tellement même que je cours droit à l’inflation).
Bon, je m’égare, qu’est-ce qu’on se disait ? Ah, oui : le mecton avec son furieux rasoir sectionneur. Outre l’avantage que lui confère sa lame, il possède celui de la position. Moi, je suis allongé le dos au tapis, alors que lui se tient agenouillé. Des soubresauts, c’est bien joli, mais c’est comme un tramway de préfecture : ça ne va pas loin. Me voici coincé entre le lit et mon assaillant. Je tente un ciseau à la désespérée ; il l’esquive. Le rasoir s’élève une fois de plus. J’avise le coin du couvre-lit qui pendouille au-dessus de mon visage. Je l’empoigne et tire dessus aussi fort et aussi vite que je le puis. Heureusement, il est en satin et glisse parfaitement. Il tombe en paquet sur ma poitrine, m’isolant provisoirement d’Andréano. Les fractions de seconde ont joué. Le couvre-plume s’est interposé pile comme mon antagoniste abattait son bras redoutable sur ma frime. Je sens un choc à travers la boule d’étoffe. L’autre patate émet un hurlement sur les grandes ondes. D’une ruade je refoule le truc en satin et le monsieur affalé dessus. Ensuite de quoi je me redresse et mate le résultat de l’opération duvet. Il est positif, en ce qui concerne ma santé. Je vais vous repasser la bande au ralenti, mes petits constipés de la rétine.
Mordez comme Andréano, noir de fureur meurtrière, lève haut son bras vengeur. Voyez comme une partie du couvre-lit, en chutant, s’enroule autour de son poignet. Voyez comme l’autre partie du même couvre-lit me sert de bouclier. Regardez bien, à présent, la manière idiote dont le geste du raseur de glotte avorte. Sa main glisse de la partie non coupante de la lame sur le manche. La lame se replie sur ses doigts. La violence de son geste est un marteau. La poitrine du cher San-A. est l’enclume. Si bien qu’il ne reste plus que le pouce à la main droite du mec. Juste de quoi faire du stop !
Il regarde ses quatre doigts gisant sur le couvre-lit jaune qui, arrosé de son sang, ressemble vaguement au drapeau espagnol. (À l’actuel, pas à celui qui flottera dans quelque temps sur les édifices madrilènes).
— T’es bien avancé, pauvre cloche, lui dis-je.
Il claque des dents. Son sang pisse comme il continue de jaillir de la carotide sectionnée de la pauvre Alicia. Je cavale à la salle de baths, y chope une serviette éponge que je lance à l’édoigté.
Mais il néglige ce buvard à raisin et pose son front contre le lit. Sur le moment, je crois qu’il défaille.
Quelle erreur est la mienne ! En réalité, il glisse sa main valide entre le matelas et le sommier pour, vous savez quoi faire ? Attraper le pétard de calibre qu’il y avait planqué en prévision de mauvais réveils. Lorsque je pige, il a déjà sa seringue dans la paluche. Et dire que je suis parti sans me charger. L’ami tu-tues est accroché au porte-manteau de ma chambre, à Saint-Cloud. Comme je me languis de lui à cet instant ! Comme son éloignement renforce mon impression de cruelle solitude ! Dans la paluche du mec, le gros calibre nanti d’un silencieux, ressemble à une lampe à souder. Plonger ne servirait à rien, car Andréano, blême de douleur, est debout de l’autre côté du plumard et couvre de son composteur toute la pièce sous tous ses angles.
Floppss ! Une prune ! Elle m’a éraflé l’oreille. C’est probablement la première fois qu’il défouraille de la main gauche d’où sa maladresse. Je fais un pas de côté.
Floppss ! Floppss ! Deux autres pralinettes pulvérisent un charmant sous-verre, à droite de mon portrait personnel. Dommage pour cette œuvre d’art qui représentait François Ier en train de faire ch… Henri VIII d’Angleterre au Camp du Drap d’or.
M’est avis que je ne suis pas encore sorti de l’auberge. Il reste encore cinq dragées dans le chargeur. À force d’ajuster son tir, il finira bien par me plomber, le fumier ! Il a le visage couvert de fines gouttes de sueur. Il s’efforce de réprimer le léger tremblement de sa main. Il veut m’avoir. Pour mettre le maximum de chances de son côté, il contourne lentement le lit afin de me couper de la porte. Il n’est plus qu’à deux mètres de moi. À cette distance un paralytique aveugle ne me raterait pas. Faudrait sûrement essayer quelque chose, mon petit commissaire chéri. Ou alors jouer les Maréchal Ney en criant au gars : « Droit au cœur mais épargnez le visage ! »
— Au lieu de faire des cartons sur les tableaux, tu devrais regarder derrière toi, Andréano, t’aurais des surprises.
Vieux comme mes robes, je sais ! Douze mille fois employés, je re-sais, mais toujours efficace. Un type vous crie de gaffer vos arrières, je vous mets au défi de ne pas vous retourner !
Mon mitrailleur a un bref mouvement de menton pour s’assurer que la porte est bien close. Mon pied est déjà parti pour une reprise de volée. Il heurte sa main valide. Le revolver lui échappe des doigts. Andréano se jette sur l’arme. Avant qu’il ne l’ait ramassée, j’ai empoigné à deux mains la pendulette de marbre sur la cheminée Louis Chose et l’ai catapultée vers l’assassin d’Alicia.
Dans les moments les plus dramatiques, on récolte un côté marrant. Tout en lui fracassant le temporal, v’là la pendule qui gazouille quatre coups.
Elle avance !
Moi, je recule pour éviter un nouveau flot de sang.
Cette turne ressemble aux abattoirs de La Villette. Ce que ça peut faire désordre, deux cadavres dans la même pièce !
Je retourne dans la salle de bains, manière de me déséclabousser à l’eau fraîche. J’en profite pour me bassiner un brin la devanture.
L’amour et la mort marchent la main dans la main le long de mon destin, mes petites tronches. À peine j’ai fini de me faire exprimer l’intime que le rodéo des grands jours éclate. Quand je pense que trente minutes plus tôt, ce couple dormait du sommeil de l’injuste. Car ils devaient en avoir un paquet sur la conscience, les époux Andréano. Lui surtout. Le meurtrier de Merdoche. Je ne suis pas fâché d’avoir réglé le compte de ce teigneux.