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Seulement, auparavant, si ça ne vous ennuie pas, m’sieur Dugenou, je vais piquer une petite ronflette. Vous savez ce que c’est qu’une convalescence ? On devient comme un nouveau-né ou comme un chat castré. Dormir est une nécessité permanente.

Permettez-moi un léger roupillon, m’sieur Dugenou. Et ensuite je serai votre homme.

Foi d’Édouard !

CHAPITRE II

LE TEST

Les lumières crues. Chacun de leurs rayons est une aiguille. Je m’éveille. Je suis toujours sur la table d’opération, mais le cadran s’est éteint. Aucun lien ne m’emprisonne plus. Le bruit léger d’une plume courant sur du papier attire mon attention. Je tourne la tête en direction du bureau métallique. Joan a retrouvé l’attitude qu’elle avait lorsque j’ai pénétré dans la pièce. J’admire ses hanches bien prises, en rêvant de les prendre à mon tour.

— Excusez-moi de vous avoir momentanément abandonnée, lui lancé-je plaisamment. Mais il semblerait que ça ne soit pas entièrement de ma faute.

— Oh, Édouard, vous voici réveillé.

Le pauvre Édouard quitte la table capitonnée. Ses cannes mollassonnent un brin, pourtant il parvient à reconquérir son centre de gravité. À petits pas évasifs je me dirige vers la burlingue de la môme. Elle est en train d’écrire des notes dans une case d’un grand panneau étalé devant elle.

Un titre rédigé en caractères en relief domine la pyramide des cases. Je lis « Traitement T.C. d’Édouard Moran. » Une date est portée au début des douze premières cases, précédant des indications rédigées en abrégé et auxquelles je ne pige rien.

Joan me laisse examiner impudemment son boulot d’écriture. Elle continue de jeter ses mystérieuses annotations à petites convulsions de stylo. En tête de la case qu’elle noircit, je lis la date du 18 octobre. Je ne sais pas pourquoi la chose me trouble, me choque même. Je pose mon doigt sur le papier glacé.

— Qu’est-ce que ça signifie, 18 octobre, Joan ?

Elle relève la tête. Un sourire m’est tendu.

— En voilà une drôle de question, Édouard. Ça veut dire que nous sommes le 18 octobre.

Je secoue la tête. Ça y est, je sais maintenant l’origine de mon trouble.

— Pas du tout, Joan, vous vous gourez, ma toute belle, nous sommes le 18 septembre, ou quelque chose dans ce genre ! Attendez… Je réfléchis… Je revois un calendrier dans un grand bureau maussade, très administratif, où un gros crasseux est en train de tartiner des rillettes du Mans sur une moitié de pain de deux livres. 17 septembre, annonce le calendrier. Je ne me rappelle plus bien quel est ce bureau ni qui est ce gros homme, par contre je suis certain d’avoir consulté ce calendrier la veille d’aujourd’hui, c’est-à-dire hier, sauf erreur.

Le sourire de Joan s’évapore. Son regard se fait insistant, soudeur. Quand vous essayez un costar, les gars, c’est pas dans la glace qu’il faut essayer de découvrir s’il vous va, mais dans les yeux du tailleur. Je lis ma détresse dans ceux de la fille. Une détresse peut-être pas physique, spectaculaire en tout cas.

— Nous sommes le 18 octobre, Édouard. Ça fait un mois que vous êtes ici.

— Un mois ?

Voilà que des trucs indéfinis remuent en moi, bouillonnent.

— Je vous le jure, vous ne me croyez pas, Édouard ?

J’essaie de réfléchir…

— Si, admet-je d’un ton piteux. Si, Joan, je vous crois… Seulement il me semblait…

— Toujours se méfier des apparences, Édouard.

Je secoue ma pauvre tronche accablée.

— En effet. Un mois… Est-ce qu’on a prévenu…

Je m’arrête. Il y a des nuages plein ma tête.

— Qui ? demande ma petite camarade.

Elle paraît avide de ma réponse. Et moi, pauvre pomme, j’ai beau me tisonner les méninges, je ne parviens pas à y faire naître une image précise. Confusément, je vois un escalier à la rampe luisante, un couloir, une photo d’homme morose…

— Je ne sais pas… Attendez… Non, ça ne me revient pas. Il me semble pourtant que quelqu’un m’attend.

— Que voyez-vous ? demande durement Joan, un peu comme M. Mir interroge Mme Mirosca.

— Je vois… Un jardin… Avec des grands immeubles tout autour…

— Et puis ?

— Un bronze d’art sur une desserte, qui représente Diane chasseresse.

— Et encore ?

— Une vieille dame. Attendez, ça doit être ma…

— Votre ?

Je sue, mon cœur breloque.

— Ma… Est-ce que j’ai encore ma mère, Joan ?

— Non, mon chéri, soupire-t-elle en me prenant la main pour la frotter sur sa joue, vos parents sont morts dans un accident de voiture, voici quatre ans, en Écosse, vous savez bien ?

Je me relaxe un chouïa.

— Oh ! oui… C’est insensé, je l’avais… oublié !

— Ce n’est rien, le traitement en cours vous fatigue un peu cérébralement. Venez vous coucher, mon amour.

Joan me prend le bras. On arpente un couloir. On arrive dans une chambre sans fenêtre meublée d’un cosy corner, d’une table et d’une chaise. Et que vois-je, aux murs ? En grand, en couleur, en pied ? Deux photographies identiques de Samuel Polsky. C’est bien lui, avec son gros pif, ses yeux gris ardoise, son crâne dégarni, son léger embonpoint. Il me regarde d’un air guilleret, Samuel. Ou plutôt Samu, comme nous l’avons surnommé.

— Mais c’est Samu ! m’exclamé-je.

Joan bat des mains comme une gamine qui craignait de rester fille unique et qui regarde se comporter ses parents par le trou de serrure de leur chambre.

— Édouard, c’est merveilleux ! s’écrie-t-elle. Voilà que vous vous souvenez de Samu !

— Tu sais que t’es un marrant dans ton genre ? déclare mon ami Dimitri de sa belle voix plein de « r ».

— Pourquoi dis-tu ça ?

— Ces séances, c’est devenu ton vice.

— Un malade n’est pas vicieux parce qu’il prend les potions chargées de le guérir, hé, pomme-à-l’huile !

Il hoche la tête.

— En somme, ça te fait du bien ?

— Mon traitement ? Tu parles. Tout devient limpide dans ma tête. C’est dur tu sais, de se remettre d’un traumatisme crânien.

Je déboule dans la salle de soins et m’installe sur ma table en attendant Joan. Ma douce infirmière entre en coup de vent. Ses joues sentent le frais. Elle m’embrasse longuement.

— Tu sens bon, chérie, je lui murmure en humant son odeur d’hiver. Tu viens de faire ta séance de manège ?

— Non, aujourd’hui je me suis offert une balade en forêt. Magnifique… J’ai vu un chevreuil.

Elle éteint et branche le T.C.

Au fait ça signifie quoi, T.C. ? C’est par ces initiales qu’elle qualifie l’appareil placé au-dessus de la table. Je lui demande.

— Ça veut dire Transformateur Cérébral, me répond-elle.

L’écran se découpe au creux de la nuit, blanchâtre comme une bouillie de bismuth. Il se clarifie et Samu s’avance vers moi.

Ses lèvres remuent.

— Passe-moi les écouteurs, chérie ! m’écrié-je, Samu me parle et je n’entends pas ce qu’il me dit !