— Officier de police à Paris, me répond le type fané.
— Comment êtes-vous venu ici ?
— On m’y a amené !
— Qui ?
— Des gens que je ne connais pas.
— Vous êtes sûr de ne pas les connaître ? insisté-je en lui frictionnant les oreilles jusqu’à ce qu’elles deviennent d’un violet épiscopal.
Il proteste :
— Écoute, San-Antonio, vraiment, ça n’est pas pensable que tu agisses ainsi avec moi !
— Moment ! Pourquoi m’appelez-vous San-Antonio ?
— Parce que vous êtes San-Antonio, balbutie le greloteux.
— Mensonge ! Qui est le San-Antonio en question ?
— Mais, un commissaire des services spéciaux. Comme si tu…
La rogne me prend. Je biche cet animal par le cou, d’une seule main, tandis que de l’autre, je lui tanne tout le portrait à coups de poing très secs.
Il crie, il gémit, il proteste, il se tait, il saigne, il s’affale.
— Reprenons, déclaré-je après l’avoir lâché. Pourquoi prétendez-vous que je suis ce commissaire en question, sachant parfaitement que c’est faux ?
Une voix misérable, ébréchée, clapote dans un cloaque de sang et de salive :
— Excusez-moi. Vous lui ressemblez tellement !
— Ah oui ?
— Votre mère… Enfin, la mère de San-Antonio s’y tromperait !
— Vous êtes certain de ne pas vous foutre de ma gueule ?
— Je vous jure !
— Nous examinerons cette question par la suite. Revenons à nos moutons. Comment êtes-vous entré en contact avec des gens que vous prétendez ne pas connaître ?
— En enquêtant sur des disparitions d’enfants survenues dans la région parisienne.
— Expliquez…
Et voilà ce maigrichon personnage qui se met à me débiter une histoire abracadabrante de forêt où les enfants s’évanouissent. De souterrain conduisant à des ruines. De sentier menant à un moulin où il pénètre nuitamment en compagnie de mon sosie. Un jardinier l’arrête et, sous la menace d’un fusil, le conduit au maître de la maison, qui n’est autre que Daudeim. Celui-ci déclare qu’il va le remettre à la police. Effectivement deux agents viennent le cueillir. Ils l’interrogent, lui font raconter toute son histoire. Et puis, lorsqu’il a terminé son récit, ils sortent un masque à gaz d’une sacoche et l’endorment proprement car c’étaient de faux policiers.
Depuis tantôt deux mois, on le retient prisonnier. On l’a transporté à plusieurs reprises, il en a eu conscience, mais comme chaque fois on l’endormait, le dénommé Pinaud n’a pu évaluer la distance. Il ne sait rien de plus. Il ignore ce qu’est devenu son supérieur avec lequel il me confond… Il ne sait pas ce qu’on attend de lui.
Ça sent la ménagerie mal soignée dans sa chambre. Il paraît sombrer dans la neurasthénie, ce citoyen. Louis XVII au Temple ! Il voudrait qu’on rassure sa femme ! Qu’on réclame une rançon pour sa remise en liberté. Il a des titres de rente à vendre. Une petite maison de campagne à hypothéquer. Il pourrait réunir une somme appréciable. Excédé, je le mets K.O. d’un crochet au menton.
La porte se rouvre sur un Daudeim souriant.
— Bon, je vais vous faire mon rapport, Al, déclaré-je en arpentant le couloir.
— Inutile, Édouard, j’ai tout suivi au stupro-magnétique. Cela a très bien marché, bravo !
— Pff, routine, soupiré-je en me laissant tomber dans un fauteuil du salon, c’était vraiment une toute petite remise en train.
Joan est en train de regarder la télévision. Elle a branché la chaîne couleur. On y donne un programme sur l’Amazonie. Le commentateur parle d’abondance avec un accent rocailleux des plus curieux.
— Alors ? demande ma maîtresse en se tournant vers nous.
Daudeim brandit son pouce pour témoigner de la perfection de mon comportement.
— Dis-moi, Édouard, murmure Joan, le type que tu viens d’interroger, l’avais-tu déjà rencontré ?
— C’est marrant que tu me demandes cela, Joan.
— Pourquoi ?
— J’ai eu effectivement l’impression de le connaître en pénétrant dans sa chambre. C’est d’autant plus étrange qu’il m’a, de son côté, pris pour un autre, un dénommé San-Antonio.
Je me prends la tête à deux mains. Je ferme les yeux. Mais il y a des paillettes d’or qui tourbillonnent dans le noir de ma nuit interne.
— Écoutez, leur dis-je tout à coup, je dois vous avouer une chose, encore. Ce nom : San-Antonio, ça éveille je ne sais quoi, en moi. Est-ce normal dites, vous qui m’avez soigné ?
Joan hoche la tête.
— C’est normal, Édouard.
— Ça t’ennuie de m’expliquer pourquoi ?
— Il vaut mieux pas pour l’instant, ça risquerait de perturber ton traitement.
— Dommage, c’est très troublant. San-Antonio… Ces quatre syllabes ont à mes oreilles une résonance familière. Et puis tu ne trouves pas énorme que ce… Pinaud me confonde avec lui ?
— Ne te tracasse pas. Ces incidents font partie du plan ourdi par Samu.
— En ce cas, je vais essayer de n’y plus penser.
— Vous voilà dans d’excellentes dispositions, approuve Al. Dites-moi, je vais avoir un nouveau travail à vous confier, un peu plus délicat que le premier.
— Envoyez : j’ai besoin d’action.
— Il s’agit toujours de notre prisonnier.
— Qu’est-ce qu’on doit en faire ?
Daudeim sourit et allume une cigarette.
— Un mort, fait-il en expirant un panache de fumée odorante.
— À vos ordres, Al. Et de quelle manière ?
— Vous avez une spécialité… heu, redoutable ce me semble, non ?
— En effet, mais elle nécessite un certain instrument.
Mon hôte me désigne un meuble peint de style vaguement Louis XV.
— Regardez un peu là-dedans et dites-moi si vous y trouvez votre bonheur, Édouard.
Je vais ouvrir le placard. Il contient des tas d’armes et d’instruments divers. Il y a là des carabines à lunette, des revolvers, des pistolets, des coutelas, des fouets, des matraques.
— C’est un véritable arsenal, m’exclamé-je.
— N’est-ce pas ?
Je décroche une lanière de cuir, longue de quelque quatre-vingts centimètres et dont chacune des deux extrémités est terminée par une boule de plomb de la dimension d’un œuf. Je soupèse l’arme — car c’en est une — avec satisfaction et referme le placard.
— Voilà mon instrument à corde, dis-je en balançant l’une des boules comme un pendule.
— Magnifique, exulte Daudeim. Vous croyez pouvoir encore vous en servir avec votre maestria habituelle ?
— Nous allons voir.
Je lève mon bras tenant une boule et fais tournoyer l’autre au-dessus de ma tête.
— Hé, là ! Prenez garde ! s’affole Al en se jetant à genoux derrière son fauteuil.
Je lâche la boule. La lanière part en sifflant et en tournoyant. Elle va se nouer au col d’une statue de marbre représentant quelque divinité grecque. Le lacet de cuir s’entortille autour du cou de la déesse jusqu’à ce que les deux billes de plomb se trouvent réunies.
— Convaincu, maintenant ? demandé-je à Daudeim.
Il se lève, fort ému. Il ne vient pas à moi, mais se dirige vers Joan qu’il étreint fougueusement.
— Ah ! Joan, Joan, balbutie-t-il. Joan ! Vous avez réussi un miracle !
CHAPITRE III
IL VAUT MIEUX ETRE AU PIED DU MUR QUE DE L’AUTRE COTE !
Daudeim dans des simagrées de mômasse, il faut le voir pour y croire. C’est son retour de carburo qui le travaille ?