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STEPHEN KING

Fin de ronde

Pour Thomas Harris

Get me a gun Go back into my room I’m gonna get me a gun One with a barrel or two You know I’m better off dead than Singing these suicide blues.
Cross Canadian Ragweed [1]

10 AVRIL 2009

MARTINE STOVER

C’est toujours avant l’aube qu’il fait le plus noir.

Ce vieux poncif traversa l’esprit de Rob Martin alors que l’ambulance qu’il conduisait remontait lentement Marlborough Street vers leur base, la caserne de pompiers no 3. Selon lui, celui qui avait trouvé ça avait vraiment mis le doigt sur quelque chose, parce que ce matin, il faisait plus noir que dans le trou du cul d’une marmotte. Et l’aube n’était pas loin.

Pas que le jour promettrait grand-chose quand il finirait par se lever : appelez ça l’aube avec une gueule de bois. Le brouillard était épais et apportait l’odeur du Grand Lac pas si Grand que ça. Histoire de compléter le tableau, une petite bruine froide avait commencé à tomber. Rob tourna la molette des essuie-glaces de position intermittente à lente. Au-devant, deux arches jaunes reconnaissables entre mille surgirent de la purée de pois.

« Les Mamelles Dorées de l’Amérique ! » s’exclama Jason Rapsis depuis la place du mort.

Rob avait travaillé avec un nombre incalculable d’ambulanciers au cours de ses quinze années dans les secours, et Jace Rapsis était le meilleur : de bonne compagnie quand il ne se passait rien, imperturbable et hyper compétent quand tout arrivait d’un coup.

« Nous ne connaîtrons plus la faim ! Dieu bénisse le capitalisme ! Arrête-toi, arrête-toi !

— T’es sûr ? demanda Rob. Après la leçon qu’on vient de recevoir sur les effets de cette merde ? »

Ils revenaient d’un de ces manoirs de Sugar Heights où un homme du nom de Harris Galen, se plaignant de douleurs abdominales aiguës, avait appelé le 911. Ils l’avaient trouvé étendu sur le canapé dans ce que les gens riches appelaient sans doute « le grand salon » : baleine échouée en pyjama de soie bleue. Sa femme planait au-dessus de lui, convaincue qu’il allait casser sa pipe d’un moment à l’autre.

« McDo ! McDo ! » scandait Jason.

Il sautillait sur son siège comme un gosse. Il n’avait plus rien du secouriste compétent et sérieux qui avait pris les signes vitaux de M. Galen (Rob le secondant, sac de premiers secours en main avec son matériel d’intubation et ses solutions injectables pour arrêts cardiaques). Avec ses cheveux blonds lui tombant dans les yeux, Jason avait l’air d’un ado attardé de quatorze ans.

« Arrête-toi, j’ai dit ! »

Rob s’engagea sur le parking. Il se ferait bien un petit sandwich du matin lui aussi, et peut-être une de ces croquettes aux pommes de terre qui ressemblaient à des langues de bison rôties.

Il y avait une petite file de voitures au drive-in. Rob se glissa en bout de queue.

« Et puis, c’est pas comme si ce type avait eu une vraie crise cardiaque, dit Jason. Overdose de bouffe mexicaine, c’est tout. Il a refusé qu’on l’emmène à l’hôpital, pas vrai ? »

Vrai. Après quelques rots tonitruants et un coup de trombone depuis les parties basses qui avaient fait fuir sa chic femme anorexique vers la cuisine, M. Galen s’était assis, avait affirmé qu’il se sentait beaucoup mieux et leur avait dit que non, il ne pensait pas avoir besoin qu’on le transporte au Kinner Memorial. Rob et Jason ne le pensaient pas non plus, pas après l’avoir écouté énumérer tout ce qu’il avait englouti au Tijuana Rose la veille au soir. Son pouls était fort — l’avait probablement toujours été — même si sa tension laissait un peu à désirer, et il était stable. Le défibrillateur automatique externe n’était jamais sorti de son sac de toile.

« Je veux deux McMuffin Œuf et deux röstis, annonça Jason. Et un café noir. Non, attends, prends-moi plutôt trois röstis. »

Rob pensait toujours à Galen.

« C’était une indigestion aujourd’hui mais la prochaine fois ce sera du sérieux. Infarctus foudroyant. Il pesait combien, tu crois ? Cent trente ? Cent soixante ?

— Au moins cent cinquante, répondit Jason. Et arrête d’essayer de gâcher mon petit-déj’. »

Rob tendit le bras en direction des Arches Dorées qui perçaient à travers la brume due à la présence du lac.

« Cet endroit et toutes les baraques à graisse du même genre représentent la moitié de ce qui va mal en Amérique. En tant que professionnel de santé, je suis sûr que t’es au courant de ça. Ce que tu viens de commander ? C’est neuf cents calories direct, mec. Ajoute de la saucisse dans ton McMuffin et t’es pas loin des mille trois cents calories.

— Et toi, docteur Santé, tu prends quoi ?

— Muffin Saucisse. Peut-être deux. »

Jason lui tapa sur l’épaule.

« Ça, ça me plaît ! »

La file avança. Ils étaient à deux voitures de la fenêtre de commande quand l’ordinateur de bord se mit à brailler. Les répartiteurs étaient généralement calmes et pleins de sang-froid mais celle-ci parlait comme une chroniqueuse de radio ayant descendu trop de Red Bull.

« Appel à tous les véhicules, ambulances et pompiers, on a une SMV ! Je répète, SMV ! Ceci est un appel de haute priorité à tous les véhicules, ambulances et pompiers ! »

SMV : abréviation pour situation à multiples victimes. Rob et Jason se regardèrent. Accident d’avion, accident de train, explosion, ou bien attaque terroriste. C’était forcément l’un des quatre.

« Localisation : City Center sur Marlborough Street. Je répète, City Center sur Marlborough. SMV, nombreux morts probables. Soyez prudents. »

L’estomac de Rob Martin se noua. On ne leur disait jamais d’être prudents quand ils partaient sur les lieux d’un accident de grande ampleur ou d’une explosion de gaz. Ce qui laissait supposer une attaque terroriste, et il se pouvait qu’elle soit toujours en cours.

La régulatrice répétait sa tirade. Jason enclencha sirène et gyrophares pendant que Rob braquait le volant et engageait son Freightliner dans la voie de contournement du restaurant, accrochant dans la manœuvre le pare-chocs de la voiture arrêtée devant eux. Ils n’étaient qu’à neuf blocs du City Center, mais si al-Qaida mitraillait encore l’endroit à la Kalachnikov, la seule chose qu’ils auraient pour riposter serait leur fidèle défibrillateur.

Jason attrapa le micro.

« Reçu, ici ambulance 23, caserne 3, arrivée prévue dans six minutes. »

Des sirènes retentissaient dans d’autres parties de la ville mais, au son, Rob devinait que c’était eux les plus proches des lieux. Une lueur de plomb avait commencé à saturer l’air et, alors qu’ils quittaient le McDonald’s et enfilaient Marlborough Street, une voiture grise se matérialisa hors du brouillard gris : une grosse berline au capot enfoncé et à la calandre salement rouillée. Un court instant, ses feux HD, en position pleins phares, furent dirigés droit sur eux. Rob appuya sur le double klaxon pneumatique et fit une embardée. La voiture — ça ressemblait à une Mercedes, mais il n’aurait pu l’affirmer — se rabattit sur sa voie et ne fut bientôt plus qu’une paire de feux arrière disparaissant dans le brouillard.

« Bon Dieu, c’était moins une, dit Jason. J’imagine que t’as pas eu le temps de relever la plaque ?

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1

Groupe de rock américain. Chanson Suicide Blues.

Retourner dans ma piaule Me chercher un flingue Je vais me chercher un flingue Avec un canon ou deux Tu sais je vaux mieux mort Qu’à chanter ces blues de suicide.