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– Non. Non, au contraire, cela me fait du bien de parler d’eux... d’essayer... de les expliquer à quelqu’un de compatissant... Les Brévailles avaient en tout quatre enfants, deux garçons et deux filles. Jean, l’aîné, avait trois ans de plus que Marie mais dès leur petite enfance on put remarquer qu’une profonde affection, exclusive et tenace les unissait. Les parents, pas plus que moi, ne s’en souciaient sinon pour en sourire. On les appelait « les jumeaux » parce qu’ils se ressemblaient d’étonnante façon et parce que, seuls parmi les autres enfants, ils étaient de cette extraordinaire beauté que vous avez dû remarquer, messire. C’était un caprice de la nature et nous y voyions la raison de cette préférence que Jean portait à Marie et que Marie portait à Jean. Les Brévailles étaient fiers de la beauté de leurs enfants et citaient en exemple leur tendresse mutuelle sans qu’un instant la pensée ne les eût effleurés que cet amour dût, avec les années, devenir moins pur. Quels parents d’ailleurs pourraient avoir jamais une telle idée ?

– C’est difficile à imaginer, sans doute, mais il est des exemples. On a parlé d’un comte d’Armagnac et de sa sœur...

– Quand on est de très haute maison, peut-être se croit-on au-dessus des règles de la morale et de l’opinion publique ? Chez les Brévailles, qui sont de bonne noblesse simplement, on ne saurait se permettre un tel scandale. Lorsque Jean eut treize ans, le chancelier de Bourgogne, maître Nicolas Rollin, qui est un ami de la famille, obtint pour lui d’entrer comme page au service de monseigneur le comte de Charolais, fils du duc Philippe, afin d’y apprendre à la fois les armes et le ton de la Cour. Messire de Brévailles, qui avait renoncé aux armes après le siège de Compiègne où il avait été grièvement blessé, fut très heureux de cette circonstance qui allait permettre à son fils d’apprendre la chevalerie sous un prince qui s’en veut le serviteur enthousiaste. Et Jean partit pour Lille.

Dire ce que fut le désespoir de Marie est impossible. Son chagrin de ce départ fut si violent que sa mère craignit un instant pour sa raison et que l’enfant languit de longs mois avant de retrouver la santé.

L’absence de Jean dura quatre ans. De page il était devenu écuyer de monseigneur Charles et quant il revint passer avec les siens la Noël de l’an 1455, chacun put voir qu’il avait la plus fière mine qui se puisse voir. Quant à Marie, qui avait appris le chant, la danse, la musique et la manière de tenir une maison, sa beauté fleurissait avec un tel éclat que les demandes en mariage commençaient à affluer. Elle les refusait toutes en assurant qu’elle ne souhaitait pas quitter la demeure de ses parents, où elle se trouvait pleinement heureuse.

C’est au retour de Jean que les choses prirent une tournure grave. Pour ma part, j’en eus le pressentiment devant l’attitude de ces deux enfants. Dès qu’ils se furent retrouvés, ils ne se quittèrent plus. Ils s’asseyaient toujours l’un près de l’autre en se tenant la main. Ils multipliaient les occasions de s’isoler et faisaient ensemble de longues promenades à cheval. Une nuit... ce fut le drame... et je regrette de dire que j’en fus l’artisan.

Antoine Charruet s’éloigna de la table et alla s’asseoir près du feu auquel il tendit ses mains maigres qui avaient recommencé à trembler.

– Ce soir-là, Jean avait appris à Marie une danse de cour fort gracieuse sans doute mais dont les figures, pleines de langueur, n’étaient pas de mise entre frère et sœur. En outre, j’avais remarqué certain trouble, certain frémissement quand leurs yeux se rencontraient ou quand leurs mains se joignaient. Tout cela me tint éveillé assez tard dans la nuit. Je sentais croître ma nervosité et je finis par comprendre que je ne pourrais pas trouver le sommeil tant que je n’aurais pas parlé à Jean. Il fallait que je le décide à rejoindre monseigneur de Charolais dès le lendemain. Je pris donc ma chandelle et me dirigeai vers sa chambre qui se situait dans l’une des tours, c’est-à-dire assez à l’écart de celles de la famille.

En arrivant, je vis qu’un peu de lumière filtrait sous la porte et j’en fus content car cela m’évitait de réveiller le garçon. Très doucement, j’ouvris la porte, pensant le surprendre en train de lire ou d’écrire. Hélas, ce que je vis était à la fois terrifiant et de la plus fascinante beauté : dans le grand lit aux rideaux rouges, sous la lumière douce d’une chandelle Jean et Marie s’aimaient...

Je ne sais ce que vous auriez fait à ma place. J’aurais dû, sans doute, m’élancer dans la chambre, arracher Marie à ce lit, à ces bras où elle semblait goûter un bonheur indicible. Je ne l’ai pas pu. Un instant, je les ai contemplés perdus dans leur amour qui les magnifiait... et puis j’ai refermé la porte doucement, tout doucement et je suis rentré chez moi pour y prier le reste de la nuit. Le mal était fait d’ailleurs et quelques heures de plus ou de moins n’y changeraient rien.

Dès l’aube, je fus chez Jean qui cette fois était seul. Je lui dis ce que j’avais vu et lui ordonnai, au nom du Seigneur, de quitter immédiatement cette maison qu’il n’avait pas craint de souiller. Il ne protesta pas. Il dit seulement : « Nous nous aimons et rien ni personne ne nous en empêchera ». Néanmoins, il accepta de partir. S’il avait refusé, j’aurais été obligé de prévenir son père et il le savait.

A Marie plongée dans les larmes par ce départ si brutal je ne dis rien mais j’allai trouver ses parents et leur fit entendre qu’il était temps de marier leur fille. A ma surprise, je les y trouvai décidés. Eux non plus n’avaient pas aimé la danse de cour... Et, cette fois, Marie n’aurait plus le droit de refuser l’époux qu’on lui offrirait.

Le malheur voulut que, sur ces entrefaites, je fusse obligé de m’absenter quelques semaines, mais je partis tranquille, persuadé qu’à mon retour les choses auraient retrouvé un cours normal. Dans mon idée, je pensais qu’un époux jeune, beau et amoureux aurait vite raison du souvenir de Jean. J’avais fini par me persuader que la scène dont j’avais été le témoin n’était qu’une folie passagère, un grave enfantillage. Ils étaient si jeunes tous les deux !

Lorsque je revins, Marie était fiancée et, contrairement à ce que j’espérais, j’en fus consterné. Par je ne sais quelle aberration, Pierre de Brévailles, en dépit des prières de sa femme, avait jeté son dévolu sur Regnault du Hamel. Vous l’avez vu, je n’ai donc pas à vous le décrire. Je me bornerai à vous dire que, conseiller et lieutenant de la chancellerie au siège d’Autun, fort riche de surcroît, il avait de hautes et puissantes relations qui en faisaient un gendre souhaitable. En outre, il prenait Marie sans dot, ce qui avait compté dans la décision de Brévailles. Ses finances, je l’appris alors, n’allaient pas au mieux... Auprès de cela, l’amour ne pesait pas lourd.

Jamais je n’ai célébré mariage plus dramatique. Il fallut positivement traîner à l’autel une petite Marie défigurée par les larmes au point que je voulus refuser d’officier. Mais du Hamel avait avec lui un sien cousin, chanoine de Saint-Benigne de Dijon qui était tout prêt à me remplacer. Je bénis donc ce mariage et j’en porterai le poids jusqu’à ma dernière heure.

Car, à peine Marie fut-elle entrée dans la maison d’Autun où résidait son époux que la vie devint pour elle un enfer. Du Hamel se montrait d’une avarice sordide et d’une jalousie de maniaque. Marie, soumise à l’incessant espionnage de ses gens vivait enfermée, mal nourrie, privée de tout ce qui peut rendre la vie agréable à une jeune femme. La naissance d’une petite fille qui vint neuf mois après le mariage n’arrangea rien. Le mari voulait un fils et rendit sa femme responsable de ce qu’il considérait comme une offense. En outre, ce qui est plus grave encore, il prêta l’oreille à certains commérages touchant la nature réelle des sentiments que Marie nourrissait envers son frère.