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– Plus depuis un mois, mais cela ne semble pas t’avoir frappé ? Ces pauvres gens pensaient que les pluies incessantes venaient de ce que l’on avait enterré Pazzi, suppôt de Satan, dans une église. J’espère tout de même qu’on va l’enterrer quelque part ?

– Ah bon ! Ah ! ... Très bien ! L’enterrer ? Oui, je crois que Petrucci a dit quelque chose là-dessus. On va fourrer le vieux brigand près des remparts, du côté de la porte San Ambrogio, me semble-t-il. Colomba ! Je reprendrais bien une moitié de pigeon...

Son repas terminé, il alla chercher un gros chat noir et blanc qui sommeillait devant la cheminée, le mit sous son bras et regagna son cabinet de travail après avoir souhaité la bonne nuit aux deux filles.

Celles-ci partagèrent le lit de Chiara comme autrefois. Elles avaient toujours tant de choses à se dire et, ce soir, bien sûr, plus que par le passé. Une bonne partie de la nuit suffirait à peine. C’était une belle nuit paisible, la première depuis plusieurs semaines et le clair de lune, voilé par un léger brouillard à reflets nacrés, éclairait la chambre d’une lumière un peu mystérieuse. Par la fenêtre de Chiara, un acacia blanc étirait une branche jusqu’à l’intérieur de la pièce égrenant sur le tapis ses fleurs fragiles au parfum délicat. Dans cette atmosphère pleine de la douceur d’autrefois, Fiora put ouvrir son cœur à son amie avec plus d’abandon qu’elle ne l’avait fait jusqu’à présent, même avec Démétrios. Chiara, étant femme, pouvait comprendre les élans secrets d’une autre femme mieux que n’importe quel homme.

Comme le médecin, Chiara encouragea son amie à garder secret le malheureux mariage avec Carlo Pazzi.

– Nous allons avoir la guerre et Rome va se trouver bientôt beaucoup plus loin de Florence qu’elle ne l’est en réalité. Tu as toutes les chances de ne revoir jamais ce pauvre garçon.

– Je n’en suis pas moins mariée à lui, et il s’est comporté en ami. Je sais aussi qu’il est malheureux loin de sa chère maison de Trespiano. Si seulement je pouvais la lui faire rendre !

– Je comprends ton souhait, mais attends encore un peu. Lorenzo donne l’impression d’un écorché vif depuis le crime. Tu lui apportes un adoucissement sans nul doute précieux, mais il faut se méfier de ses réactions. D’autre part, comment penses-tu organiser ton avenir ? Tu ne peux rester dans cette situation fausse que te crée le... la passion du maître ?

– Tu allais dire le caprice, et je crois que c’est le mot juste. Qui était la maîtresse de Lorenzo quand je suis revenue ? Car je suis certaine qu’il en avait une ?

– Oui. Bartolommea dei Nasi. Une belle fille, pas très maligne, mais les siens le sont pour elle. Ils pourraient trouver désagréable que ta présence ait tari leur corne d’abondance. Tu risques même d’être en danger.

– Ils auraient tort de charger leur âme d’un crime. Je m’éloignerai de Lorenzo un jour ou l’autre. Seulement, je ne veux pas le blesser.

– Sois franche ! Ni renoncer déjà à ce que tu trouves auprès de lui ?

– C’est vrai. Je voudrais que cette situation se prolonge encore un peu. A l’entendre, d’ailleurs, il souhaite que cela dure longtemps et m’a proposé d’envoyer au Plessis chercher mon fils et Léonarde, mais je n’ai pas encore pu me résoudre à accepter. Je ne sais pas pourquoi, car ce serait dans l’intérêt de l’enfant. Élevé ici, il recevrait tout naturellement l’éducation nécessaire pour reprendre en totalité les affaires de mon père.

– Tu ne parles pas sérieusement ?

– Mais si. Dès sa naissance, j’ai souhaité faire de lui un homme tel que l’était mon père : courageux, lettré, humain, généreux et ouvert à la beauté. Est-ce que cela te paraît si invraisemblable ?

– A mon tour d’être franche : oui.

– Mais pourquoi ?

– Ce n’est pourtant pas moi qui ai épousé messire de Selongey ! Tu oublies que ton fils est aussi le sien, qu’il porte un grand nom dans son pays, même si c’est celui d’un homme qui a payé sur l’échafaud sa fidélité à une cause perdue. Tu ne peux pas en faire un bourgeois florentin...

– Je ne vois pas en quoi ce serait déchoir ?

– Il est possible que tu ne le voies pas, mais lui le verra un jour. Quand il sera grand, il posera des questions auxquelles il te faudra répondre. Et alors, qui te dit qu’il ne préférera pas une vie misérable, une vie de proscrit en accord avec ce qu’avait choisi son père, à la vie fastueuse dont tu rêves pour lui, mais où il ne se reconnaîtra pas ? Tu as été déracinée, toi, et tu sais ce que cela t’a coûté. Ne fais donc pas subir la même épreuve à ton enfant ! Elève-le dans l’amour et le souvenir de ton époux...

– Est-ce vraiment incompatible avec la vie d’un des hauts personnages de notre cité ?

– Peut-être pas, mais à la condition que tu ne sois plus, et depuis longtemps, la maîtresse de Lorenzo. Je sais, ajouta Chiara en souriant, j’ai l’air de te vouer à une austérité pour laquelle tu n’es pas faite, mais je crois que si j’avais un enfant, je m’y résoudrais avec joie...

Sans répondre, Fiora passa un bras autour du cou de son amie, l’embrassa, puis laissa son visage contre le sien sans se rendre compte que des larmes coulaient sur ses joues.

– Ne pleure pas, fit Chiara. Je suis sûre qu’il y a encore de beaux jours à venir pour toi... A présent, si nous dormions ? L’aube va bientôt venir.

Ce ne fut pas le jour qui les éveilla, mais un véritable hurlement poussé par Colomba. En un clin d’œil, elles se retrouvèrent pieds nus et en chemise sur les marches de marbre de l’escalier, courant vers la porte grande ouverte du palais en travers de laquelle la grosse Colomba était évanouie. Une servante lui tapotait les joues sans conviction tandis qu’au-dehors un valet levait le poing en glapissant des injures. Un jeune homme très élégant joignait sa voix à celles du serviteur et de Lodovico Albizzi qui, en robe de chambre et son chat sous le bras, trépignait et poussait des cris inarticulés.

En les rejoignant, les deux jeunes femmes virent une troupe d’enfants qui s’éloignaient en dansant, traînant quelque chose au bout d’une corde.

– Qu’est-ce que c’est, mon oncle ? demanda Chiara inquiète de voir le vieil homme rouge de fureur.

– Hé, c’est toujours ce vieux diable de Jacopo Pazzi ! Le voilà qui traîne encore par les rues ! Je n’ai jamais vu un mort s’agiter autant...

Ce qui s’était passé, Fiora, qui faisait boire à la pauvre Colomba quelques gouttes d’eau-de-vie, l’apprit de sa bouche même. Tandis qu’elle veillait à la préparation du premier repas, la gouvernante de Chiara avait entendu, dans la rue, chanter une troupe d’enfants. L’instant d’après, le heurtoir de la porte avait été vigoureusement agité. Colomba était allée ouvrir, et c’est alors qu’elle avait poussé ce cri qui avait réveillé une partie de la maison : accroché à la chaîne de la cloche, un cadavre à demi décomposé dodelinait flasquement tandis qu’autour de lui les gamins riaient et criaient :

– Frappe à la porte, ser Jacopo ! Frappe à la porte ! Ouvrez à messer Jacopo di Pazzi !

L’arrivée en trombe de l’élégant jeune homme à cheval les avait mis en fuite. Ils se hâtèrent de décrocher leur hideux trophée et de le traîner plus loin, mais l’épouvantable odeur semblait collée aux pierres du seuil et Fiora, à son tour, se sentit pâlir :

– Ne peut-on emmener donna Colomba dans la maison ? demanda-t-elle, tandis que Chiara s’efforçait de faire rentrer son oncle qui s’obstinait à gesticuler en appelant à la Milice.

– Bien sûr, s’écria le jeune homme qui prit le valet par le bras. Nous venons !

Fiora s’écarta et, à eux deux, ils emmenèrent Colomba que ses jambes flageolantes étaient incapables de porter. Mais, en la relevant, son regard rencontra celui de la jeune femme et il faillit lâcher la malade :