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Levée avec l’aube pour une longue et minutieuse toilette, Fiora revêtit une robe qu’elle aimait particulièrement, faite d’épais cendal blanc brodé de petites branches vertes et d’entrelacs dorés. Incapable de se faire à elle-même une de ces coiffures pour lesquelles il faut l’aide d’une suivante, elle lissa soigneusement ses épais cheveux noirs, puis tressa deux nattes qu’elle épingla sur sa nuque en un lourd chignon qu’aucune lame ne pourrait traverser. C’était sa façon à elle de défier la mort. Après quoi, elle prit un voile blanc, le posa sur sa tête et l’enroula autour de son long cou mince, comme autrefois, au cours de ses longues chevauchées, lorsqu’elle voyageait en robe. Après quoi, elle attendit qu’on vienne la chercher.

Fiora savait qu’elle était autorisée à entendre la messe dans la petite chapelle dédiée à Notre-Dame de Cléry, l’oratoire préféré du roi, qui se trouvait à l’ouest de la première cour, près du donjon. Tornabuoni et le Daim, eux, l’entendraient dans celle du château qui faisait suite aux appartements royaux.

Fiora appréciait cette disposition qui la mettait à l’abri d’une rencontre avec ces deux hommes acharnés à sa perte. En traversant la cour d’honneur pour passer dans la première, elle aperçut devant le logis royal une tribune, tendue aux couleurs de France. Un vaste espace, délimité par des cordes de soie reliant quatre lances fichées en terre, avait été préparé. Le combat, en effet, aurait lieu à l’épée et à la dague afin que l’on sût bien qu’il ne s’agissait pas d’un tournoi. Sous ce beau soleil matinal, les tentures bleu et or donnaient tout de même à ces préparatifs un air de fête.

Cependant, des ordres avaient dû être donnés pour qu’à l’exception de son escorte armée, Fiora ne rencontrât personne. Dans la chapelle, ne se trouvaient qu’un vieux prêtre et son acolyte devant qui elle s’agenouilla pour suivre pieusement l’office divin et recevoir la Sainte Communion. Après quoi, par le même chemin, on la ramena dans sa chambre, sans rencontrer davantage âme qui vive. Le château, en dehors des sentinelles qui veillaient aux murs d’enceinte, semblait plongé dans une profonde torpeur.

Un repas léger de miel, de lait, de pain et de beurre l’attendait, et elle en consomma une bonne partie pour s’assurer qu’aucune défaillance ne viendrait la trahir. Le combat devait avoir lieu en fin de matinée, à la dernière heure avant le milieu du jour, et il ne restait plus beaucoup de temps. Aussi vérifia-t-elle sa coiffure, puis elle se

lava les mains. Elle était prête maintenant à subir son sort quel qu’il fût... Et elle se sentait l’âme en paix. Il ne lui fallait plus qu’un peu de courage et elle pensa à sa mère. Marie de Brévailles, montée à l’échafaud le sourire aux lèvres. Il est vrai qu’elle partait avec celui qu’elle aimait et les choses en avaient sans doute été facilitées. Elle allait devoir mourir seule sans montrer de faiblesse. Fiora pensait qu’elle le devait au nom qu’elle portait, à la mémoire de ses parents réels comme à celle de son père adoptif.

L’aspect de la cour cernée par les bâtiments rose et blanc du château lui parut bien différent de ce qu’il était un peu plus tôt lorsqu’à l’heure prescrite, elle fut conduite à la place préparée pour elle : un siège élevé d’une marche situé à la droite et un peu à l’écart de la tribune royale, à présent emplie d’hommes vêtus de sombre entourant le fauteuil surélevé de Louis XI. Si celui-ci portait encore le collier de Saint-Michel, ses vêtements, par extraordinaire, étaient de velours noir comme le chapeau orné de médailles dont le bord baissé à l’avant accusait la ligne de son nez.

Fiora le salua comme il convenait, puis se dirigea vers sa place. C’est alors seulement qu’elle aperçut le bourreau. Tout vêtu de rouge, sa longue épée sur l’épaule, il avait dû prendre la suite du petit groupe quand il avait quitté la prison, mais Fiora ne l’avait pas remarqué.

En dépit de son courage, elle se sentit pâlir quand il s’installa à deux pas d’elle, les mains appuyées sur la poignée de l’arme dont la pointe était plantée en terre. Alors, elle s’obligea à regarder droit devant elle l’espace délimité par les cordes de soie. L’un des côtés, vers l’entrée du château, restait ouvert, mais, à l’exception de ce passage, la lice était entourée par une file de gardes écossais dont les armures polies étincelaient au soleil sous la cotte d’armes aux fleurs de lys. Hélas, Mortimer n’y figurait pas, et pas d’avantage Philippe de Commynes dans la troupe réduite des conseillers du roi. Aucun public en dehors de ceux-ci, même la herse était baissée entre les deux cours du Plessis. Enfin, debout devant la tribune elle-même adossée au logis royal, il y avait le grand prévôt, juge du combat... Auprès de lui quatre trompettes et, un peu plus loin, quatre tambours habillés de crêpe noir.

Tristan l’Hermite se tourna lentement vers le roi qu’il salua avec la raideur d’un vieux soldat :

– Plaise au Roi d’ordonner que les combattants entrent en lice ?

D’un signe de tête et d’un geste de la main, Louis XI approuva. Un instant plus tard, annoncés par un roulement de tambour, Luca Tornabuoni et Olivier le Daim effectuaient leur entrée et venaient mettre genou en terre devant le souverain. Tous deux avaient revêtu la tunique de cuir et la demi-armure qui convenaient au combat à pied. Derrière eux, un écuyer portait deux épées et deux dagues. Leurs cuirasses leur avaient été prêtées car ils n’en possédaient pas, du moins en France pour Tornabuoni, dont les armoiries avaient été peintes sur le petit bouclier qui lui servirait à se défendre. Le Daim, n’étant pas noble, avait fait peindre un daim sur champ d’azur constituant des armes parlantes. Tous deux affichaient une affreuse pâleur.

A ce moment, la herse se releva pour donner passage au petit cortège du prêtre et du Saint-Sacrement devant lequel les assistants s’agenouillaient au fur et à mesure. Mais, à quelques pas derrière les religieux, une jeune femme marchait en priant. Son grand hennin ennuagé d’azur et sa robe fleurdelisée comme les cottes des Écossais contrastaient avec les tenues funèbres de l’entourage royal. Fiora la reconnut avec un battement de cœur : c’était la seconde fille du roi, Jeanne de France, duchesse d’Orléans. Et, de toute évidence, cette venue contrariait fort son père :

– Pâques-Dieu, ma fille, que venez-vous faire céans ? s’écria-t-il après que l’ostensoire eut été déposé sur un autel portatif drapé d’or et installé par deux moines.

La jeune princesse, pliant le genou avec humilité, leva courageusement vers son père son visage ingrat et ses yeux magnifiques dont la couleur était celle du grand ciel bleu de ce matin.

– Je n’en sais rien encore, Sire mon père, mais il m’a semblé que je devais venir vers vous dès l’instant où vous en appeliez à Dieu pour vous assister dans votre jugement.

– Comment, diantre, avez-vous appris ceci au fond de votre château ?

– J’ai reçu une lettre, Sire, fit Jeanne qui ne savait pas mentir.

– De qui, cette lettre ?

– Souffrez que je diffère ma réponse jusqu’à l’issue de ce combat...

– Comme il vous plaira ! D’ailleurs, je m’en doute. Eh bien, puisque vous voilà, venez prendre place auprès de moi et passons à ce qui nous occupe ce matin.

Son regard sombre revint se poser sur les deux hommes toujours à genoux :

– Maintenez-vous vos accusations contre la dame de Selongey ici présente ?