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– Ne me pousse pas à bout, Fiora ! Jamais je n’accepterai de te perdre, tu entends ? Je veux pouvoir te posséder encore et encore chaque fois que j’en aurai envie et pour cela il faut que je te cache, que je t’éloigne du danger. Si le duc ordonnait ta mort, je serais capable de le tuer... Je t’aime, comprends-tu ? Je t’aime, je t’aime, je t’aime ! ...

– Que vas-tu faire ? demanda-t-elle un moment plus tard tandis qu’avec des gestes redevenus caressants il l’aidait à s’habiller.

– Dès que tu auras quitté Thionville, je partirai pour Soleuvre et je verrai le duc sans attendre qu’il m’appelle. Je lui dirai à quel point je tiens à toi et aussi que je veux faire de toi ma femme. Il n’osera plus, dès lors, s’en prendre à toi. Il a trop besoin des troupes que je commande. Alors, je t’enverrai chercher et nous nous marierons...

– Pourquoi ne pas le quitter au lieu de braver sa colère ? Pars avec moi !

Il hésita, visiblement tenté car la pensée de voir s’éloigner de lui, même pour peu de temps, cette femme adorable le déchirait mais il fallait bien, enfin, que la raison reprît ses droits...

– Je ne peux pas, avoua-t-il. J’ai à payer mes hommes et le duc me doit de l’or...

– Un autre t’en donnerait peut-être davantage ? ...

– Je sais... et il se peut que j’y vienne un jour. Mais pour l’instant, j’entends recevoir mon dû. Le Téméraire a envoyé en Lombardie le Grand Bâtard Antoine, son demi-frère et son meilleur capitaine, pour ramener des mercenaires. J’entends que les miens soient payés avant ces nouveaux venus...

Fiora n’insista pas. Une idée lui venait : elle allait se laisser conduire où il l’avait décidé. De là elle trouverait sûrement un moyen de s’enfuir et, s’il tenait à elle autant qu’il le disait, Campobasso abandonnerait tout pour la rejoindre...

Une heure plus tard, étendue sur les coussins d’une litière un peu antique mais solide et dont les rideaux de cuir fermaient hermétiquement, Fiora quittait Thionville dont elle n’avait pratiquement rien vu et traversait le camp planté au bord de la Moselle pour tous les soldats qui n’avaient pas trouvé place dans la ville. Salvestro, indifférent à son ordinaire, chevauchait auprès d’elle cependant qu’une escorte de dix hommes partagée en deux groupes précédait et suivait l’attelage. Par précaution, les hommes d’armes portaient, au lieu du tabard vert à croix de Saint-André blanche qui était de Bourgogne, la cotte d’armes à la double croix de Lorraine... On prit la direction du sud à vive allure. Il fallait couvrir dans la journée la petite vingtaine de lieues qui séparaient la ville luxembourgeoise du château lorrain de Campobasso. Quitte à arriver au cœur de la nuit, le condottiere préférant de beaucoup que cette arrivée se fît dans l’obscurité.

Bâti au siècle précédent par Pierre de Bar, le château de Pierrefort, baptisé selon son géniteur, dressait ses murailles sur un éperon dominant un vallon encaissé qui formait une voie naturelle entre le Barrois et la Moselle. C’était un pentagone d’environ vingt mille mètres carrés défendu par quatre tours représentant chacune un échantillon de l’architecture militaire de l’époque : une tour carrée, une tour ronde, une tour à bec et enfin une grosse tour octogone : le donjon. C’était cette tour que la colère du duc René II avait à demi détruite mais le château n’avait que peu souffert de l’incendie[xi]. Donnant, au nord et à l’est, sur un ravin abrupt, il était bordé, au sud et à l’ouest, par de larges et profonds fossés qu’enjambait un pont dormant sur lequel venait s’abattre le grand pont-levis. Une première ligne de défense, faite de palissades et d’échauguettes de bois qui avaient brûlé en partie, précédait les fossés. C’était à la fois un ouvrage d’art et une puissante forteresse où Campobasso gardait une garnison d’une vingtaine d’hommes sous le commandement d’un de ses fils...

Mais Fiora ne vit rien de ces abords, pas plus d’ailleurs que de la route suivie car, sans souci des cahots de la litière sur le chemin raboteux, elle dormit comme une souche tout au long du voyage et n’ouvrit les yeux qu’au

1. Pierrefort est encore debout en partie, mais il renferme une exploitation agricole qui ne l’améliore pas.

bruit apocalyptique du pont-levis qui s’abaissait et de la herse que l’on relevait. La troupe passa sous l’arc brisé de la porte, pénétra dans une cour immense qu’éclairaient mal quelques pots à feu et s’arrêta enfin devant l’entrée d’un beau logis dont les fenêtres étaient élégamment sculptées et portaient sous le gable les armes des anciens seigneurs de Bar.

Un jeune homme qui ressemblait à Campobasso, vêtu de cuir sous une cotte de mailles brillantes, se tenait debout sur le seuil.

– Salut à toi, Salvestro, vieux brigand ! cria-t-il joyeusement. Tu as bien failli recevoir quelques carreaux d’arbalète avec tes cottes lorraines. En voilà une idée ?

– La Bourgogne n’est pas en odeur de sainteté. C’était plus prudent...

– Et quel bon vent t’amène ?

– Un vent qui va te remporter, messire Angelo. Ton père te réclame et m’envoie tenir Pierrefort à ta place.

– Dis-tu vrai ? Je vais enfin quitter ce nid de hiboux et revoir la guerre ? Vive Dieu ! Voilà des jours que j’attends ça !

Les deux hommes s’embrassèrent, se bourrèrent de quelques coups de poing en riant puis Angelo demanda :

– Qu’est-ce qu’il y a dans cette litière ?

– Le précieux trésor de ton père. Celle qui sera bientôt la dame de ces lieux : ta future belle-mère, quoi !

Ouvrant les rideaux de la litière, il offrit la main à Fiora pour l’aider à descendre. Mal réveillée, la jeune femme clignait des yeux dans la lumière des torches que tenaient deux valets.

-Sommes-nous arrivés ? demanda-t-elle.

-Oui, madonna. Voici messire Angelo qui est l’aîné des fils de Mgr Cola.

Mais, déjà, le jeune homme s’inclinait, avec une grâce inattendue chez un homme vêtu d’acier et s’emparait de la main de la jeune femme.

– Il n’y a qu’un instant, je croyais être heureux de m’éloigner d’ici, belle dame. Mais voilà que l’envie m’en passe puisque vous allez rester alors que je m’en vais !

– Merci de votre accueil, messire ! Je n’espérais pas rencontrer un galant homme dans cette forteresse...

– Moi non plus, fit Salvestro goguenard. Tu as fait des progrès dans l’art de parler aux dames, gamin. Quant à la guerre, n’y compte pas trop ! Le duc Charles qui est à Soleuvre a dépêché, paraît-il, messire Hugonet, son chancelier, à Vervins pour y discuter de la paix avec les envoyés du roi de France.

Toute gaieté s’effaça du visage du jeune homme :

– La paix ? Le Téméraire veut la paix avec son plus mortel ennemi ? C’est à n’y pas croire ! Le Français lui a repris la Picardie et ses troupes ont attaqué le nord de la Franche-Comté depuis la fin de la trêve, en mai.

– Il a d’autres chats à fouetter et préfère sans doute tenir Louis XI à distance même au moyen d’une paix boiteuse. On dit qu’à l’appel du duc René de Lorraine, les Suisses et les Alsaciens sont entrés aussi dans la Franche-Comté qu’ils ravagent. Après tout, tu pourrais bien l’avoir quand même, ta guerre ! acheva-t-il avec un sourire narquois.

-Tout cela est fort intéressant, messieurs, dit Fiora avec un sourire qui corrigea son rappel à l’ordre, mais j’aimerais assez entrer dans cette maison... et souper si possible ?

– Pardonnez-nous, fit Angelo, vous avez mille fois raison. Mais vous arrivez bien car j’ai chassé tout le jour et j’allais me mettre à table.

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Pierrefort est encore debout en partie, mais il renferme une exploitation agricole qui ne l’améliore pas