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— Qu’est-ce tu regardes ? s’inquiète le Colosse, t’as peur des satellites ?

— Je cherche à apercevoir un tapis volant, mais ils n’ont pas dû allumer leurs feux de position !

Le Gros se claque les jambons.

— Sacré San-A. ! Est-ce qu’on voit des cloches dans le ciel de Rome ?

— Non, conviens-je, c’est bien pourquoi on est obligé d’emmener les siennes avec soi.

Il rit d’abord, puis son visage s’aplatit comme une bouse de vache parvenue à destination.

— C’est pour moi que tu dis ça ?

Le voyage continue. Les heures coulent, les kilomètres s’engloutissent dans la nuit du monde. Bérurier ronfle ou bouffe des collations.

Nous approchons de Karachi lorsque la ravissante hôtesse de l’air au visage jaune et rond comme un plat d’offrande m’apporte un câble codé. Je la remercie et je me mets à transcrire le message du Vieux. Ça me prend une bonne demi-heure. Et, puisque je n’ai pas de secrets pour vous, j’obtiens très exactement ceci :

Plus trouvé trace Cadillac parking Orly. Stop. Découvert votre Helder. Stop. C’est un riche expert philatéliste. Stop. Etait l’ami jeune Asiatique assassinée. Stop. Mais possède alibi irréfutable. Stop. Aucune nouvelle Pinaud. Stop. Soyez prudent au cours de votre enquête. Stop. Si Japon avez besoin assistance adressez-vous Gilbert Roult, correspondant France-Presse Tokyo. Stop. Votre affaire peut être en relation étroite avec attentat ambassade Japon. Stop. Amitiés. Pas Stop.

Je relis le message à trois reprises avant de le déchirer en menus morceaux que je brûle dans le cendrier de mon fauteuil. Le jour commence à poindre dans un lointain faramineux. Tous les passagers de l’avion en écrasent. Parmi eux, un assassin mystérieux. Mais lequel est-ce ? Il faut absolument que nous démasquions l’homme avant d’arriver à Tokyo.

Oui, absolument.

Je file un coup de tatane à Béru. Il ouvre un store et émet un grognement qui n’est pas sans rappeler les chutes du Niagara se déversant dans un conduit d’évier.

— C’ qu’y a ?

— Je viens de prendre une décision, Gros.

— On fait demi-tour ?

— Non.

— Dommage. Je pense à Berthe, elle doit se demander ce que je fabrique. Moi que je lui avais promis de remonter illico.

— Béru, il faut absolument que nous découvrions l’assassin. Il est inadmissible que nous volions des heures dans le même zinzin que lui sans rien faire pour le démasquer.

Le Gros agite les grelots de son sombrero.

— D’ac ; mais je vois pas le moyen !

— Moi, je l’entrevois, dis-je.

— Quel est-ce ?

— Je vais essayer de le débusquer en lui filant les grelots.

— De quelle manière ?

— Tu vas voir ça à la prochaine escale.

— C’est-à-dire.

— Calcutta.

Le Gros n’insiste pas.

— Calcutta, c’est bien au Danemark ! murmure-t-il d’un ton indécis.

— Naturellement.

— C’est ce qui me semblait. On a beau dire, mais l’instruction ça reste. On ne sait pas toujours, mais quand on sait, on sait.

Sur ces paroles bien senties, il s’offre un nouveau roupillon. Que fait alors le ravissant commissaire San-Antonio, mes chéries ? Il arrache une nouvelle page de son carnet. Il divise le feuillet en trois parties sensiblement égales et sur chaque morceau de papier il écrit :

Il a été pris en venant chercher la Cadillac. Tout est découvert.

Ceci fait, je plie chacun des messages et je les range dans ma fouille en attendant l’escale de Calcutta.

Si celle de Karachi a été brève, par contre celle de Calcutta dure quarante minutes et les passagers en profitent pour se dégourdir les cannes. J’attends qu’ils soient tous sortis en faisant semblant de pioncer, ensuite de quoi je vais placer mes messages sur le dossier de chacun des trois voyageurs suspects. Ceci fait, je rejoins discrètement les autres au buffet. Bérurier est aux prises avec le garçon. Ayant appris que nous étions dans l’Inde, il exige une entrecôte de vache sacrée pommes pont-neuf, mais le loufiat proteste et parle d’appeler la police pour faire alpaguer le sacrilège.

J’ai toutes les peines du monde à rétablir l’ordre. Nous nous contentons de boire un lait de tigre. Béru est maussade. Il dit qu’il en a marre de l’avion, que ce voyage dure trop longtemps et qu’il a pris froid. Je le secoue en lui parlant du pays du soleil levant. Les geishas, l’alcool de riz ! Je fais miroiter, histoire de le doper.

On repart.

En regagnant ma place, je surveille, mine de rien, mes trois bonshommes. Ils ont chacun une réaction très différente. Le premier trouve le papier, l’examine, et appelle l’hôtesse en lui demandant des explications. Le second regarde aussi le papelard et le montre à sa compagne de voyage comme s’il ne lisait pas le français et voulait se le faire traduire. Le troisième enfin lit également le poulet et il le jette dans son cendrier sans marquer la plus légère contrariété.

J’ai idée que le San-A. est marron comme la forêt de Marly au mois de novembre. Au fait, qu’espérais-je ? Ces Asiatiques ont un drôle d’empire sur eux-mêmes (celui d’Hiro-Hito).

Nous revoilà à six mille mètres avec un Béru en pantoufles et sombrero qui dort, et des milliers de bornes à parcourir avant de se poser au Japon.

Une fois là-bas, que ferai-je ? Je dégode, mes amis. Ça fait comme lorsque au cours d’une biture on décide de partir en voyage et qu’on se retrouve dans le train avec la gueule de bois, en ne comprenant plus très bien pourquoi on a fait ça.

Un temps assez longuet s’écoule. C’est beau, l’aéronautique, seulement ça n’est pas varié. Je m’assoupis. Je songe à ma pauvre Félicie qui est sans nouvelles. Je lui ai bien dit que j’ignorais à quelle heure je rentrerais, mais tout de même ! Elle a dû passer la nuit à m’attendre, la chère vieille. En voilà une qui doit avoir le battant à toute épreuve pour ne pas mourir d’embolie.

Comme je m’endors pour de bon, je suis éveillé par une légère effervescence du côté des toilettes. Les hôtesses cavalent vers le poste de pilotage. Le commandant de bord radine. Je pige qu’il se passe de l’insolite et je me lève pour aller mater ça sur place. Je réalise l’émoi des Miss Safran. La porte des ouatères est fermaga de l’intérieur, mais, au ras du plancher, une petite rigole de sang zigzague dans l’allée. Le commandant Lahoyapadmoto agite la poignée en appelant en japonais. Mais personne ne répond. Il appelle tour à tour en anglais, en français, en allemand, en norvégien, en congolais ex-belge, en aztèque, en bolivien, en péruvien, en finnois, en bulgare, en russe, en ukrainien, en chinois, en coréen, en canadien français, en canadien anglais, en suisse romand, en espagnol, en épagneul, en setter irlandais, en bordelais, en bègue, en sourd-muet, en morse et en latin, macache : nobody.

M’est avis que la parole est aux actes. Je fais signe à l’officier de s’écarter et, d’un coup d’épaule, je fais sauter la serrure chétive du mince panneau de contreplaqué.

Un spectacle stupéfiant nous apparaît alors.

Le troisième voyageur à qui j’ai adressé le billet (celui qui l’a jeté dans le cendrier) est là, assis sur l’abattant de la cuvette. Il a encore les deux mains crispées sur le manche d’un poignard japonais qu’il a eu le courage de se plonger dans le buffet. Il y a un foulard blanc autour de ce manche, un foulard maintenant rouge de sang. Et le gars est mort comme il n’est pas permis.

Les petites hôtesses virent au vert comme si on venait de les badigeonner au bleu de méthylène. Le commandant Lahoyapadmoto semble extrêmement préoccupé. On le serait à moins. Il bonnit des trucs en jap aux souris, puis me considère d’un œil mécontent.