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— Faut attendre, le Dabe s’occupe de nous.

— Pour nous faire parvenir un mandarin d’amener ? rigole l’Ignoble.

— Non, mais un bifton de départ. J’espère qu’il reste de la gâche dans ce coucou !

— T’as de la veine d’avoir de la chance, soupire Sa Majesté. Tu vas encore te payer un de ces voyages tout ce qu’il y a de meû-meû.

Cinq minutes s’écoulent et rien ne se produit. Les haut-parleurs annoncent que le vol à destination de Tokyo va bientôt se payer un ticket de nuages. Il ne reste que trois minutes. M’est avis que malgré toute la diligence du Vioque, il sera trop tard. Ce sont les postillons qui ne suivent pas.

J’ai le regard fixé sur la trotteuse de l’horloge voisine. Encore deux tours et demi de cadran et le zinc illuminé devant nous, sur la piste, fermera ses lourdes. On retirera l’échelle, et bonsoir m’sieurs-dames !

— Le commissaire San-Antonio ?

J’ai un jeune type blond en complet veston devant moi.

— Oui ?

— J’appartiens à la police de l’air. Tenez, voici deux billets pour Tokyo, filez. Vite. Pour le reste, le nécessaire sera fait pendant le voyage.

— Tu viens ? fais-je à Béru.

— Où ça ?

— Au Japon. J’ai un ticket pour ta pomme…

Il me suit. Nous courons vers le coucou et nous y parvenons au moment où on va lourder. Ce n’est qu’en gravissant l’escalier roulant que Béru s’arrête et s’exclame :

— Merde ! La blanquette de Berthe !

CHAPITRE IV

L’hôtesse de l’air affectée à notre service est Japonaise à ne plus en pouvoir. Elle a le visage rond et jaune, un sourire énigmatique et des yeux en coups de canif. On a beau dire que c’est jaune et que ça ne sait pas, elle ouvre la bouche de saisissement en voyant débarquer Bérurier dans cette tenue extraordinaire.

— Le señor Alonzo y Cordoba y Berurier a eu un accident de voiture en venant à l’aérogare, expliqué-je. Notre taxi s’est retourné…

Comme à l’état normal le gars Béru a déjà l’air accidenté, elle accepte mon explication et nous guide à nos places.

Au premier regard, je note que quatre-vingts pour cent des passagers sont de race jaune.

Le commandant de bord se présente. Il s’appelle Lahoyapadmoto. Il dit qu’on va aller vadrouiller à six mille mètres, que la prochaine escale c’est Rome et que nous devons attacher nos ceintures.

— Si je pouvais au moins attacher mes bretelles ! soupire le Gros. Mais Berthe, c’est pas le genre petite main. Pour lui faire recoudre des boutons, c’est la croix et la bannière.

Le décollage s’effectue sans incident et sans incendie. Dès que nous sommes en l’air, l’hôtesse nous cloque notre plateau-repas et M. Bérurier s’épanouit. Il lui reste une nostalgie en évoquant la blanquette que Berthe est sans doute en train de se taper. Mais il se console en pensant qu’il serait arrivé trop tard pour avoir une part valable.

— Elle me laisse que le gras et les os, m’explique-t-il. C’t’ une vorace dans son genre.

— Dis voir, ton zigoto, tu le reconnaîtrais ?

Il se soulève un peu, regarde les passagers, mais comme la plupart d’entre eux nous tournent le dos, Béru hausse les épaules.

— Je les vois mal. Et puis ils sont tous jaunes.

— Il faut pourtant savoir. Il y a près de soixante passagers. Sur les soixante, on compte au moins quarante-cinq Asiatiques…

Je commence à me dire qu’on y est allé rapidos, à l’emballement.

— Quand c’est que j’aurai fini ma gamelle, j’irai aux ouatères, promet Béru. Je reluquerai bien mon monde.

Il mange sa macédoine de légumes, son rôti de veau aux haricots, son fromage et son gâteau, il vide sa bouteille de vin, éructe puissamment, chose dont le bruit des réacteurs atténue la gravité ; puis se lève et arpente l’allée centrale de l’appareil.

Quand il revient, il est maussade.

— Je vais te faire un naveu, San-A. Je sais plus lequel que c’est. Y a bien l’histoire de la valise noire, mais ils n’ont pas leurs valoches ici.

Je me renfrogne.

La situation est absurde. Nous partons pour le Japon, à la poursuite d’un type dont nous savons seulement qu’il est jaune, alors qu’il y a une cinquantaine de Jaunes parmi nous. Et sur ces cinquante Jaunes, je suis prêt à vous parier Alger la Blanche contre Pise la Chaude que la moitié au moins possèdent une valise noire. Pas marrant.

— T’as pas l’air joyce, me fait Bérurier, tout jovial. C’est pourtant chouette d’aller faire une virouze au Japon. Surtout si inattendue. Après le dîner, on devait avoir la visite de mon beau-frère…

Il rêvasse, prenant une pose commode dans son fauteuil pullman.

— Dis voir, San-A., le Japon, c’est bien à gauche de Madagascar ?

— A gauche en descendant de la gare, précisé-je.

Satisfait, il clôt ses jolis yeux. J’en profite pour gamberger d’un peu plus près à tout ce micmac. Admettez qu’on ne me laisse pas respirer longtemps ! Ce matin j’étais au-dessus de l’Atlantique et voilà que…

Y a drôlement besoin de faire un peu le ménage dans cette histoire. D’un côté, l’agence Pinaudère, ou plutôt — excusez-moi — la Pinaudère Agency Limited dont les deux associés disparaissent après qu’une Mme Helder les a chargés de filer son mari…

Je sursaute. Son mari qui fréquentait une Asiatique !

Une petite Asiatique se fait descendre à coup de 9 mm devant chez Bérurier. Le meurtrier roule en Cadillac jusqu’à Orly et prend l’avion de Tokyo. Il est vraisemblablement jap.

Je tube au Vieux qui est dans tous ses états parce qu’on vient de foutre le feu à l’ambassade du Japon ! Ah dites donc, cette fois, le péril jaune, c’est plus des bobards !

Existe-t-il un lien entre la disparition d’Hector, celle présumée de Pinaud et l’assassinat de la jeune fille ? Je suis porté à le penser. Comme ça, d’instinct. Ce qui me trouble, c’est que cette gosse ait été abattue devant chez Bérurier. C’est cela qui est suspect. Il habite une rue peinarde, le Gros. Tout est bizarre dans cette aventure, ne serait-ce que ce meurtre en Cadillac. Les gens qui jouent les Ravaillac fauchent en général une voiture de série pas voyante… Je suis persuadé que le passager meurtrier a agi, pressé par le temps. Il avait son avion à prendre, et il devait liquider cette gosse coûte que coûte.

Je lève le doigt et ma charmante hôtesse s’empresse.

— Combien de temps dure l’escale de Rome ?

— Quinze minutes, monsieur.

— Merci.

Je sors mon stylo à injecteur direct, j’arrache une feuille de mon carnet et me mets à composer un message…

Roma ! Bérurier s’arrête de ronfler et je lui dis d’attacher sa ceinture. La Ville Eternelle flamboie, là-bas, au creux de l’horizon. En quelques minutes nous la survolons, puis nous nous posons impeccablement.

— Ne bouge pas d’ici ! dis-je au Mastar.

Il bégaie :

— Tu descends ?

— Quelques minutes seulement.

— Rate pas le coche ! Qu’est-ce que j’irais foutre tout seul au Japon ? Je connais personne là-bas. La capitale, c’est bien Oslo, n’est-ce pas ?

— Exactement.

Il hoche la tête.

— Elle me fait marrer, Berthe, quand elle dit que je suis nul en géographie !

Je bombe tout droit au poste de police de l’aéroport. Un ami à moi y travaille, l’inspecteur Canelloni. Par veine, il vient juste de prendre son service et son visage s’épanouit en m’apercevant.

— Le signore San-Antonio dans nos murs ! s’écrie-t-il.