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— Dans vos nuages seulement, je ne fais que passer à tire-d’aile. Dites, cher vieux, je suis sur une affaire du tonnerre de Zeus et je vous serais reconnaissant de bien vouloir câbler ce message en urgent.

Il prend la feuille de carnet à reliure spirale et lit laborieusement.

Prière vérifier propriétaire Cadillac parking Orly plaque immatriculation boueuse, stop. Chercher parmi les Parisiens nommés Helder celui qui fréquente une Asiatique et le surveiller étroitement, stop. Chercher identité jeune Asiatique assassinée rue de Bérurier, stop. S’assurer si Pinaud toujours pas reparu, stop. Communiquer renseignements à bord avion en utilisant Code 14, stop. Merci. San-Antonio.

J’ai l’air de donner des ordres au Vieux. Peut-être que ça va le vexer, mais je m’en tamponne le coquillard.

Poignée de pogne à Canelloni. Je retourne à l’avion. Comme je vais gravir la passerelle, une ravissante dame d’une trentaine d’années, belle à faire damner un saint et pourvue de tous ses accessoires, s’approche de moi.

— Commissaire San-Antonio ? souffle-t-elle.

— Oui, aspiré-je.

Elle me remet une big enveloppe.

— De la part de l’ambassade de France, d’après des instructions de Paris.

Je chope l’enveloppe et je virgule à la messagère mon regard incandescent No 609, celui qui provoque des divorces et des incendies de forêts.

— Vous ne prenez pas l’avion avec moi ? je risque, plein d’espoir.

— Non.

Elle a un gentil sourire. Sa bouche, faudrait pouvoir s’en faire un collier.

— Dommage !

La vie est pleine de rencontres rapides. Un regard, un sourire, des promesses informulées, et puis bonsoir…

Je salue la personne et je vais reprendre ma place. Béru redort. Quand il ne se bat pas ou qu’il ne mange pas, il roupille. C’est un don, un apostolat, une mission sacrée, une vocation. Il est fait pour pioncer comme le derrière de Mlle Brigitte Bardot pour être photographié.

Je décachette l’enveloppe et j’y trouve deux passeports munis d’un visa en règle for Japan. Ce qu’il y a de formide avec le Vioque, c’est qu’il est puissant et actif. Avec sa pomme, les difficultés se dénouent aussi facilement que le slip d’une respectueuse.

Je planque les documents dans mes vagues et nous redécollons. Béru n’a même pas dégrafé sa ceinture pendant la halte romaine et il ne s’aperçoit de rien.

— Où qu’on est, San-A. ? questionne l’Enflure après des heures de ronflette.

— On survole l’Iran, à ce qu’il paraît, Gros.

— L’Iran du Shah ?

— L’Iran du Shah et du rhâ Dada.

— Au poil, mais je croyais qu’on allait survoler la Perse ?

— C’est kif-kif, mon z’ami.

Le Gros, après un temps de réflexion, risque son bon mot de l’année : « On peut dire qu’on connaît des hauts et des Farah Diba ! »

— Excellent, approuvé-je sombrement, tu devrais le classer dans ton répertoire.

Il enchaîne :

— L’autre soir, à la télé, on a eu une pièce marrante sur la Perse. C’était une espérience en cacophonie. Fallait se carrer un poste de radio dans le dossard. Moi, j’ai pas pu choper le poste qu’ils disaient ; mais j’ai réglé ma radio sur Andorre. Ils ont donné des baths chansons d’avant-guerre : Les Beaux Pyjamas, Elle m’a fait pouët-pouët, etc. Ça cadrait drôlement bien avec la pièce d’Achille.

— D’Eschyle ?

— Echine ou Achille, c’est du kif, te goure pas, c’est du pneudomyne. A mon avis c’était une pièce d’Eschyle Zavatta : y z’avaient tous des masques, et puis au lieu de causer, ils chantaient. Ils avaient la voix perçante, mais je me demande si c’étaient des vrais Perses. Très marrant, je te dis. Y a un mec qu’est venu annoncer qu’ils s’étaient fait repasser par les Grecs. Tu vois le genre ? Un peu leste, quoi ! Berthe était choquée, elle voulait écrire à la télé pour protester, c’est bien dans ses manières. Elle disait que des gaudrioles pareilles, c’est bon chez les chansonniers mais qu’à la télé, c’est déplacé. J’y ai dit : « Garde-toi z’en bien, malheureuse ! » Après, on aura droit à des pièces de Claude Paudel…

Nouvel atterrissage. Une demi-plombe d’arrêt pour permettre de remplir les réservoirs du zoizeau. Cette fois, tous les passagers déhottent en direction du buffet. Le Gros me dit qu’il a faim.

— C’est quoi comme patelin, Tonio ?

— Téhéran.

— On y bouffe bien ?

— J’ignore, mais ici t’illusionne pas, la cuistance, c’est surtout à base de pétales de rose.

Bérurier secoue la tête et son sombrero à grelots fait un bruit de troïka sur la piste blanche.

— Tu sais, les roses, j’ai rien contre si elles sont frites à l’huile et servies comme garniture avec une entrecôte marchand de vin.

Un peu plus tard, il pousse un drôle de naze, mon fringant coéquipier. Comme tortore, il doit se contenter d’un sandwich plus éculé que les tatanes du saint curé d’Ars. Pas content, il est, le Boulimique.

— Ce jambon, ronchonne-t-il, on l’a taillé dans un cochon qu’avait une jambe de bois, c’est pas possible ! Ah ! dis donc, je comprends que le Shah ait du mal à se faire des héritiers s’il briffe pas mieux. C’t’ un Shah de gouttière !

— Au lieu de fulminer, dis-je, tu ferais mieux d’examiner les passagers pour essayer de repérer notre homme !

Bérurier hausse les épaules.

— Notre homme, je l’ai vu que de trois quarts, mon pote.

— Il était habillé comment ?

— Il avait un imperméable sombre.

Mon regard fait un tour de buffet, et sélectionne au passage six voyageurs vêtus d’un imper sombre. Je mentionne le fait au Gros.

— Ça circoncit déjà les recherches, convient-il. Attends, je vais les mater de plus près.

Grâce à son accoutrement, il passe inaperçu, mon Valeureux guerrier. Qui donc se douterait que ce burlesque, ce grotesque, cet ahurissant personnage, est un éminent flic des services spéciaux (ô combien !).

Qui donc a la gamberge assez hardie pour imaginer pareille extravagance ?

Le Mastar fait le tour du buffet comme un papillon, souriant aux dames et clignant de l’œil aux messieurs qui le dévisagent.

Quand il revient, son siège n’est pas complètement fait, mais du moins a-t-il encore limité le champ du doute.

— Ecoute, San-A., le jules qu’il est question, c’est soit le type qu’est au comptoir, là-bas, soit çui qui cause à l’hôtesse de l’air, ou peut-être alors le mec qui se boit du thé, tout seul à la table ; tous les autres on peut les illuminer sans arrière-pensée.

— Eh bien, que voilà donc un résultat tangible, dis-je.

Au moment de douiller nos consommes, je m’aperçois que je n’ai que de l’artiche français. Et que j’en ai peu. Le Vioque a pensé aux passeports, mais pas aux devises. Et pourtant, il a le culte de la devise, ce cher Tondu.

J’en suis là de mes constatations lorsqu’un type à mine préoccupée fait son entrée dans le buffet. Il va de table en table et finit par s’arrêter devant la nôtre.

— Monsieur San-Antonio ?

— Un peu, oui !

— Paris me charge de vous remettre ceci.

La même formule à Téhéran qu’à Rome ; presque la même enveloppe, mais pas le même contenu. Celle-ci renferme une liasse de dollars épaisse comme le sabot d’un cheval. Et ce sont des talbins de dix !

— Quoi t’est-ce ? s’informe le Gros.

— Un miracle, fais-je. Nous sommes au pays des Mille et Une Noyes, Gros.

Je remercie le malingre et il s’éclipse comme il est venu. Le haut-parleur nous conseille de regagner le zinc. La nuit est douce, vachement étoilée.