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Le lieutenant fut frappé d’une idée.

— Qui utilisait les ultrasons ? Il faut des techniciens pour faire marcher ces appareils.

Sigmond le regarda, éberlué.

— Mais le second de bord et l’officier-radio.

Kovask échangea un regard avec Clayton. Ils avaient enfin une preuve de la complicité de l’équipage. Le commodore serait enchanté de l’apprendre.

— L’attentat contre Wilhelm ?

— Ordonné par Dominguin.

— Le second aussi ?

— Bien sûr … Mais Merico, le nègre de la première tentative, était un tueur de Colon. C’est Perez qui l’a engagé.

Kovask se pencha vers lui.

— Tu connais beaucoup de choses, dis donc ?

— Ils ne se méfiaient pas de moi … Ils discutaient entre eux.

D’où venait le matériel ?

— De Roumanie, je crois … Par la Pologne. C’était un type du Guatemala qui l’avait réceptionné.

— Son nom ?

— Je ne sais pas … Je vous le dirais. Kovask se contenait. Il avait encore des atouts pour le faire parler, mais l’homme n’était pas suffisamment maté. Il revint derrière la table et Clayton en fit autant. Il alluma une cigarette. Les minutes passèrent et chacun paraissait trouver cela normal. Sauf Sigmond, dont le regard traqué allait de l’un à l’autre.

— Comment s’appelle ta fille ? Sigmond le regarda avec terreur …

— Nancy … Pourquoi ? …

— Ta femme ?

— Vous n’avez pas le droit … Pas le droit. Un inspecteur s’avança vers lui et le gifla.

Kovask lui avait fait signe.

— Tu avais le droit de sacrifier dix-huit personnes pour du pognon ?

— Trente-quatre orphelins, précisa Kovask …

Sigmond essaya de se lever, mais ils le clouèrent sur sa chaise et le giflèrent.

— Le nom de ta femme ?

Sigmond passa son avant-bras sous son nez, regarda sa chemise tachée de sang.

— Lizzy, dit-il l’air hébété.

Clayton sondait le visage de Kovask. Ce dernier était impénétrable. Il apercevait son profil dur comme du granit, les boules des masséters sous la tension des mâchoires crispées, et plus haut, l’angle blanc de l’œil avec la pupille féroce.

— Écoute-moi Sigmond … Tu n’es qu’une charogne puante. Tu as trahi ton pays, tes copains, pire ta femme et ta fille. Tu les as trahies. Tu les as mises dans une situation périlleuse. Tu as agi en lâche, méprisé toutes les valeurs qui rendent la vie possible. Tu as sacrifié ta femme et ta fille.

L’homme balbutia :

— Sacrifiées … Mais …

Il voulut se dresser, mais les deux inspecteurs veillaient et leurs mains impitoyables l’écrasaient à nouveau sur sa chaise. Dans cette attitude il perdait sa dignité, sa volonté, la possibilité d’avoir des sentiments, de souffrir ou même de pleurer. Entre les deux projecteurs étincelants, deux têtes sombres. L’une celle du lieutenant Kovask, où luisaient des yeux impitoyables.

— Lieutenant …

Un sanglot l’étouffa brusquement. Il pencha la tête comme s’il allait vomir, la redressa. Il ne voyait plus rien qu’un mur d’une blancheur éclatante délimité par deux boules de feu. Il ferma les yeux quelques secondes.

— Écoute-moi. Tu ne nous as pas tout dit. Qu’est-ce qui t’empêche de parler ? Qui protèges-tu ? Tu ne seras plus en danger, jamais … Tu es revenu avec nous. Évidemment tu mérites un châtiment, mais peut-être pourrons — nous éviter le pire. Est-ce que tu comprends ce que je dis ?

Une voix extérieure à lui, mais qu’il reconnut comme étant la sienne, répondit :

— Oui mon lieutenant.

— Personne ne pourra te menacer désormais …

Soudain Sigmond échappa au sortilège. Kovask s’y attendait. Il faudrait peut-être des heures et des heures avant d’obtenir un résultat.

Le premier-maître resta assis, mais il souriait. Son visage était méprisant.

— Vous ne m’aurez pas comme ça lieutenant … Vous pouvez aller vous faire f … moi je ne dirai rien ! Et vous savez pourquoi ? Pour le plaisir, pour vous emmerder.

Sigmond n’était qu’un primaire et sa volonté vulgaire reprenait le dessus. En ce moment, et Kovask le comprenait parfaitement, il détestait sa société, sa patrie, le monde entier et rien ne pourrait le forcer à parler. Il aurait, dans son délire désespéré, rejeté la femme qui lui avait donné le jour.

Brutalement les projecteurs s’éteignirent et Sigmond poussa un cri. Tout redevenait noir autour de lui. Il se retrouvait sur une chaise dans une salle banale, face à des visages fermés. Il se sentit nu, dépouillé, fruste de ce désir exaltant de ne pas répondre.

La disparition de l’intensité lumineuse était un déchirement. Il se retrouvait lui-même, Gregory Sigmond, premier-maître à quarante ans, raté professionnel, tête brûlée sans autre conviction que le désir bête de détruire ce qui pouvait l’aider à sortir de sa fange.

Il faillit leur crier de redonner la lumière intense. Il détestait cette petite ampoule nue et jaune qui se balançait au bout d’un fil noirci par les chiures de mouches, il voulait se replonger dans le miracle précédent.

Kovask alluma une cigarette.

— Tu en veux une ?

Sigmond le regardait toujours. Il y avait un grand vide dans ses yeux bleus. Kovask se leva, lui glissa une cigarette entre les lèvres, la lui alluma.

— Tu étais en Corée ?

— Oui …

— Et avant, tu as été contre les Japs ?

— Oui.

— Tu n’étais pas bien dans la Navy ? Tu n’avais pas de bons copains ? Tu pourrais être maître-principal maintenant. Peut-être midship.

L’homme finit par se tourner vers lui. C’était le seul être auquel il pouvait se raccrocher. Les autres, il ne les connaissait pas. C’étaient des civils. Kovask était un marin comme lui.

— Tu as fait c … erie sur c … erie. Pourtant, avant de t’embarquer sur l’Evans II, tu as suivi un stage de spécialisation comme détecteur ? Tu essayais de te cramponner quand même ? Tu savais bien que tu ne pourrais pas continuer de vivre ainsi avec ta maigre solde et l’argent que te rapportait ton travail secret ?

Clayton se demanda si Kovask n’éprouvait pas une sympathique pitié pour le premier-maître. Il ressemblait plus à un maître morigénant un élève qu’à un enquêteur interrogeant un coupable. Il se dit que la célèbre entraide de la Navy n’avait pas fini de l’étonner.

Sigmond tirait sur sa cigarette, le regard fixe. Kovask revint lentement derrière son bureau, s’y laissa choir. Il était partisan des méthodes psychologiques.

— Combien as-tu reçu pour la destruction de l’Evans II ?

— Deux mille dollars.

— Où sont-ils ?

— Dans ma cabine, à bord du Coban … Je n’ai pas eu le temps de les récupérer.

— Que voulais-tu en faire ?

— Les faire parvenir à ma femme et à ma fille, pour qu’elles viennent me rejoindre.

— Où comptais-tu aller ?

— Rester en Amérique centrale.

Kovask enchaîna tout naturellement.

— De qui Dominguin recevait les ordres ?

Sigmond prit à nouveau son air buté, mais Kovask savait qu’il n’allait pas résister longtemps.

— De Ramon Ponomé ?

Le quartier-maître sourit, se redressa.

— Non. C’est impossible.

— Pourquoi ?

— Dominguin et Ponomé ne font qu’un.

Tous sursautèrent, sauf Kovask plus maître de lui.

— Tu en es certain ?

— Vous trouverez des preuves à bord du Coban. Il n’a pas eu le temps de tout détruire.