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C’était tout.

Kovask jeta un coup d’œil à Walsch qui se confectionnait un whisky-soda bien tassé.

— À combien sommes-nous de la côte ? Le commander répondit sur-le-champ.

— Vingt et un mille très exactement. Quelle erreur grossière pour un homme tel qu’Henderson ! Kovask claqua le livre de bord et se leva. Le commander le suivit de ses yeux embués.

— Quelque chose ne va pas ?

— Rien n’allait à bord de ce fichu navire ! L’asdic donnait des relevés fantastiques, l’appareil de Parker divaguait. Quant au radar, il vaut mieux ne pas en parler. Henderson se croyait à dix milles du phare et à trente milles de la côte. Les récifs l’inquiétaient, mais il n’y avait pas danger immédiat. Et brutalement …

Brusquement il prit un verre, y versa un doigt de whisky et l’avala. Walsch hocha la tête.

— Laissez cela à la vieille ganache que je suis et…

— Si nous pouvions savoir les noms des deux hommes disparus et leur position au moment du drame. Je vais voir le médecin.

Une morgue avait été aménagée dans une des salles frigorifiques, et on conseilla à Kovask de s’habiller chaudement pour y pénétrer.

Le médecin-chef Storney s’y trouvait avec deux infirmiers. Il avait une quarantaine d’années, et le froid de la morgue pétrifiait son visage. Les corps des malheureuses victimes étaient disposés un peu au hasard. Mais les savants étaient à part, sur une table. Le cadavre d’Henderson et son enseigne également.

— O’Hara a été découvert dans le laboratoire en compagnie d’un inconnu. Ici.

Il désignait un corps recouvert d’un drap. Kovask se souvint d’un détail du journal de bord.

— Ce doit être Parker.

Storney fouilla dans son classeur, prit plusieurs papiers au nom de Parker. Il releva le drap. Le visage du savant était écrasé.

— Les autres sont Hume, qui se trouvait avec le lieutenant-commander Henderson, Hugo Marscher qui lui, a été découvert dans la salle à manger. Manquent le chimiste Edgar Brown, un rouquin d’après le signalement, un premier-maître du nom de Sigmond. Il faut croire qu’ils étaient sur le pont à ce moment-là, et que au moment du drame ils ont été emportés par une forte vague.

Le médecin était sceptique :

— On ne les retrouvera peut-être jamais. À moins que la mer ne les rejette à la côte. Il y a beaucoup de crabes dans le golfe, sans parler des requins …

Kovask le remercia et quitta la morgue. Sur le pont, il eut l’impression de plonger dans un bain étouffant. Il se débarrassa de la tunique qu’on lui avait prêtée et partit à la recherche de Walsch qui surveillait les essais d’étanchéité.

— Pas beau hein ? Grogna le commander.

— Vous avez récupéré les papiers du bateau, le rôle de l’équipage notamment ?

— Dans le coffre du commissaire de bord. Il vous les remettra contre une décharge.

— Dans le fond, j’ai réfléchi. Je vais lui rendre le journal de bord et je consulterai le rôle dans son bureau.

Gregory Sigmond était âgé de trente-cinq ans, marié et père d’une fille. Sa femme habitait San-Diego. C’était à côté de ce port que se trouvait La Jolla, le laboratoire océanographique du Pacifique. Le premier maître avait fait quatre campagnes océanographiques, dont deux à bord de l’Evans II. Il avait fait la guerre de Corée, mais on ne spécifiait pas dans quel corps.

Avec l’accord de Walsch, Kovask expédia une demande de renseignements à San-Diego, via Panama. Il demandait une réponse urgente. Il rédigea un deuxième message à destination du F.B.I. de Los Angeles, concernant Edgar Brown. Le chimiste était célibataire. Une enquête « white » prendrait certainement plusieurs jours, mais pour Sigmond il avait limité les questions.

Une heure plus tard, il était à nouveau sous sept brasses d’eau en compagnie de Palacin et de Jones. Ce dernier lui indiquait les endroits où avaient été trouvés les corps. Kovask regrettait que des photographies n’aient pas été prises. Jusqu’à la première visite de l’épave, on avait cru à un simple naufrage. Seuls les premiers points mystérieux de l’enquête avaient donné l’alerte. Les corps étaient déjà dans le frigidaire de Boston.

La minuscule salle à manger était difficile d’accès, et des chaises et des tables encombraient l’entrée. On y avait découvert plusieurs corps, dont celui de Marscher le biologiste. Kovask cherchait des traces de Brown, ce qui n’était pas simple.

Dans une des cabines, il découvrit une cantine portant son nom gravé au fer rouge. Avec l’aide des deux autres, il la hissa sur le pont.

Un filet descendit quelques minutes plus tard, et l’agent du service de renseignement de la marine interrompit ses recherches.

Une fois changé, il ouvrit la cantine en présence du commissaire de bord et du Commander, maudissant les règlements qui exigeaient la présence de témoins. S’il découvrait quelque chose d’important, il ne serait plus seul à partager le secret.

Le contenu de la caisse en bois, doublée d’une feuille d’aluminium, avait souffert. Elle était pleine de dossiers. Il les sortit avec soin et soudain tressaillit. L’un d’eux n’était autre que le rapport du chimiste sur ses travaux depuis que la campagne avait commencé.

L’ensemble de feuilles, de graphiques et de résultats d’analyses dégouttait d’eau. Mais le papier utilisé n’avait pas eu le temps de s’imprégner. L’écriture était encore nette, et il suffirait de le faire sécher avec certaines précautions pour pouvoir le compulser.

La réponse de San-Diego arriva directement au Boston sans passer par Panama. Elle était codée et Kovask s’isola pour la mettre en clair.

Quand le commander le revit, il lui sembla que le visage du lieutenant vibrait d’excitation.

— À quelle distance sommes-nous de Boby 6 ?

— Deux milles maximum. Vous pouvez distinguer à la jumelle le rocher sur lequel il est élevé.

Kovask alluma une cigarette et jeta l’allumette à l’eau. À tribord, les palans et les treuils s’activaient mais cette partie du pont était tranquille. Dans l’air dense de chaleur, on croyait distinguer la ligne de la côte.

Soudain Serge Kovask planta là le commander et monta vers la passerelle, redescendit de l’autre côté, se pencha par-dessus bord. Cinq minutes plus tard il rejoignait Walsch, stupéfait encore de son départ.

— Regardez ce calme plat, de ce côté la mer est d’huile. De l’autre il y a des creux d’un yard.

— Les récifs, dit le commander en scrutant le visage de son compagnon.

— C’est-à-dire qu’une fois de l’autre côté des récifs, l’Evans se serait trouvé en eau calme.

Walsch bougonna :

— Calme, c’est beaucoup dire, mais enfin les creux ne devaient pas dépasser deux mètres. Quant à la vitesse de l’onde, elle était certainement réduite.

— N’importe quel bon nageur aurait pu lutter contre les vagues dit Kovask l’esprit préoccupé.

— Oui … mais pas jusqu’à pouvoir rejoindre la côte.

— La côte ? Non … Mais autre chose … Boby 6 par exemple.

— Bigre, c’était la nuit ! … Comment se serait-il dirigé ?

— Si ce type-là avait l’habitude de pareils exploits ? Un ancien commando de Corée par exemple. C’était bien autre chose là-bas dans les eaux glacées de la Mer Jaune.

Walsch passa sa main sur son menton épais. Sa barbe poussait rapidement. Kovask entendit le poil crisser sous la main du commander.

— Dans ce cas, ils avaient des équipements d’homme grenouille.

Kovask sortit un papier de sa poche. C’était la traduction du message de San-Diego. Walsch le lut et hocha lentement la tête. Le garçon reprit le papier et y mit le feu. Il le laissa tomber par-dessus la rambarde.