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— Tankado a été répudié, mais tout le monde sait que c’est un génie. C’est quasiment un dieu vivant au panthéon des programmeurs. Si Tankado dit que l’algorithme est inviolable, c’est qu’il l’est.

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— Mais, pour le grand public du moins, tous les systèmes de codage le sont !

— C’est vrai, murmura Strathmore. Pour le moment...

— Que voulez-vous dire ?

— Il y a vingt ans, casser une clé de chiffrement par flux de quarante bits paraissait inimaginable. Mais la technologie a progressé. Et elle progresse encore et toujours. Les concepteurs de logiciels savent qu’un jour une machine comme TRANSLTR

existera. Les progrès technologiques sont exponentiels, et les algorithmes actuels à clé publique ne resteront pas indéfiniment sûrs. Il faudra en inventer d’autres, plus performants, pour faire face aux ordinateurs de demain.

— Comme Forteresse Digitale ?

— Exactement. Un algorithme qui résiste à l’attaque de force brute ne sera jamais dépassé, quelle que soit la puissance des futurs ordinateurs de décodage. Forteresse Digitale pourrait bien devenir, du jour au lendemain, le nouveau standard mondial de chiffrement.

Susan prit une longue inspiration.

— Seigneur..., murmura-t-elle. Et si on faisait une enchère ?

Strathmore secoua la tête.

— Tankado nous a donné notre chance. Il a été très clair. De toute façon, c’est trop risqué. Faire une offre, c’est admettre que nous avons peur. Autant avouer publiquement non seulement que nous avons TRANSLTR, mais que Forteresse Digitale lui tient la dragée haute !

— Quelle est l’heure de clôture ?

— Tankado a prévu d’annoncer le résultat des enchères demain, à midi.

Susan sentit son estomac se serrer.

— Et ensuite ?

— Il est convenu qu’il donne au gagnant la clé d’accès.

— La clé de la Forteresse Digitale...

— C’est la dernière phase de son plan. Tout le monde possède déjà l’algorithme, Tankado n’a plus qu’à donner le sésame.

— Et le tour est joué, gémit-elle.

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C’était un plan parfait. Lumineux de simplicité. Tankado avait verrouillé Forteresse Digitale, et lui seul en possédait la clé. Cela défiait la raison ; quelque part – griffonnés probablement sur un bout de papier au fond de la poche de Tankado – une cinquantaine de caractères alphanumériques pouvaient sonner le glas de tous les services de renseignement des États-Unis...

Le scénario prévu lui donnait le vertige... Tankado donnerait à l’heureuse élue la clé, et la société en question ouvrirait Forteresse Digitale... Ensuite, elle placerait l’algorithme dans une puce électronique. Et, dans moins de cinq ans, tous les ordinateurs du monde sortiraient pré-équipés de la sécurité « Forteresse Digitale ». Jusqu’à maintenant, aucun constructeur n’avait osé rêver d’une puce électronique de codage, parce que, tôt ou tard, tous les algorithmes devenaient obsolètes. Mais Forteresse Digitale résisterait à l’épreuve du temps. Grâce au système de déchiffrement tournant, elle était à l’abri de toute attaque de force brute. Le nouveau standard planétaire de cryptage. À dater d’aujourd’hui et pour toujours.

Chaque texte codé rendu inviolable. Banquiers, boursiers, terroristes, espions. Un seul monde pour tous – un seul algorithme pour tous. L’anarchie la plus totale !

— Quelle alternative nous reste-t-il ? avança Susan.

À situation désespérée, mesure désespérée. C’était une loi universelle, elle le savait. Et la NSA n’y échappait pas.

— On ne peut pas le supprimer, si c’est à ça que vous pensez...

C’était exactement ce qu’elle avait en tête. Durant ses années passées à Fort Meade, elle avait entendu des rumeurs sur les liens qu’entretenait la NSA avec des tueurs professionnels – choisis, là aussi, parmi les meilleurs –, de la main-d’œuvre spécialisée engagée pour faire le sale boulot des cols blancs du renseignement.

Strathmore secoua la tête avec regret.

— Tankado est trop intelligent pour nous laisser cette porte de sortie...

Curieusement, Susan se sentit soulagée.

— Il est protégé ?

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— Pas exactement.

— Il se planque alors ?

— Tankado a quitté le Japon, répondit Strathmore d’un air embarrassé. Il avait prévu de suivre les enchères par téléphone.

Mais nous savons où il est maintenant.

— Et vous ne faites rien ?

— Non. Il a pris ses précautions. Tankado a confié une copie de la clé à quelqu’un... au cas où il lui arriverait quelque chose.

Évidemment, songea Susan avec admiration. Un ange gardien...

— Et je suppose que, si Tankado disparaît, cet inconnu est chargé de vendre la clé ?

— Pire que ça. S’il arrive malheur à Tankado, son complice doit la publier.

— Comment ça ? demanda Susan, perdue.

— Sur Internet, dans les journaux, partout. En fait, il la livre à tout le monde.

Susan écarquilla les yeux.

— Gratuitement ?

— Exactement. Tankado s’est dit qu’une fois mort il n’aurait plus besoin d’argent. Alors pourquoi ne pas offrir à l’humanité un petit cadeau d’adieu ?

Il y eut un long silence. Susan respirait profondément, comme pour faire entrer en elle la terrible réalité : Ensei Tankado a créé un algorithme incassable. Il nous tient à sa merci. Tout à coup, elle se leva. Sa voix était chargée d’une nouvelle détermination.

— Il faut contacter Tankado ! Il existe forcément un moyen de le convaincre ! Offrons-lui le triple de la meilleure offre !

Avec, en sus, blanchiment total de sa réputation ! Donnons-lui tout ce qu’il veut !

— C’est trop tard, Susan. Ensei Tankado a été retrouvé mort ce matin à Séville, en Espagne.

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8.

Le bimoteur toucha la piste brûlante. De l’autre côté du hublot, la lande andalouse défila à toute allure. Puis l’image ralentit et se stabilisa.

— Monsieur Becker ? grésilla la voix. Nous sommes arrivés.

Becker se leva et s’étira. Par habitude, il ouvrit le compartiment à bagages au-dessus de sa tête, puis se souvint qu’il n’avait pas emporté de sac. Pas le temps de prendre des affaires de rechange. C’était sans importance – on lui avait promis que le voyage serait bref – un simple aller-retour.

Tandis qu’on coupait les moteurs, l’avion quitta le soleil pour glisser dans un hangar désert en face du terminal principal. Un instant plus tard, le pilote sortit de la cabine et alla ouvrir la porte. Becker vida d’un trait son verre de jus d’airelle, déposa son gobelet sur le bar et saisit son manteau au passage.

— On m’a chargé de vous remettre ceci, annonça le pilote en sortant une enveloppe kraft de sa poche. Dessus, des mots avaient été griffonnés au stylo bleu :

GARDEZ LA MONNAIE.

Becker feuilleta la grosse liasse de billets rougeâtres.

— Qu’est-ce que... ?

— C’est la monnaie locale, expliqua le pilote.

— Je sais. Mais c’est... beaucoup trop. J’ai seulement besoin d’un peu de liquide pour le taxi.

Becker effectua en pensée la conversion.

— Il y a là-dedans plusieurs milliers de dollars !

— J’exécute les ordres.

Le pilote tourna les talons et regagna le cockpit. La porte se referma derrière lui.