Выбрать главу

— Du tennis dans un bocal, c’est bien ce que je dis ! railla-t-elle en lui donnant un coup de coude.

L’ailier droit de Georgetown tira un corner qui sortit du terrain, et les spectateurs sifflèrent à qui mieux mieux. Les défenseurs revinrent à toute vitesse vers leur ligne de but.

— Et toi ? demanda David. Tu fais du sport ?

– 14 –

— Je suis ceinture noire de step.

Becker grimaça.

— Je préfère les sports où l’on peut gagner.

— Monsieur le professeur a la rage de vaincre, à ce que je vois ? dit-elle dans un sourire.

Le défenseur vedette de Georgetown intercepta une passe, ce qui déclencha une vague d’acclamations dans le public. Susan se pencha et murmura à l’oreille de David :

— Docteur !

Il se tourna vers elle avec un regard d’incompréhension.

— Docteur ! répéta-t-elle. Réponds-moi la première chose qui te vient à l’esprit.

— Tu veux jouer aux associations de mots ? demanda Becker, dubitatif.

— C’est la procédure standard à la NSA. J’ai besoin de savoir avec qui je suis. Docteur ! insista-t-elle avec un regard sévère.

— Freud, répondit-il en haussant les épaules.

Susan fronça les sourcils.

— Bon, essayons celui-là... Cuisine !

— Chambre ! lança-t-il sans hésiter.

Susan plissa les yeux d’un air pénétré.

— Bon, un autre... Boyau !

— Naturel !

— Comment ça « naturel » ?

— Ouais. Le boyau naturel, c’est ce qu’il y a de mieux pour les raquettes de squash.

— Au secours ! grogna-t-elle.

— Alors ? Verdict ? s’enquit-il.

Susan réfléchit un peu.

— Je dirais que tu es un obsédé du squash, totalement immature et sexuellement frustré.

Becker hocha la tête.

— Ça m’a l’air correct.

L’enchantement dura ainsi plusieurs semaines. A chaque fin de repas, après le dessert, Becker la submergeait de questions.

– 15 –

Où avait-elle appris les mathématiques ? Comment était-elle arrivée à la NSA ? Quel était son secret pour être si irrésistible ?

Susan rougit et avoua qu’elle s’était « épanouie » sur le tard.

À la fin de l’adolescence, elle était une grande bringue maigrichonne et maladroite, affublée d’un vilain appareil dentaire. Un jour, sa tante Clara lui avait expliqué que Dieu, en guise d’excuses, lui avait donné un cerveau exceptionnel pour compenser son physique qu’il avait bâclé. Des excuses prématurées, de toute évidence, songea Becker.

L’intérêt de Susan pour la cryptologie datait de son arrivée au collège. Le président du club informatique, un grand dadais de cinquième dénommé Frank Gutmann, lui avait écrit un poème d’amour, qu’il avait crypté au moyen de suites numériques. Susan le supplia de le lui traduire mais Frank refusa, trop content de susciter ainsi un si bel intérêt. Susan avait alors emporté le code chez elle, et toute la nuit elle avait travaillé, cachée sous les draps avec une lampe torche, jusqu’à ce qu’elle découvre la clé de l’énigme. Chaque nombre représentait une lettre. Elle les déchiffra un à un, et regarda avec émerveillement ce qui ressemblait à une suite de chiffres aléatoires se transformer, comme par magie, en un magnifique poème. Et c’est ainsi qu’elle tomba amoureuse, non pas de Frank Gutmann, mais des codes et de la cryptologie. Ils seraient désormais toute sa vie.

Vingt ans plus tard environ, après avoir obtenu un master de mathématiques à l’université Johns Hopkins et étudié la théorie des nombres au MIT, elle soutint sa thèse de doctorat, Algorithmes et protocoles cryptographiques – méthodes et champs d’application. Apparemment, son directeur d’études ne fut pas le seul à la lire ; peu après, Susan reçut un appel de la NSA, suivi d’un billet d’avion.

Tous ceux qui pratiquaient la cryptologie connaissaient la NSA ; c’était le fief des plus grands mathématiciens de la planète. Chaque printemps, alors que les firmes du secteur privé se battaient bec et ongles pour recruter les élèves les plus brillants des nouvelles promotions, en leur offrant salaires mirobolants et liasses de stock-options, la NSA se contentait

– 16 –

d’observer en coulisse, faisait son choix et puis, au dernier round, approchait la perle rare convoitée et doublait la mise. Ce que la NSA voulait, elle l’achetait. Tout excitée par cette opportunité miraculeuse, Susan prit donc le vol pour Washington ; un chauffeur de la NSA l’attendait à sa descente d’avion et l’avait emmenée aussitôt à Fort Meade.

Cette année-là, ils étaient quarante et un à avoir reçu le même appel. Susan, alors âgée de vingt-huit ans, était la plus jeune d’entre eux. Elle était aussi l’unique femme. Son séjour n’eut rien à voir avec une simple visite d’information. Il s’agissait davantage d’une vaste opération de communication, pimentée d’un processus de sélection drastique des prétendants. La semaine suivante, Susan, ainsi que six autres heureux élus, étaient invités à passer le « deuxième tour ».

Après quelques hésitations, elle décida d’y retourner. Dès leur arrivée, les candidats composant l’ultime petit groupe de finalistes furent immédiatement séparés. Ils subirent une batterie de tests individuels : détecteur de mensonges, analyses graphologiques, passage au crible de leur passé, ainsi que des entretiens enregistrés à n’en plus finir, où on leur posa toutes sortes de questions des heures durant, jusqu’à leur demander quels étaient leurs goûts et pratiques sexuelles. Quand l’enquêteur demanda à Susan si elle avait déjà eu des rapports sexuels avec des animaux, elle faillit partir en claquant la porte.

Mais, quelque part au fond d’elle, le mystère avait déjà opéré –

la perspective de travailler à la pointe du décryptage, d’entrer dans le fameux Puzzle Palace1, d’appartenir au club le plus secret et le plus fermé du monde : la National Security Agency.

Becker écoutait le récit de Susan, bouche bée.

— Ils t’ont vraiment demandé si tu avais eu des relations sexuelles avec des animaux ?

— Vérification de routine, répondit Susan en haussant les épaules.

— Et alors ? questionna Becker en étouffant un fou rire.

C’est quoi, la réponse ?

1 The Puzzle Palace : A Report on America's Most Secret Agency, de James Bamford, Houghton Mifflin, Boston, 1982. (N.d.T.)

– 17 –

Susan lui lança un coup de pied sous la table.

— Non, bien sûr que non ! Puis elle ajouta, malicieuse : Enfin, c’était le cas... jusqu’à la nuit dernière.

Aux yeux de Susan, David était parfait. Mais il avait tout de même une regrettable qualité : chaque fois qu’ils sortaient, il insistait pour payer la note. Susan détestait le voir dépenser des jours entiers de salaire pour un dîner en amoureux, mais il montait sur ses grands chevaux sitôt qu’elle tentait de lui faire entendre raison. Elle n’osait plus protester, mais cela continuait à lui poser problème. Je gagne plus d’argent que je n’arrive à en dépenser, se disait-elle. C’est moi qui devrais payer...

Hormis son sens désuet de la galanterie, David était, pour la jeune femme, l’homme idéal – attentionné, intelligent, drôle et, cerise sur le gâteau, il s’intéressait sincèrement à son travail...