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Puis il riva ses yeux dans ceux de Susan.

— Quel est, à votre connaissance, le temps maximum qu’a pris TRANSLTR pour casser un code ?

Cette question fit retomber la tension de Susan. Elle semblait si anecdotique. C’est pour ça que vous m’avez fait venir ? pensa-t-elle avant de répondre :

— Eh bien..., commença-t-elle en fouillant sa mémoire, il y a quelques mois, il lui a fallu environ une heure pour décoder un message intercepté par le COMINT. Mais la clé était incroyablement longue – dix mille bits, quelque chose de cet ordre.

— Une heure..., marmonna Strathmore en poussant un grognement. Et les tests que nous lui avons fait subir ?

Susan haussa les épaules.

— Si on inclut les diagnostics internes, ça peut prendre beaucoup plus de temps.

— Combien de temps ?

Où voulait en venir Strathmore ?

— En mars, j’ai essayé un algorithme avec une clé segmentée d’un million de bits. Avec fonctions de boucles interdites, automate cellulaire, le grand jeu, quoi ! TRANSLTR a quand même réussi à le casser.

— En combien de temps ?

— En trois heures.

— Trois heures ? répéta Strathmore en haussant les sourcils, comme s’il trouvait ça long.

Susan se renfrogna, légèrement vexée. Durant les trois dernières années, l’essentiel de son travail avait consisté à peaufiner l’ordinateur le plus secret du monde ; la plupart des améliorations internes qui rendaient TRANSLTR si rapide étaient de son fait. Une clé de codage d’un million de bits représentait un scénario quasi improbable.

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— D’accord, reprit Strathmore. Donc, même dans les pires conditions, TRANSLTR met au maximum trois heures pour casser un code ?

— Oui, environ.

Strathmore resta silencieux, comme s’il hésitait à aller plus loin. Au bout d’un moment, il releva enfin la tête.

— TRANSLTR est tombée sur un os, déclara-t-il.

Il se tut de nouveau.

— Un code qui aurait résisté plus de trois heures ?

demanda-t-elle.

Strathmore acquiesça en silence. Susan semblait prendre la nouvelle avec sérénité.

— C’est un nouveau diagnostic interne ? Ça vient de la Sys-Sec ?

— Non. De l’extérieur.

Susan n’y croyait pas. C’était une mauvaise blague, dont la chute tardait à venir...

— De l’extérieur ? répéta-t-elle. Vous plaisantez, chef ?

— J’aimerais bien. J’ai entré le fichier hier soir vers onze heures et demie. Et il n’est toujours pas déchiffré.

Susan resta bouche bée. Elle jeta un regard à sa montre avant de revenir sur Strathmore.

— Toujours pas ? Après quinze heures de calcul ?

Strathmore se pencha et fit pivoter son moniteur vers Susan. L’écran était noir, à l’exception d’une petite fenêtre jaune qui clignotait au centre.

TEMPS ÉCOULÉ : 15 H 09 MIN 33 S

CLÉ EN ATTENTE : −−−−−−−−−−−−−−−

Susan était stupéfaite. Les processeurs de TRANSLTR

testaient trente millions de clés par seconde – cent milliards par heure. Si TRANSLTR tournait toujours, la clé devait dépasser les dix milliards de signes. De la folie...

— C’est impossible ! Avez-vous consulté le journal d’erreurs ? TRANSLTR a peut-être un petit problème et...

— Non, tout est correct.

— Alors la clé doit être immense !

– 33 –

— C’est un algorithme destiné au grand public, répondit-il en secouant la tête. À mon avis, la clé est parfaitement standard.

Incrédule, Susan jeta un regard vers TRANSLTR, de l’autre côté des vitres. D’ordinaire, la machine décryptait ces chiffrements en moins de dix minutes.

— Il doit y avoir une explication, affirma-t-elle.

— Oui, il y en a une, acquiesça Strathmore. Mais elle ne va pas vous plaire.

L’inquiétude gagnait Susan.

— TRANSLTR a un dysfonctionnement ?

— Non, tout tourne bien.

— Alors quoi, un virus ?

— Non, aucun virus.

Susan était sidérée. TRANSLTR n’avait jamais mis plus d’une heure à casser un code, si complexe fût-il. D’habitude, le texte clair arrivait chez Strathmore au bout de quelques minutes. Elle lança un coup d’œil à l’imprimante située derrière le bureau. Le bac était vide.

— Je vais vous expliquer la situation, reprit Strathmore calmement. Je sais que cela va être dur à admettre, mais laissez-moi aller jusqu’au bout sans m’interrompre. (Il se mordit la lèvre avant de se lancer :) Ce code sur lequel TRANSLTR

travaille... il est unique. Totalement nouveau.

Il marqua un nouveau temps d’arrêt, comme s’il lui fallait rassembler ses forces.

— Et il est... incassable.

Susan le regarda fixement. Elle faillit éclater de rire.

Incassable ? Ça n’avait pas de sens ! Aucun code n’était inviolable – certains nécessitaient plus de temps de calcul, mais on finissait toujours par en venir à bout. Tôt ou tard, TRANSLTR tombait sur la bonne combinaison, c’était mathématiquement garanti.

— Je vous demande pardon ? bredouilla-t-elle.

— Ce code est incassable, répéta-t-il.

Incassable ? Comment un homme ayant vingt-sept ans de cryptanalyse derrière lui pouvait-il prononcer un tel mot ?

— Vous croyez vraiment, chef ? dit-elle mal à l’aise. Que faites-vous du principe de Bergofsky ?

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Susan avait entendu parler du principe de Bergofsky dès le début de sa carrière. C’était la pierre angulaire du système de l’attaque de force brute. C’était aussi cette théorie qui avait inspiré Strathmore pour concevoir TRANSLTR. Le principe établissait que, si un ordinateur pouvait essayer suffisamment de clés par minute, il y avait la garantie mathématique qu’il finisse par trouver la bonne en un temps raisonnable. Ce qui rendait un code sûr, ce n’était pas le caractère inviolable de sa clé, c’était juste que les gens n’avaient ni le temps ni l’équipement ad hoc pour essayer toutes les combinaisons possibles.

— Ce code est différent, affirma Strathmore d’un air fataliste.

— Différent ? répéta Susan en lui jetant un regard de travers.

Un code incraquable est une impossibilité mathématique !

Il le sait parfaitement !

— Ce cryptogramme provient d’un tout nouveau type d’algorithme de chiffrement, expliqua Strathmore en passant la main sur son crâne dégarni. Du jamais vu.

Ce début d’explication rendit Susan encore plus dubitative.

Les algorithmes de cryptage n’étaient rien d’autre qu’une succession d’opérations mathématiques, une recette de cuisine pour brouiller les textes et les rendre illisibles. Les mathématiciens et les programmeurs en créaient chaque jour de nouveaux. Il en existait des centaines sur le marché – PGP, Diffie-Hellman, ZIP, IDEA, El Gamal. TRANSLTR les cassait tous, sans difficulté. Aucun chiffrement ne lui posait problème, quel que soit le système utilisé.

— Je ne comprends pas, insista-t-elle. Il ne s’agit pas de décompresser des programmes informatiques complexes, mais d’une attaque de force brute ! PGP, Lucifer, DSA – peu importe l’algorithme. Le logiciel génère une clé censée sécuriser les envois, et TRANSLTR essaie toutes les combinaisons jusqu’à trouver la bonne.

— Oui, Susan, je sais, lui répondit Strathmore en s’efforçant de garder le ton patient du bon professeur. TRANSLTR finit