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— Rabâcheur, va ! dit Braga, dépité.

— Rien à craindre… C’est ça ! bredouilla Grigo, méfiant.

Tout le monde regarda le commandant. Argo posa la main sur une poignée chaude, transparente comme tout le reste de l’appareil.

— Suivez-moi tous.

Pour donner l’exemple, il entra le premier.

Jetant la fleur, Lioubava monta derrière lui.

— Comme il fait frais, ici ! dit-elle.

Brock fut le dernier à pénétrer dans le véhicule. Il le fit manifestement à contrecœur, obtempérant à l’ordre réitéré d’Argo. La portière, réapparue du néant, se referma immédiatement, et le véhicule se mit en mouvement en s’élevant au-dessus des dalles du cosmodrome.

Est-ce une rencontre de ce genre avec les Terriens que l’équipage de l’Orion avait espérée pendant le vol ?

Le véhicule faisait demi-tour tout en prenant de la vitesse. Les bâtiments du cosmodrome commencèrent à se rapprocher. Trapus vus de loin, ils barraient maintenant la moitié du ciel.

Bientôt, le véhicule les laissa derrière lui et se retrouva en pleine steppe. Il glissait sur une route bombée, luisante et aussi droite qu’une flèche.

Lioubava appuyait son front contre la paroi transparente derrière laquelle défilait la steppe.

Le paysage changea. De part et d’autre de la route apparurent des arbres et des buissons. Mais, fait important, sur la droite, un mur émergea. Personne n’avait remarqué à quel moment cela s’était produit. Haut, de couleur vert clair, il longeait la route.

La « goutte » s’arrêta devant une porte verte. La portière s’ouvrit et les voyageurs, en hésitant, descendirent. Le soleil de midi luisait, de la verdure bordait la route.

La portière se referma, et le véhicule disparut.

Il y eut un moment de silence, troublé seulement par les stridulations des sauterelles.

— C’est gai ! fit remarquer Grigo.

A ce moment, la porte s’effaça comme pour inviter les hommes à entrer.

Argo fit un mouvement vers la porte, les autres marchant sur ses pas.

— Stop ! cria Brock, et il y avait tant d’angoisse dans sa voix que tous s’arrêtèrent et se tournèrent vers le jeune homme. — C’est un piège, dit-il haletant. Il se peut qu’il n’y ait même pas d’hommes sur la Terre et que nous soyons tombés entre les mains d’envahisseurs ? Et si la Terre était désormais un royaume de robots ? Allez, filons…

Brock fit un bond mais, repoussé par un obstacle invisible, rebondit sur le bas-côté, conservant avec peine son équilibre.

— Tu es encore un enfant, Brock, hocha la tête le commandant, et il reprit son chemin.

— Mais tu ne vas pas nier, commandant, que maintenant une barrière invisible nous entoure ? prononça Brock, plus calme.

— Les champs de forces sont chose courante, dit Argo. Il ne peut y avoir de quarantaine sans isolement.

Où aller ? Le groupe n’eut pas à réfléchir longtemps : le champ directeur fonctionna de nouveau. Orientés par lui, les douze membres de l’équipage se dirigèrent vers le bâtiment le plus proche.

Aux platanes succédèrent de hautes plantes, dont les feuilles ciselées tiraient sur le bleu. Lioubava ralentit le pas pour les examiner. De tout l’équipage, elle seule, semblait-il, gardait une confiance sereine, mêlée d’un étonnement naïf devant tout ce qu’elle voyait.

— A bord de l’Orion, nous n’avions pas de buissons à feuilles bleues comme ceux-là. Qu’est-ce que c’est comme plante, Grigo ? demanda-t-elle au navigateur qui marchait à côté d’elle.

— On dirait une fougère vénusienne, grommela Grigo.

Dans la foulée des autres, ils entrèrent dans une vaste salle.

CHAPITRE 2

Le XXIIe siècle

Borza avait été surnommé l’Inventeur depuis sa première année d’études supérieures. Certes, le qualificatif n’avait rien de honteux, mais entre les murs de l’Académie de l’Espace il revêtait un caractère un peu ironique. En effet, parmi les élèves-pilotes, qui raffolaient des étoiles, Borza passait pour un merle blanc, même s’il n’oubliait pas les astres. Il ne consacrait pas ses loisirs à déchiffrer les vieilles cartes cosmiques, aux microfilms relatant des expéditions d’antan, aux comptes rendus des vols devenus des classiques, enfin, à la composition de poèmes sur le légendaire commandant Fiodor Icarov, ancien élève de l’Académie, qui conduisit le pul-soplan photonique Pivoine vers l’Étoile noire, mais au maniement de fioles, de cornues, pleines d’agents chimiques et de bioréactifs, ainsi qu’aux autres attributs de la panoplie des biocybernéticiens. Rien ne pouvait causer à Borza un plus grand plaisir que de rassembler, à partir des cellules protéiques élémentaires qu’il avait lui-même cultivées, une structure logique insolite qui frappait l’imagination de ses camarades par ses idées originales. Il savait tenir parfois des propos tels que ses copains ne faisaient que hocher la tête, ne sachant pas si l’Inventeur parlait sérieusement ou, comme à son habitude, plaisantait.

— Dès le début, notre civilisation a suivi le mauvais chemin, déclara-t-il un jour. Elle penche trop vers la technologie. A peine descendus des arbres et ayant commencé à fabriquer des outils, nos ancêtres ont cavé, taillé, foré, puis fondu, raboté, poli à outrance.

— Au lieu de… ? demanda Piotr Braga, son ami.

— Au lieu de cultiver, de rechercher des espèces hybrides, de planter. Bref, il fallait orienter la nature plutôt que de la mutiler, expliqua Borza.

L’année d’après le départ de l’Orion, le Conseil suprême de coordination décida de réserver un vaste territoire à une sorte de cité pour les équipages des vaisseaux cosmiques qui revenaient sur Terre. Prise en vue d’un avenir lointain, la décision était dictée par la vie. Plus on perfectionnait les vaisseaux qui transperçaient l’espace, plus leur vitesse approchait celle de la lumière, plus leur propre temps ralentissait, « se congelait » par rapport à celui de la Terre. Au début, cet effet fut si négligeable que seuls les chronomètres l’enregistraient. Puis, la différence se mesura en journées, en mois, en années, et on put alors la constater de visu. C’est à cette époque qu’arriva une histoire qui devait confirmer l’hypothèse d’Einstein et entrer dans les manuels scolaires.

…Il était une fois deux frères jumeaux, si ressemblants que même leur mère les confondait. Les frères grandirent ensemble et dans l’amitié, mais après l’école leurs chemins se séparèrent. L’un rêvait du Cosmos et eut la chance d’entrer à l’Académie de l’Espace qui venait d’être instituée. L’autre devint ingénieur, spécialiste de la transformation de la nature. Vint le jour des adieux… L’un allait partir dans l’espace, l’autre était allé le saluer à bord du vaisseau. Est-il besoin de préciser qu’au dernier moment le commandant faillit les confondre ? Faut-il évoquer les difficultés du vol ? Le moment venu, le vaisseau rentra sur Terre. Et tout le monde s’étonna en voyant s’embrasser deux jumeaux : un garçon de vingt ans et un homme allant sur sa quarantaine.

Naturellement, le décalage dans le temps avait touché sans exception tous les membres de l’équipage qui sortirent du vaisseau sur le cosmodrome situé en pleine steppe : chacun avait « rajeuni » de vingt ans exactement par rapport aux parents et amis venus à leur rencontre. Seulement, c’était sur les jumeaux que c’était le plus visible. Aussi, l’histoire entra-t-elle dans les manuels…

Pour les futurs équipages ce décalage ne devait qu’augmenter inexorablement.

En prenant sa décision, le Conseil de coordination comptait aussi avec le fait que le rythme de vie sur Terre allait s’accélérer d’année en année et que, respectivement, devaient changer non seulement les matériels, mais encore les goûts et les coutumes des gens.