– On y va comment ? demanda Fred, visiblement secoué. Par la poudre de Cheminette ?
– Non, répondit Dumbledore. Trop risqué, le réseau des cheminées est surveillé. Vous prendrez un Portoloin. (Il montra l’innocente vieille bouilloire posée sur son bureau.) Nous attendons simplement que Phineas Nigellus vienne faire son rapport… Je veux être sûr que la voie est libre avant de vous donner le feu vert…
Il y eut soudain un éclair de flammes au beau milieu du bureau et une unique plume d’or virevolta doucement vers le sol.
– C’est un avertissement de Fumseck, dit Dumbledore en rattrapant la plume. Le professeur Ombrage doit savoir que vous avez quitté vos dortoirs… Minerva, allez l’occuper… Racontez-lui une histoire quelconque…
Le professeur McGonagall sortit dans un tourbillon de tissu écossais.
– Il dit qu’il sera ravi de les accueillir, annonça une voix morne derrière Dumbledore.
Le dénommé Phineas avait repris sa place devant la bannière des Serpentard.
– Mon arrière-arrière-petit-fils a toujours manifesté un goût étrange dans le choix de ses invités.
– Venez ici, dit Dumbledore à Harry et aux Weasley. Et dépêchez-vous avant que quelqu’un n’arrive.
Harry et les autres se rassemblèrent autour du bureau de Dumbledore.
– Vous avez tous déjà utilisé un Portoloin ? demanda Dumbledore.
Ils acquiescèrent d’un signe de tête et chacun d’eux tendit la main pour toucher la bouilloire noircie.
– Bien, attention, à trois… Un… Deux…
Tout se passa en une fraction de seconde : dans l’instant infinitésimal qui précéda le « trois », Harry leva son regard vers lui – ils étaient tout près l’un de l’autre – et les yeux bleu clair de Dumbledore se posèrent sur son visage.
Aussitôt, la cicatrice de son front lui fit l’effet d’être chauffée à blanc, comme si l’ancienne blessure venait de se rouvrir. Alors, contre tout désir, contre toute volonté, mais avec une force terrifiante, il sentit monter en lui un sentiment de haine si intense qu’en cet instant précis, rien n’aurait pu lui apporter plus grande satisfaction que de frapper – de mordre – d’enfoncer ses crochets dans la chair de l’homme qui se tenait devant lui…
– … Trois.
La main soudain collée contre la bouilloire, Harry ressentit une puissante secousse au niveau de son nombril et le sol se déroba sous ses pieds. Il se cognait contre les autres tandis qu’un tourbillon de couleurs les emportait dans un sifflement semblable à celui du vent… jusqu’à ce que ses pieds atterrissent si brutalement que ses genoux fléchirent. La bouilloire tomba par terre dans un bruit de ferraille et une voix toute proche marmonna :
– De retour, les sales petits gamins traîtres à leur sang. Est-il vrai que leur père est à l’agonie ?
– DEHORS ! rugit une deuxième voix.
Harry se releva tant bien que mal et regarda autour de lui. Ils étaient arrivés dans la sinistre cuisine aménagée au sous-sol du 12, square Grimmaurd. Il n’y avait pour toute lumière que le feu de la cheminée et une chandelle qui éclairait les restes d’un dîner solitaire. Avant de disparaître par la porte qui donnait sur le hall, Kreattur leur lança un regard mauvais en remontant son pagne. Sirius se précipita vers eux, l’air anxieux. Il était encore habillé et ne s’était pas rasé depuis plusieurs jours. Une vague odeur d’alcool rance, à la Mondingus, flottait autour de lui.
– Qu’est-ce qui se passe ? demanda-t-il en tendant une main à Ginny pour l’aider à se relever. Phineas Nigellus a dit qu’Arthur avait été gravement blessé…
– Demandez à Harry, dit Fred.
– Oui, moi aussi, j’aimerais bien savoir, ajouta George.
Ginny et les jumeaux avaient les yeux fixés sur Harry. Les pas de Kreattur s’étaient arrêtés sur les marches de l’escalier qui menait dans le hall.
– J’ai eu…, commença Harry.
C’était encore pire que de le raconter à McGonagall ou à Dumbledore.
– J’ai eu une… une sorte de… vision…
Il leur fit alors le récit de ce qu’il avait vu mais en modifiant un peu l’histoire pour laisser entendre qu’il avait observé l’attaque de l’extérieur et non pas à travers les yeux du serpent lui-même. Ron, toujours très pâle, lui lança un regard furtif, mais ne dit pas un mot. Lorsque Harry eut terminé, Fred, George et Ginny continuèrent de le fixer pendant un bon moment. Harry ne savait pas si c’était un effet de son imagination mais il lui semblait déceler dans leurs yeux quelque chose d’accusateur. S’ils devaient lui en vouloir d’avoir été le simple témoin de l’attaque, il ne pouvait que se féliciter de ne pas leur avoir révélé qu’il s’était trouvé à l’intérieur même du serpent.
– Maman est là ? demanda Fred en se tournant vers Sirius.
– Elle ne doit pas encore être au courant, répondit Sirius. L’important, c’était de vous éloigner d’Ombrage avant qu’elle ne puisse s’en mêler. Je pense que Dumbledore va prévenir Molly, maintenant.
– Il faut qu’on aille tout de suite à Ste Mangouste, dit Ginny d’une voix fébrile.
Elle jeta un coup d’œil à ses frères qui étaient toujours en pyjama.
– Sirius, vous pouvez nous prêter des capes ou autre chose ?
– Attendez un peu, vous n’allez pas vous précipiter comme ça à Ste Mangouste ! dit Sirius.
– Bien sûr que si. On va à Ste Mangouste si on a envie d’y aller, dit Fred avec une expression butée. C’est notre père !
– Et comment allez-vous expliquer que vous êtes au courant de l’attaque dont il a été victime alors que l’hôpital n’a même pas encore prévenu sa femme ?
– Quelle importance ? dit George d’un ton véhément.
– C’est important parce qu’il ne faut surtout pas attirer l’attention sur le fait que Harry voit dans ses rêves des choses qui se passent à des centaines de kilomètres ! répliqua Sirius avec colère. Vous vous rendez compte de ce que le ministère pourrait faire d’une telle information ?
À l’évidence, Fred et George considéraient les agissements du ministère comme le dernier de leurs soucis. Ron, lui, avait toujours un teint de cendre et ne disait pas un mot.
– Quelqu’un d’autre que Harry aurait pu nous prévenir…, dit Ginny.
– Qui, par exemple ? demanda Sirius d’un ton agacé. Écoutez-moi bien, votre père a été blessé au cours d’une mission pour le compte de l’Ordre. Les circonstances de l’attaque sont déjà suffisamment louches, si en plus on s’aperçoit que ses enfants étaient au courant quelques secondes plus tard, l’Ordre pourrait en subir de très graves conséquences…
– On s’en fiche complètement de cette idiotie d’Ordre ! s’exclama Fred.
– Tout ce qui compte, c’est que papa est en train de mourir ! s’écria George.
– Votre père savait à quoi il s’exposait et il ne vous remerciera pas d’avoir compliqué les choses ! répliqua Sirius, tout aussi furieux. Voilà pourquoi vous n’êtes pas membres de l’Ordre… Vous ne comprenez pas… Il y a des causes pour lesquelles il vaut la peine de mourir !
– Ça vous va bien de dire ça, vous qui restez toujours collé ici ! vociféra Fred. On ne vous voit pas beaucoup risquer votre peau !
Le peu de couleur qui restait sur le visage de Sirius disparut aussitôt. Pendant un instant, il sembla éprouver une envie irrésistible de frapper Fred, mais lorsqu’il reprit la parole ce fut d’une voix résolument calme :
– Je sais que c’est difficile, mais nous devons tous agir comme si nous ne savions rien. Il faut rester ici au moins jusqu’à ce que votre mère nous prévienne, d’accord ?
Fred et George avaient toujours l’air révoltés. Ginny, en revanche, se dirigea vers la chaise la plus proche et s’y laissa tomber. Harry regarda Ron qui fit un drôle de mouvement, entre le signe de tête et le haussement d’épaules, puis tous deux s’assirent également. Les jumeaux continuèrent de fixer Sirius d’un œil noir avant de se décider à s’asseoir à leur tour, de part et d’autre de Ginny.