– Je viens de vous le donner, jeune sot, répondit Phineas Nigellus d’une voix doucereuse. Dumbledore vous dit : « Restez où vous êtes. »
– Et pourquoi ? demanda Harry avec impatience en laissant tomber sa valise. Pourquoi veut-il que je reste ? Qu’est-ce qu’il a dit d’autre ?
– Rien du tout, répondit Phineas Nigellus en haussant un sourcil noir et fin, comme s’il trouvait Harry impertinent.
La colère de Harry remonta à la surface comme un serpent qui se dresse soudain parmi les hautes herbes. Il était épuisé, son esprit s’égarait au-delà de toute mesure. Au cours des douze dernières heures, la terreur, le soulagement, puis à nouveau la terreur s’étaient succédé en lui, et pourtant, Dumbledore ne voulait toujours pas lui parler !
– Alors, c’est tout ? lança-t-il d’une voix forte. « Restez où vous êtes » ? C’est aussi tout ce qu’on a trouvé à me dire après l’attaque des Détraqueurs ! Tiens-toi tranquille pendant que les adultes s’occupent des choses sérieuses ! On ne prendra pas la peine de te dire quoi que ce soit parce que ton minuscule petit cerveau ne saurait pas comment réagir !
– Voilà précisément pourquoi j’ai toujours détesté être professeur ! répliqua Phineas Nigellus d’une voix encore plus forte que celle de Harry. Les jeunes gens ont toujours l’infernale certitude d’avoir raison en toutes choses. Vous est-il jamais venu à l’esprit, mon pauvre petit jacasseur tout boursouflé d’importance, que le directeur de Poudlard pourrait avoir une excellente raison de ne pas vous confier dans leurs plus infimes détails les projets qu’il a en tête ? Avez-vous jamais pris le temps de remarquer que, malgré votre sentiment d’être si durement traité, vous n’avez jamais eu à souffrir d’avoir suivi les ordres de Dumbledore ? Non. Non, comme tous les jeunes gens, vous êtes convaincu que vous êtes seul à ressentir, seul à réfléchir, que vous seul savez reconnaître le danger, que vous seul êtes assez intelligent pour comprendre ce que le Seigneur des Ténèbres prépare…
– Il prépare quelque chose qui me concerne, alors ? demanda précipitamment Harry.
– Ai-je dit cela ? répondit Phineas Nigellus en contemplant ses gants de soie d’un air nonchalant. Maintenant, si vous voulez bien m’excuser, j’ai autre chose à faire que prêter l’oreille aux tourments d’un adolescent… Je vous souhaite le bonjour.
Et il sortit du tableau.
– Très bien, allez-vous-en ! s’écria Harry en s’adressant au cadre vide. Et inutile de remercier Dumbledore, il n’y a aucune raison pour ça !
La toile resta silencieuse. Rageur, Harry ramena sa valise au pied de son lit puis se jeta à plat ventre sur les couvertures mangées aux mites, les yeux fermés, le corps lourd et douloureux.
Il avait l’impression d’avoir parcouru des kilomètres et des kilomètres… Il lui semblait impossible que, moins de vingt-quatre heures plus tôt, Cho Chang se soit approchée de lui, sous la branche de gui… Il était si fatigué… Il avait peur de dormir… Mais il ne savait pas combien de temps encore il pourrait lutter contre le sommeil… Dumbledore lui avait dit de rester… Cela devait signifier qu’il avait le droit de dormir… Mais la peur était là quand même… Si quelque chose de semblable se produisait à nouveau ?
Il s’enfonça peu à peu dans l’obscurité…
C’était comme si un film dans sa tête l’avait attendu pour commencer. Il marchait dans un couloir désert en direction d’une porte lisse et noire, entre des murs de pierre brute, éclairés par des torches. Sur la gauche, un passage ouvert donnait sur une volée de marches qui descendaient…
Il atteignait la porte mais ne parvenait pas à l’ouvrir… Il restait là à la contempler, avec une envie irrépressible d’entrer… Quelque chose qu’il désirait plus que tout au monde se trouvait derrière cette porte… Quelque chose qui dépassait tous ses rêves… Si seulement sa cicatrice cessait de le picoter… il pourrait réfléchir plus clairement…
– Harry, dit la voix très, très lointaine de Ron. Maman dit que le dîner est prêt mais qu’elle te gardera quelque chose si tu veux rester couché.
Harry ouvrit les yeux, mais Ron avait déjà quitté la pièce.
« Il ne veut pas rester seul avec moi, pensa-t-il. Pas après avoir entendu ce que Maugrey a dit… »
Il se doutait que plus personne ne voulait se trouver en sa présence, maintenant qu’ils savaient ce qu’il y avait en lui.
Il ne descendrait pas dîner, il ne leur infligerait pas sa compagnie. Il se tourna de l’autre côté et retomba bientôt dans le sommeil. Il se réveilla beaucoup plus tard, aux premières heures du jour, rongé par la faim. Ron ronflait dans le lit d’à côté. Plissant les yeux pour scruter la pénombre, Harry vit la silhouette sombre de Phineas Nigellus qui était revenu dans son portrait et il pensa que Dumbledore l’avait sans doute chargé de le surveiller au cas où il attaquerait quelqu’un d’autre.
L’impression de souillure s’intensifia. Il regrettait presque d’avoir obéi à Dumbledore… Si telle devait être sa vie désormais dans la maison du square Grimmaurd, peut-être qu’après tout, il serait mieux à Privet Drive.
Tout le monde, à part lui, passa la matinée à accrocher des décorations de Noël. Harry ne se souvenait pas d’avoir jamais vu Sirius d’aussi bonne humeur. Il allait même jusqu’à chanter des cantiques, apparemment ravi d’avoir de la compagnie pour les fêtes. Harry entendait sa voix filtrer à travers le parquet, dans le salon glacé où il était assis tout seul, regardant par la fenêtre le ciel de plus en plus blanc qui annonçait la neige. Harry éprouvait une sorte de plaisir sauvage à donner aux autres l’occasion de parler de lui, comme ils devaient sûrement le faire. Quand il entendit Mrs Weasley l’appeler doucement dans l’escalier à l’heure du déjeuner, il ne lui répondit pas et alla se réfugier plus haut dans les étages.
Vers six heures du soir, la sonnette de la porte d’entrée retentit et Mrs Black recommença à hurler. Se doutant que Mondingus ou quelque autre membre de l’Ordre était venu en visite, il se cala plus confortablement contre le mur, dans la pièce où Buck était enfermé et où lui-même avait décidé de se cacher. Il essayait d’ignorer sa propre faim tandis qu’il donnait à l’hippogriffe des rats morts à manger. Quelques minutes plus tard, il sursauta légèrement en entendant quelqu’un frapper à grands coups contre la porte.
– Je sais que tu es là, dit la voix d’Hermione. Tu veux bien sortir ? J’ai à te parler.
– Qu’est-ce que tu fais ici ? demanda Harry en ouvrant la porte.
Buck s’était remis à gratter la paille répandue sur le sol, à la recherche des morceaux de rat qui auraient pu lui échapper.
– Je croyais que tu étais partie faire du ski avec tes parents ?
– Pour t’avouer la vérité, je n’aime pas vraiment le ski, répondit Hermione. Alors, je suis venue passer Noël ici.
Elle avait de la neige dans les cheveux et ses joues étaient rosies par le froid.
– Mais ne le répète pas à Ron. Je lui ai dit que le ski était un sport merveilleux parce qu’il n’arrêtait pas d’en rire. Mes parents sont un peu déçus mais je leur ai expliqué que tous ceux qui préparent sérieusement leurs examens restent à Poudlard pour travailler. Et comme ils veulent que je réussisse, ils comprendront. Bon, maintenant, allons dans ta chambre, ajouta-t-elle d’un ton vif. La mère de Ron y a allumé un feu et elle a apporté des sandwiches.
Harry la suivit au deuxième étage. Lorsqu’il entra dans la chambre, il fut surpris d’y voir à la fois Ron et Ginny qui l’attendaient, assis sur le lit de Ron.
– Je suis arrivée par le Magicobus, dit Hermione d’un ton dégagé en retirant son blouson avant que Harry ait eu le temps de dire un mot. Dumbledore m’a raconté ce qui s’est passé hier matin mais il a fallu que j’attende la fin officielle du trimestre pour pouvoir quitter Poudlard. Ombrage est déjà furieuse que vous ayez disparu sous son nez, même si Dumbledore lui a dit que Mr Weasley était à Ste Mangouste et qu’il vous avait donné la permission de partir. Bon, alors…