– Tu veux que je lui jette un sort ? Je peux encore le faire d’ici, dit-il en sortant sa baguette magique qu’il pointa entre les omoplates de Smith.
– Laisse tomber, dit Harry, la mine maussade. C’est ce que tout le monde va penser, non ? Que je suis vraiment stup…
– Bonjour, Harry, dit une voix derrière lui.
Il se retourna et vit Cho.
– Oh, dit-il en sentant son estomac faire un bond. Salut.
– On se retrouve à la bibliothèque, Harry, dit fermement Hermione qui prit Ron par le bras et l’entraîna vers l’escalier de marbre.
– Tu as passé un bon Noël ? demanda Cho.
– Oui, pas mal, répondit Harry.
– Le mien était plutôt calme.
Pour une raison qu’il ignorait, Cho paraissait un peu gênée.
– Heu… poursuivit-elle, il y a une autre sortie à Pré-au-Lard le mois prochain, tu as vu ?
– Quoi ? Ah non, je n’ai pas encore regardé le tableau d’affichage depuis mon retour.
– C’est le jour de la Saint-Valentin…
– Ah, très bien, dit Harry en se demandant pourquoi elle lui annonçait cela. J’imagine que tu veux…
– Seulement si tu le veux aussi, s’empressa-t-elle d’ajouter.
Harry la regarda d’un air étonné. Il s’apprêtait à dire : « J’imagine que tu veux savoir la date de la prochaine réunion ? » Mais sa réponse ne semblait pas convenir.
– Je… heu…, dit-il.
– Oh, ce n’est pas grave si tu ne veux pas, dit Cho, l’air mortifié. Ne t’inquiète pas. À… à un de ces jours.
Et elle s’en alla. Harry la regarda s’éloigner, en faisant travailler frénétiquement ses méninges. Tout à coup, les rouages se mirent en place.
– Cho ! Hé… CHO !
Il courut après elle et la rattrapa au milieu de l’escalier de marbre.
– Heu… Tu veux sortir avec moi à Pré-au-Lard, le jour de la Saint-Valentin ?
– Oooh oui ! répondit-elle avec un grand sourire en devenant écarlate.
– Bon… Ben… alors, c’est d’accord, dit Harry.
Avec le sentiment qu’en définitive, cette journée ne serait pas complètement perdue, il bondit littéralement jusqu’à la bibliothèque pour aller chercher Ron et Hermione avant leurs cours de l’après-midi.
À six heures ce soir-là, cependant, même le bien-être qu’il éprouvait après avoir invité avec succès Cho à l’accompagner à Pré-au-Lard ne parvenait pas à alléger la menace qui pesait sur lui avec de plus en plus d’intensité à mesure qu’il approchait du bureau de Rogue.
Lorsqu’il arriva devant la porte, il s’arrêta quelques instants en songeant qu’il aurait préféré se retrouver n’importe où ailleurs, ou presque, puis il prit une profonde inspiration, frappa et entra.
Les murs de la pièce plongée dans la pénombre étaient recouverts d’étagères surchargées de centaines de bocaux dans lesquels de petits morceaux visqueux d’animaux ou de plantes flottaient dans des potions de diverses couleurs. Au fond de la pièce se trouvait l’armoire que Rogue avait un jour accusé Harry – non sans raison – d’avoir fouillée pour y voler des ingrédients. L’attention de Harry fut attirée par une bassine de pierre peu profonde, gravée de runes et de symboles, posée sur le bureau à la lueur des chandelles. Harry la reconnut tout de suite : c’était la Pensine de Dumbledore. Il se demanda ce qu’elle pouvait bien faire là et sursauta lorsque la voix glacée de Rogue s’éleva de l’ombre :
– Fermez la porte derrière vous, Potter.
Harry obéit en éprouvant l’horrible impression qu’il s’emprisonnait lui-même. Lorsqu’il se retourna, Rogue était apparu dans la lumière et montrait silencieusement la chaise qui faisait face à son bureau. Harry s’assit, Rogue également, ses yeux noirs et froids fixés sur lui, une expression d’antipathie gravée dans chaque ride de son visage.
– Bien… Potter, vous savez pourquoi vous êtes ici, dit-il. Le directeur m’a demandé de vous enseigner l’occlumancie. J’espère simplement que vous manifesterez de meilleures dispositions dans l’étude de cette matière que dans celle des potions.
– Très bien, dit sobrement Harry.
– Ceci n’est peut-être pas un cours ordinaire, Potter, reprit Rogue, en plissant les yeux d’un air mauvais, mais je reste votre professeur et vous êtes prié par conséquent de toujours m’appeler « professeur » ou « monsieur ».
– Oui… monsieur, répondit Harry.
– Bien. L’occlumancie. Comme je vous l’ai déjà dit dans la cuisine de votre cher parrain, cette branche de la magie a pour objet de fermer l’esprit aux intrusions et influences extérieures.
– Et pourquoi le professeur Dumbledore pense-t-il que j’en ai besoin, monsieur ? interrogea Harry, les yeux fixés sur ceux de Rogue, en se demandant s’il allait répondre.
Rogue soutint son regard pendant un moment puis déclara d’un ton méprisant :
– Même vous, vous auriez pu le comprendre, Potter. Le Seigneur des Ténèbres est très habile en matière de legilimancie…
– De quoi ? Monsieur ?
– Il s’agit de la faculté d’extraire de l’esprit d’autrui des sentiments ou des souvenirs…
– Vous voulez dire qu’il arrive à lire dans les pensées ? dit aussitôt Harry qui voyait ses pires craintes confirmées.
– Vous êtes totalement dépourvu de subtilité, Potter, répliqua Rogue, ses yeux noirs étincelant. Vous ne comprenez pas les nuances. C’est l’un des défauts qui font de vous un si lamentable préparateur de potions.
Rogue resta un moment silencieux, tout à son plaisir d’insulter Harry, puis il poursuivit :
– Seuls les Moldus parlent de lire dans les pensées. Les pensées ne sont pas un livre qu’on ouvre et qu’on peut feuilleter tout à loisir. Elles ne sont pas gravées à l’intérieur du crâne, à la disposition du premier intrus qui passera par là. L’esprit est une chose complexe qui comporte de nombreuses couches successives, Potter ; chez la plupart des gens, en tout cas… (Il eut un petit rire ironique.) Il est vrai, cependant, que ceux qui maîtrisent la legilimancie sont capables, dans certaines conditions, de plonger dans l’esprit de leurs victimes et d’interpréter correctement ce qu’ils y découvrent. Le Maître des Ténèbres, par exemple, sait toujours lorsque quelqu’un lui ment. Seuls ceux qui pratiquent l’occlumancie arrivent à interdire tout accès aux sentiments ou aux souvenirs qui contredisent leurs mensonges et peuvent ainsi proférer de fausses affirmations en sa présence sans qu’il parvienne à les détecter.
Rogue pouvait bien raconter ce qu’il voulait, Harry ne voyait aucune différence entre la legilimancie et le fait de lire dans les pensées, et tout cela ne lui disait rien qui vaille.
– Alors, il pourrait savoir ce que nous pensons en ce moment même ? Monsieur ?
– Le Seigneur des Ténèbres se trouve très loin d’ici et les murs, ainsi que le parc de Poudlard, sont protégés par de très anciens charmes et sortilèges qui assurent la sécurité physique et mentale de ceux qui y résident, dit Rogue. Le temps et l’espace ont une grande importance en matière de magie, Potter. Le contact visuel est souvent essentiel dans l’exercice de la legilimancie.
– Dans ce cas, pourquoi dois-je apprendre l’occlumancie ?
Rogue dévisagea Harry en caressant ses lèvres d’un doigt long et fin.
– Les règles habituelles ne paraissent pas s’appliquer à vous, Potter. Le maléfice qui a failli vous tuer semble avoir établi une sorte de connexion entre vous et le Seigneur des Ténèbres. L’observation laisse penser qu’à certains moments, lorsque votre esprit est le plus détendu et le plus vulnérable – quand vous êtes endormi, par exemple –, vous partagez ses pensées et ses émotions. Le directeur estime qu’il n’est pas souhaitable que cette situation se prolonge. Il désire donc que je vous apprenne à interdire l’accès de votre esprit au Seigneur des Ténèbres.