– J’essaye, dit Harry avec colère, mais vous ne m’expliquez pas comment faire !
– Sur un autre ton, Potter, répliqua Rogue, menaçant. Et maintenant, vous allez fermer les yeux.
Harry lui lança un regard féroce avant d’obéir. Il n’aimait pas du tout l’idée de rester là les yeux fermés, face à Rogue qui pointait sa baguette sur lui.
– Videz votre esprit, Potter, dit Rogue de sa voix glaciale. Débarrassez-vous de toute émotion…
Mais la fureur de Harry continuait de palpiter dans ses veines comme un venin. Se débarrasser de sa colère ? C’était à peu près aussi facile que de s’arracher les jambes…
– Vous n’y parvenez pas, Potter… Vous aurez besoin d’une plus grande discipline… Concentrez-vous, à présent…
Harry essaya de se vider l’esprit, de ne penser à rien, de ne se souvenir de rien, de ne rien ressentir…
– Allons-y… Je compte jusqu’à trois… Un, deux, trois, Legilimens !
Un grand dragon noir se cabrait devant lui… Son père et sa mère lui adressaient des signes de la main, de l’autre côté d’un miroir enchanté… Cedric Diggory était allongé sur le sol, ses yeux vides fixés sur lui…
– NOOOOOOOON !
Harry était à nouveau tombé à genoux, le visage dans les mains. Son cerveau lui faisait mal comme si quelqu’un avait essayé de l’arracher de son crâne.
– Levez-vous ! lança sèchement Rogue. Levez-vous ! Vous n’essayez pas, vous ne faites aucun effort. Vous me laissez accéder à des souvenirs qui vous font peur, vous me donnez des armes !
Harry se releva, le cœur cognant frénétiquement contre sa poitrine, comme s’il venait vraiment de voir Cedric mort dans le cimetière. Rogue était encore plus pâle que d’habitude, plus en colère aussi, mais certainement pas aussi furieux que Harry.
– Je-fais-des-efforts, répliqua celui-ci, les dents serrées.
– Je vous avais dit de vous débarrasser de toute émotion !
– Ah oui ? Eh bien, je trouve ça très difficile en ce moment, gronda Harry.
– Alors, vous deviendrez une proie facile pour le Seigneur des Ténèbres ! dit Rogue avec une sorte de sauvagerie. Les idiots qui portent fièrement leur cœur en bandoulière, qui sont incapables de contrôler leurs émotions, qui se complaisent dans les souvenirs les plus tristes et se laissent facilement provoquer – les gens faibles, en d’autres termes – n’ont aucune chance de résister à ses pouvoirs ! Il parviendra à pénétrer votre esprit avec une facilité absurde, Potter !
– Je ne suis pas faible, répondit Harry à voix basse.
La fureur parcourait tout son corps avec une telle force qu’il se sentait prêt à attaquer Rogue à tout moment.
– Alors, prouvez-le ! Maîtrisez-vous ! lança Rogue. Contrôlez votre colère, disciplinez votre esprit ! On va essayer encore une fois ! Préparez-vous ! Legilimens !
Il regardait l’oncle Vernon clouer une planche devant la boîte aux lettres à grands coups de marteau… Une centaine de Détraqueurs s’avançaient vers lui sur les rives du lac… Il courait avec Mr Weasley le long d’un couloir sans fenêtres… Ils s’approchaient de la porte noire et lisse, au fond du passage… Harry pensait qu’ils allaient passer par là… Mais Mr Weasley l’entraînait vers la gauche, en direction d’une volée de marches qui descendaient…
– JE SAIS ! JE SAIS !
Il était à nouveau à quatre pattes sur le sol. Sa cicatrice le picotait désagréablement, mais c’était un cri de triomphe qu’il avait lancé. Il se releva et se retrouva devant Rogue qui l’observait, sa baguette en l’air. Cette fois-ci, on aurait dit que Rogue avait levé le sortilège avant même que Harry ait eu le temps de le combattre.
– Qu’est-ce qui s’est passé, Potter ? demanda-t-il en dévisageant Harry d’un regard intense.
– J’ai vu… Je me suis souvenu, répondit Harry d’une voix haletante, je viens de me rendre compte…
– De vous rendre compte de quoi ? interrogea sèchement Rogue.
Harry ne répondit pas tout de suite. Frottant sa cicatrice, il savourait encore le moment où il avait enfin compris dans un éclair aveuglant…
Depuis des mois, il rêvait d’un couloir sans fenêtres qui menait à une porte verrouillée, sans s’être aperçu qu’il s’agissait d’un endroit bien réel. À présent, après avoir revu ce souvenir, il savait qu’il s’agissait du couloir dans lequel il avait couru avec Mr Weasley, le 12 août dernier, alors qu’ils se rendaient en hâte dans la salle du tribunal. Le couloir conduisait au Département des mystères et c’était là également que se trouvait Mr Weasley la nuit où le serpent de Voldemort l’avait attaqué.
Harry leva les yeux vers Rogue.
– Qu’est-ce qu’il y a, au Département des mystères ?
– Qu’avez-vous dit ? demanda Rogue à voix basse.
Avec une profonde satisfaction, il vit Rogue déconcerté.
– Je vous ai demandé ce qu’il y avait au Département des mystères, monsieur, répéta Harry.
– Et pourquoi voulez-vous savoir cela ? dit Rogue avec lenteur.
– Parce que, répondit Harry, guettant sa réaction, le couloir que j’ai revu à l’instant – celui dont je rêve depuis des mois –, je viens de le reconnaître… C’est celui qui mène au Département des mystères… Et je pense que Voldemort veut quelque chose…
– Je vous ai déjà dit de ne plus prononcer le nom du Seigneur des Ténèbres !
Ils échangèrent un regard noir. La cicatrice de Harry redevint douloureuse mais peu lui importait. Rogue semblait nerveux. Lorsqu’il reprit la parole, cependant, il s’efforça d’apparaître à nouveau froid et indifférent :
– Le Département des mystères renferme beaucoup de choses, Potter. Mais il n’y en a pas beaucoup que vous pourriez comprendre et aucune qui vous concerne. Suis-je assez clair ?
– Oui, répondit Harry en continuant de frotter sa cicatrice qui lui faisait de plus en plus mal.
– Vous reviendrez mercredi prochain à la même heure. Nous poursuivrons ce travail.
– Très bien, dit Harry.
Il avait hâte de sortir du bureau et d’aller retrouver Ron et Hermione.
– Chaque soir avant de vous endormir, vous devrez faire l’effort de chasser toute émotion. Évacuez ce que vous avez dans la tête, que votre esprit soit vide et paisible, vous comprenez ?
– Oui, répondit Harry qui écoutait à peine.
– Et je vous avertis, Potter… Je le saurai si vous n’avez pas fait ces exercices…
– C’est ça, marmonna Harry.
Il ramassa son sac, l’accrocha à son épaule et s’avança à grands pas vers la porte du bureau. En l’ouvrant, il jeta un coup d’œil à Rogue qui lui tournait le dos et repêchait ses propres pensées dans la Pensine, du bout de sa baguette magique, pour les remettre soigneusement dans sa tête. Harry sortit sans un mot, en refermant la porte avec précaution, sa cicatrice toujours traversée de douloureux élancements.
Il trouva Ron et Hermione à la bibliothèque où ils travaillaient à la nouvelle pile de devoirs qu’avait donnée Ombrage. D’autres élèves, presque tous des cinquième année, étaient assis à des tables éclairées par des lampes, le nez collé à leurs livres, dans un grattement de plumes fébrile tandis que, derrière les fenêtres à meneaux, le ciel devenait de plus en plus noir. Le seul autre bruit était le couinement que produisait l’une des chaussures de Madame Pince, la bibliothécaire, qui rôdait parmi les rayons d’un air menaçant. Quiconque s’avisait de toucher à ses précieux ouvrages ne tardait pas à sentir son souffle dans son cou.