Harry tremblait. Sa cicatrice ne cessait de lui faire mal et il se sentait presque fiévreux. Lorsqu’il s’assit en face de Ron et d’Hermione, il aperçut son reflet dans une vitre. Il était très pâle et sa cicatrice semblait plus apparente qu’à l’ordinaire.
– Comment ça s’est passé ? chuchota Hermione.
Puis, soudain inquiète, elle ajouta :
– Ça va, Harry ?
– Oui… Très bien… enfin, je ne sais pas, répondit-il d’un ton impatient en faisant une grimace de douleur. Écoutez… Je viens de réaliser quelque chose…
Et il leur raconta ce qu’il venait de voir.
– Tu… tu veux dire…, murmura Ron, alors que Madame Pince passait devant eux dans un léger couinement, que l’arme – celle que cherche Tu-Sais-Qui – se trouverait au ministère de la Magie ?
– Au Département des mystères, très certainement, chuchota Harry. J’ai vu cette porte quand ton père m’a emmené dans la salle du tribunal et c’est la même qu’il gardait quand le serpent l’a mordu.
Hermione laissa échapper un long et profond soupir.
– Évidemment, souffla-t-elle.
– Évidemment quoi ? dit Ron, agacé.
– Ron, réfléchis… Sturgis Podmore a essayé de forcer une porte au ministère de la Magie… C’était sûrement celle-là, ça ne peut pas être une simple coïncidence.
– Comment se fait-il que Sturgis ait tenté de forcer la porte que mon père gardait alors qu’il est de notre côté ? fit remarquer Ron.
– Je n’en sais rien, avoua Hermione. C’est un peu étrange…
– Qu’est-ce qu’il y a au Département des mystères ? demanda Harry à Ron. Est-ce que ton père t’en a déjà parlé ?
– Tout ce que je sais, c’est que les gens qui y travaillent sont surnommés les Langues-de-plomb, répondit Ron en fronçant les sourcils. Parce que personne ne semble savoir vraiment ce qu’ils font. C’est un endroit bizarre pour cacher une arme.
– Pas bizarre du tout, très logique, au contraire, objecta Hermione. Il doit s’agir de quelque chose de top secret sur lequel a travaillé le ministère… Harry, tu es sûr que ça va ?
Harry venait de frotter sa cicatrice de ses deux mains, comme pour la rendre plus lisse.
– Oui… Très bien…, dit-il en reposant sur la table ses mains tremblantes. Je me sens simplement un peu… Je n’aime pas beaucoup l’occlumancie.
– N’importe qui se sentirait secoué si quelqu’un essayait sans arrêt d’entrer dans sa tête, dit Hermione d’un ton compatissant. Venez, on va retourner dans la salle commune, on sera mieux installés.
Mais la salle commune était bondée et retentissait d’éclats de rire et de hurlements surexcités. Fred et George étaient en train de faire une démonstration de leur dernière invention en matière de farces et attrapes.
– Le Chapeau-sans-Tête ! annonça George tandis que Fred agitait devant les élèves un chapeau pointu orné d’une grosse plume rose. Deux Gallions pièce. Regardez bien ce que va faire Fred. Vas-y !
Avec un grand sourire, Fred enfonça le chapeau sur sa tête. Pendant un instant, il eut l’air simplement stupide puis tout à coup le chapeau et sa tête disparurent en même temps.
Tout le monde hurla de rire, à part quelques filles qui s’étaient mises à crier de terreur.
– Et hop, on l’enlève ! s’exclama George.
Pendant un moment, la main de Fred tâtonna dans ce qui semblait être le vide, au-dessus de son épaule, puis sa tête réapparut lorsqu’il enleva d’un grand geste le chapeau à la plume rose.
– Comment fonctionnent ces chapeaux ? se demanda Hermione à haute voix.
Distraite de ses devoirs, elle regardait Fred et George.
– De toute évidence, il s’agit d’un sortilège d’Invisibilité mais c’est assez habile d’avoir réussi à en étendre le champ au-delà de l’objet ensorcelé… J’imagine que le sortilège ne doit pas durer très longtemps.
Harry ne répondit pas. Il se sentait mal.
– Je ferai ça demain, marmonna-t-il en remettant dans son sac les livres qu’il venait tout juste d’en sortir.
– Note-le dans ton planning de devoirs ! lui conseilla Hermione. Comme ça, tu ne l’oublieras pas !
Harry échangea un regard avec Ron puis fouilla dans son sac et en sortit le planning qu’il ouvrit timidement.
Ne remets pas à demain, espèce de bon à rien ! lança le carnet d’un ton réprobateur pendant que Harry notait le devoir à faire pour Ombrage.
Hermione paraissait enchantée.
– Je crois que je vais aller me coucher, dit Harry.
Il rangea le planning dans son sac en se promettant de le jeter au feu à la première occasion. Puis il traversa la salle commune, évitant George qui essaya de le coiffer d’un Chapeau-sans-Tête, et se réfugia dans la fraîcheur paisible de l’escalier de pierre. Il se sentait de nouveau malade, comme la nuit où il avait eu la vision du serpent, mais il pensait qu’il lui suffirait de s’allonger un moment pour aller mieux.
Il avait ouvert la porte du dortoir et s’était avancé d’un pas à l’intérieur lorsqu’il éprouva une douleur si aiguë qu’il eut l’impression d’avoir la tête coupée en deux. Il ne savait plus où il était, s’il était couché ou debout, ne se souvenait même plus de son nom.
Un rire de dément résonnait dans sa tête… Il ressentait un bonheur qu’il n’avait pas connu depuis très longtemps… Jubilant, extatique, triomphant… Une chose absolument merveilleuse venait de se produire…
– Harry ? HARRY ?
Quelqu’un l’avait frappé au visage. Le rire démentiel fut ponctué d’un cri de douleur. La sensation de bonheur s’échappait, mais le rire persistait.
Il ouvrit les yeux et s’aperçut alors que ce rire déchaîné sortait de sa propre bouche. Dès qu’il s’en fut rendu compte, le rire s’évanouit. Harry était allongé sur le sol, la respiration précipitée, les yeux fixés au plafond, sa cicatrice traversée d’horribles douleurs. Ron s’était penché sur lui, l’air très inquiet.
– Qu’est-ce qui s’est passé ? demanda-t-il.
– Je ne sais pas, haleta Harry en se redressant. Il est vraiment heureux… très, très heureux…
– Tu-Sais-Qui est heureux ?
– Il s’est passé quelque chose de très bien pour lui, marmonna Harry.
Il tremblait autant qu’après avoir vu le serpent attaquer Mr Weasley et il se sentait pris de nausées.
– Quelque chose qu’il espérait.
Les mots sortirent de ses lèvres comme cela s’était produit dans les vestiaires de Gryffondor, quand il avait eu la sensation qu’un étranger parlait par sa bouche, et il savait qu’ils exprimaient la vérité. Harry respira profondément à plusieurs reprises pour s’empêcher de vomir sur Ron. Il était content que Dean et Seamus ne soient pas là pour le regarder, cette fois.
– Hermione m’a dit de monter voir comment tu allais, murmura Ron en l’aidant à se relever. Elle dit que tes défenses doivent être affaiblies après tout ce que Rogue t’a fait subir en bricolant dans ton cerveau… Mais je pense quand même que ça te sera utile à long terme, non ?
Il regarda Harry d’un air sceptique tandis qu’il l’aidait à regagner son lit. Harry hocha la tête sans conviction et s’effondra sur ses oreillers. Il était tombé si souvent par terre, ces dernières heures, qu’il avait mal partout et sa cicatrice restait douloureuse. Il ne put s’empêcher de penser que sa première incursion dans le domaine de l’occlumancie avait affaibli sa résistance mentale au lieu de la renforcer et il se demanda avec un sentiment d’angoisse quel était l’événement qui avait rendu Lord Voldemort plus heureux qu’il ne l’avait jamais été depuis quatorze ans.