– Le Chicaneur ! s’exclama-t-elle en gloussant comme une poule. Et tu penses que les gens vont le prendre au sérieux si on publie ça dans Le Chicaneur ?
– Certaines personnes ne le croiront pas, admit Hermione d’une voix égale. Mais la version que La Gazette du sorcier a présentée de l’évasion d’Azkaban comporte des lacunes béantes. Je crois que beaucoup de gens vont se demander s’il n’existe pas une meilleure explication de ce qui s’est passé et s’ils voient un autre article disponible, même publié dans un… – elle jeta à Luna un regard en coin – dans un magazine inhabituel, je pense qu’ils auront très envie de le lire.
Rita resta silencieuse un long moment mais elle observait Hermione d’un œil rusé, la tête légèrement penchée de côté.
– Bon, admettons que je le fasse, dit-elle soudain. Je serais payée combien pour ça ?
– Je ne crois pas que mon père paye vraiment les gens pour écrire dans son magazine, répondit Luna d’une voix rêveuse. Ils le font parce que c’est un honneur et puis aussi pour voir leur nom imprimé.
Rita Skeeter se tourna vers Hermione. On aurait dit qu’elle avait encore dans la bouche un goût prononcé d’Empestine.
– Je suis censée faire ça gratuitement ?
– Eh bien oui, assura Hermione d’un ton très calme en buvant une gorgée du contenu de son verre. Sinon, comme vous le savez déjà, j’informerai les autorités que vous êtes un Animagus non déclaré. À ce moment-là, peut-être que La Gazette vous paiera un bon prix pour un reportage en direct sur la vie des prisonniers d’Azkaban.
Rita semblait éprouver une envie irrépressible de prendre le petit parasol en papier qui dépassait du verre d’Hermione et de le lui enfoncer dans le nez.
– J’imagine que je n’ai pas le choix ? dit Rita d’une voix légèrement tremblante.
Elle ouvrit à nouveau son sac en crocodile, en sortit un morceau de parchemin et prit sa Plume à Papote.
– Papa sera très content, déclara Luna d’un ton enjoué.
Un muscle tressaillit sur la mâchoire de Rita.
– D’accord, Harry ? demanda Hermione en se tournant vers lui. Prêt à dire la vérité au public ?
– Oui, je pense, répondit Harry.
Il regarda Rita dont la Plume à Papote frémissait déjà au-dessus du morceau de parchemin.
– Alors, allez-y, Rita, dit Hermione d’un ton serein en repêchant une cerise confite au fond de son verre.
26. VU ET IMPRÉVU
De son air absent, Luna dit qu’elle ignorait quand paraîtrait dans Le Chicaneur l’interview de Harry par Rita. Son père attendait un long et passionnant article sur des témoignages récents de gens qui avaient vu des Ronflaks Cornus…
– Bien entendu, c’est une nouvelle très importante, Harry devra donc attendre le numéro suivant, ajouta Luna.
Pour Harry, il n’avait pas été facile de parler de la nuit du retour de Voldemort. Rita lui avait demandé avec insistance tous les plus petits détails et, sachant que c’était pour lui l’occasion ou jamais de dire la vérité au monde, il lui avait raconté tout ce dont il se souvenait. Il se demandait comment allaient réagir les lecteurs. Beaucoup, sans doute, verraient dans cet article la confirmation qu’il était complètement fou, ne serait-ce que parce qu’il allait être publié à côté de franches idioties concernant les Ronflaks Cornus. Mais l’évasion de Bellatrix Lestrange et des autres Mangemorts avait donné à Harry un désir ardent de faire quelque chose, même si cela ne devait aboutir à rien…
– Je suis impatient de savoir ce que va penser Ombrage quand elle verra que tu parles publiquement, commenta Dean, impressionné, au dîner du lundi.
Assis de l’autre côté de Dean, Seamus était occupé à engloutir de grandes quantités de tourte au poulet et au jambon, mais Harry savait qu’il écoutait.
– C’était ce qu’il fallait faire, Harry, dit Neville, assis en face de lui.
Le teint plutôt pâle, il poursuivit à voix basse :
– Ça devait être… dur… d’en parler, non ?
– Oui, marmonna Harry, mais il faut que les gens sachent de quoi Voldemort est capable.
– C’est vrai, approuva Neville avec un hochement de tête, et aussi ses Mangemorts… il faudrait que les gens sachent…
Neville laissa sa phrase en suspens et reporta son attention sur ses pommes de terre au four. Seamus leva les yeux, mais dès qu’il croisa le regard de Harry, il se pencha à nouveau sur son assiette. Un peu plus tard, Dean, Seamus et Neville remontèrent dans la salle commune, laissant Harry et Hermione attendre Ron qui n’avait pas encore dîné à cause de la séance d’entraînement de Quidditch.
Cho Chang entra alors dans la Grande Salle, en compagnie de son amie Marietta. Harry sentit son estomac se contracter, mais elle n’accorda pas un regard à la table des Gryffondor et s’assit en prenant soin de lui tourner le dos.
– Oh, j’ai oublié de te demander, dit Hermione d’une voix enjouée en jetant un coup d’œil à la table des Serdaigle. Comment ça s’est passé ta sortie avec Cho ? Comment se fait-il que tu sois arrivé si tôt aux Trois Balais ?
– Oh, heu… c’était…, dit Harry en se servant une deuxième part de tarte à la rhubarbe, un fiasco total, maintenant que tu m’y fais penser.
Et il lui raconta la scène qui s’était déroulée dans le salon de thé de Madame Pieddodu :
– … et à ce moment-là, acheva-t-il quelques minutes plus tard tandis que disparaissait le dernier morceau de tarte, elle se lève d’un bond et elle me dit : « À un de ces jours, Harry. » Et puis elle s’en va en courant !
Il posa sa cuillère et regarda Hermione.
– Je me demande ce qui lui a pris ? Qu’est-ce que ça signifie ?
Hermione jeta un coup d’œil à Cho et soupira.
– Oh, Harry, dit-elle. Je suis désolée, mais tu as un peu manqué de tact.
– Moi ? Manqué de tact ? s’indigna-t-il. Tout allait très bien et, brusquement, elle me raconte que Roger Davies l’a invitée à sortir avec lui et qu’elle venait souvent dans ce stupide salon de thé pour s’embrasser avec Cedric. Comment je dois réagir à ça, moi ?
– Eh bien, voilà, répondit Hermione du ton patient de quelqu’un qui aurait expliqué à un enfant en bas âge souffrant d’hyperémotivité que un plus un égale deux. Tu n’aurais pas dû lui dire que tu voulais me voir au beau milieu de la journée.
– Mais… mais…, balbutia Harry, c’est toi qui m’as demandé de te retrouver à midi et de venir avec elle. Il fallait bien que je le lui dise, non ?
– Tu aurais dû t’y prendre différemment, poursuivit Hermione, toujours avec cette même patience exaspérante. Tu aurais dû lui dire que c’était vraiment assommant mais que je t’avais fait promettre de venir aux Trois Balais, que tu n’avais pas du tout envie d’y aller, que tu aurais préféré passer toute la journée seul avec elle, mais que malheureusement, il le fallait bien et s’il te plaît, s’il te plaît, je voudrais tellement que tu viennes avec moi, comme ça ce serait plus vite fini. Tu aurais peut-être dû lui dire aussi que tu me trouvais très laide, ajouta-t-elle après un instant de réflexion.
– Mais je ne te trouve pas laide du tout, répondit Harry, déconcerté.
Hermione éclata de rire.
– Harry, tu es pire que Ron… Non, finalement, non, soupira-t-elle au moment où Ron, constellé de boue et l’air grognon, entrait d’un pas lourd dans la Grande Salle. Écoute… Tu as mis Cho en colère quand tu lui as dit que tu avais rendez-vous avec moi, alors elle a essayé de te rendre jaloux. Pour elle, c’était un moyen de savoir si tu l’aimais vraiment.