– Je n’ai même plus le cœur à me payer sa tête, dit Fred en jetant un coup d’œil à la silhouette prostrée de Ron. Tu te rends compte… quand il a laissé entrer le quatorzième…
Il fit de grands moulinets désordonnés avec ses bras, comme un chien pataugeant dans l’eau.
– Enfin bon, il vaut mieux que je réserve ça pour les soirées entre amis.
Peu après, Ron se traîna jusqu’au dortoir. Soucieux de ménager sa sensibilité, Harry attendit un certain temps avant de monter lui-même se coucher afin que Ron puisse faire semblant de dormir s’il le souhaitait. Et en effet, lorsque Harry entra à son tour dans le dortoir, les ronflements de Ron étaient un peu trop bruyants pour paraître vrais.
Harry se coucha en repensant au match. Y assister depuis les tribunes lui avait paru terriblement frustrant. Il avait été impressionné par la performance de Ginny mais il savait que si c’était lui qui avait joué, il aurait pu attraper le Vif d’or bien avant… À un certain moment, il l’avait vu voleter près de la cheville de Kirke. Si Ginny n’avait pas hésité, elle aurait pu arracher une victoire pour Gryffondor.
Pendant le match, Ombrage était assise quelques rangs au-dessous de Harry et d’Hermione. À deux reprises, elle avait tourné vers lui sa silhouette courtaude pour le regarder, sa large bouche de crapaud étirée en ce qui semblait un sourire goguenard. Ce souvenir le fit brûler de rage tandis qu’il restait étendu dans le noir. Puis, quelques minutes plus tard, il se rappela qu’il était censé vider son esprit de toute émotion avant de s’endormir, comme Rogue ne cessait de le lui répéter à la fin de chaque cours d’occlumancie.
Il s’y efforça une ou deux fois mais la pensée de Rogue s’ajoutant au souvenir d’Ombrage ne fit qu’augmenter son ressentiment et il s’aperçut qu’il se concentrait au contraire sur l’aversion que tous deux lui inspiraient. Peu à peu, les ronflements de Ron s’estompèrent, remplacés par la respiration lente et profonde du vrai sommeil. Il fallut davantage de temps à Harry pour s’endormir. Son corps était fatigué mais son cerveau avait du mal à se mettre au repos.
Il rêva que Neville et le professeur Chourave valsaient autour de la Salle sur Demande pendant que le professeur McGonagall jouait de la cornemuse. Il les regardait pendant un bon moment avec un sentiment de joie puis décidait d’aller chercher les autres membres de l’A.D.
Lorsqu’il sortait de la pièce, cependant, il se retrouvait non pas face à la tapisserie de Barnabas le Follet mais devant une torche qui brûlait sur son support fixé au mur de pierre. Il tournait lentement la tête vers la gauche et là, tout au bout d’un couloir sans fenêtres, il apercevait une porte noire et lisse.
Il s’avançait alors dans cette direction avec une exaltation grandissante et la très étrange impression que, cette fois, il aurait enfin de la chance et trouverait le moyen de l’ouvrir… Arrivé à un ou deux mètres, il distinguait dans un frisson d’excitation une faible lumière bleue qui dessinait un rai vertical du côté droit… la porte était entrouverte… Il tendait la main pour l’ouvrir et…
Ron émit un ronflement rauque et sonore, un vrai cette fois, et Harry se réveilla en sursaut, sa main droite tendue devant lui dans l’obscurité pour ouvrir une porte qui se trouvait à des centaines de kilomètres de là. Il laissa retomber son bras avec un mélange de déception et de culpabilité. Il savait qu’il n’aurait pas dû voir la porte mais il était en même temps si curieux de savoir ce qu’il y avait derrière qu’il ne put s’empêcher d’éprouver à l’égard de Ron une certaine irritation… Si seulement il avait pu attendre encore une minute avant de laisser échapper son ronflement.
Le lundi matin, ils descendirent prendre leur petit déjeuner au moment précis où les hiboux entraient dans la Grande Salle pour apporter le courrier. Hermione n’était pas la seule à attendre impatiemment sa Gazette du sorcier. Presque tout le monde était avide de connaître les dernières nouvelles sur les Mangemorts en fuite qui restaient introuvables en dépit de nombreux témoignages signalant leur présence ici ou là. Hermione donna une Noise au hibou et déplia précipitamment le journal tandis que Harry se versait un verre de jus d’orange. Comme il n’avait reçu qu’une seule lettre depuis le début de l’année, il fut certain que le hibou qui venait d’atterrir devant lui avec un bruit sourd se trompait de destinataire.
– Qui cherches-tu ? lui demanda-t-il.
D’un geste indolent, il écarta son verre de jus d’orange de sous le bec du hibou et se pencha en avant pour voir le nom écrit sur l’enveloppe :
Harry Potter
Grande Salle
École Poudlard
Les sourcils froncés, il tendit la main mais avant qu’il ait eu le temps de prendre la lettre, trois, quatre, cinq autres hiboux avaient atterri devant lui et se bousculaient, marchant dans le beurre, renversant la salière, pour essayer d’être les premiers à distribuer le courrier.
– Qu’est-ce qui se passe ? demanda Ron stupéfait.
Les élèves assis à la table de Gryffondor se penchèrent pour voir ce qui se passait. Sept autres hiboux se posèrent alors parmi les autres, criant, hululant, battant des ailes.
Hermione plongea la main dans ce tourbillon de plumes et en retira un hibou moyen duc qui portait dans son bec un long paquet cylindrique.
– Harry ! dit-elle d’une voix haletante. Je crois savoir ce que ça signifie. Ouvre d’abord celui-ci !
Harry déchira le papier d’emballage d’où s’échappa un exemplaire soigneusement roulé de l’édition de mars du Chicaneur. Il déroula le magazine et vit sur la couverture son propre visage lui sourire d’un air timide. En grosses lettres rouges, un titre annonçait sur toute la largeur de la photo :
HARRY POTTER PARLE ENFIN : LA VÉRITÉ SUR CELUI-DONT-ON-NE-DOIT-PAS-PRONONCER-LE-NOM ET LE RÉCIT DE LA NUIT OÙ JE L’AI VU REVENIR
– C’est bien, hein ? dit Luna qui s’était approchée d’un pas traînant de la table des Gryffondor et s’asseyait à présent en se glissant entre Fred et Ron. Il est sorti hier. J’ai demandé à papa de t’en envoyer un exemplaire gratuit. Je pense que tout ça doit être du courrier de lecteurs, ajouta-t-elle en montrant les hiboux qui se pressaient sur la table.
– C’est bien ce que je pensais, dit Hermione avec avidité. Harry, tu veux bien que…
– Vas-y, répondit Harry, un peu déconcerté.
Ron et Hermione commencèrent tous deux à ouvrir des enveloppes.
– Celle-ci est envoyée par un type qui pense que tu as perdu la boule, dit Ron en parcourant une lettre. Bah…
– Là, il y a une femme qui te recommande de suivre une cure d’électro-sorts à Ste Mangouste, dit Hermione qui froissa la lettre, l’air déçue.
– Celle-là m’a l’air mieux, dit Harry avec lenteur.
C’était une lettre d’une sorcière de Paisley.
– Hé, elle me croit !
– Celui-ci est partagé, dit Fred qui participait avec enthousiasme à l’ouverture des lettres. Il écrit que tu ne donnes pas l’impression d’être fou mais, comme il ne veut vraiment pas croire que Tu-Sais-Qui est de retour, il ne sait plus que penser. Bref, beaucoup de parchemin pour ne rien dire !
– En voilà un autre que tu as convaincu, Harry ! s’exclama Hermione d’un ton surexcité. « Après avoir lu votre version de l’histoire, je suis bien obligé de conclure que La Gazette du sorcier vous a traité très injustement… Bien que je n’aie pas du tout envie de croire au retour de Celui-Dont-On-Ne-Doit-Pas-Prononcer-Le-Nom, je suis forcé de reconnaître que vous avez dit la vérité… » Oh, c’est merveilleux !