– Encore un qui pense que tu racontes n’importe quoi, dit Ron en jetant par-dessus son épaule une lettre froissée. Mais celle-ci écrit que tu l’as convaincue et te considère maintenant comme un véritable héros. Elle a joint une photo… Wouaoo !
– Que se passe-t-il, ici ? dit alors une voix de petite fille faussement aimable.
Harry leva la tête, les mains pleines d’enveloppes. Le professeur Ombrage se tenait derrière Fred et Luna, ses gros yeux de crapaud observant le fouillis de hiboux et de lettres qui s’entassaient devant Harry. Aux autres tables, de nombreux élèves les regardaient avec convoitise.
– Pourquoi avez-vous reçu toutes ces lettres, Mr Potter ? demanda-t-elle lentement.
– C’est un crime, maintenant, de recevoir du courrier ? demanda Fred d’une voix forte.
– Attention, Mr Weasley, sinon je serai obligée de vous donner une retenue, dit Ombrage. Alors, Mr Potter ?
Harry hésita mais il ne voyait pas comment il pourrait garder le secret sur ce qu’il avait fait. Ombrage ne tarderait pas à avoir un exemplaire du Chicaneur entre les mains.
– Des gens m’ont écrit parce que j’ai donné une interview, expliqua Harry. Au sujet de ce qui s’est passé au mois de juin.
Instinctivement, Harry jeta un coup d’œil à la table des professeurs. Il avait la très étrange impression que Dumbledore l’avait observé un instant auparavant mais, lorsqu’il le regarda, le directeur semblait absorbé dans une conversation avec le professeur Flitwick.
– Une interview ? répéta Ombrage, la voix plus aiguë et plus grêle que jamais. Que voulez-vous dire ?
– Je veux dire qu’une journaliste m’a posé des questions et que j’y ai répondu, dit Harry. Voilà…
Et il lui jeta l’exemplaire du Chicaneur. Elle l’attrapa au vol et regarda la couverture. Son visage terreux, blafard, prit alors une horrible teinte violacée.
– Quand avez-vous fait cela ? interrogea-t-elle d’une voix légèrement chevrotante.
– Pendant la dernière sortie à Pré-au-Lard, répondit Harry.
Elle lui lança un regard brûlant de rage, le magazine tremblant entre ses doigts boudinés.
– Il n’y aura plus d’autres sorties à Pré-au-Lard pour vous, Mr Potter, murmura-t-elle. Comment avez-vous osé… ? Comment avez-vous pu… ? (Elle prit une profonde inspiration.) J’ai pourtant essayé de vous apprendre à ne pas dire de mensonges mais, apparemment, le message n’a pas pénétré. Cinquante points de moins pour Gryffondor et une nouvelle semaine de retenue.
Elle s’éloigna en serrant Le Chicaneur contre sa poitrine, suivie des yeux par la plupart des élèves.
Vers le milieu de la matinée, d’énormes écriteaux avaient été placardés partout dans l’école, pas seulement sur les tableaux d’affichage mais également dans les couloirs et les salles de classe.
PAR ORDRE DE LA GRANDE INQUISITRICE DE POUDLARD
TOUT ÉLÈVE SURPRIS EN POSSESSION DU MAGAZINE LE CHICANEUR SERA RENVOYÉ.
CONFORMÉMENT AU DÉCRET D’ÉDUCATION NUMÉRO VINGT-SEPT
SIGNÉ : DOLORES JANE OMBRAGE, GRANDE INQUISITRICE
Pour une raison que Harry ne comprenait pas, chaque fois qu’Hermione passait devant l’un de ces écriteaux, elle rayonnait de plaisir.
– Tu peux m’expliquer ce qui te rend si heureuse ? lui demanda Harry.
– Tu ne comprends donc pas ? murmura-t-elle. La meilleure chose qu’elle pouvait faire pour que tout le monde lise ton interview, c’était de l’interdire !
Apparemment, Hermione avait raison. À la fin de la journée, bien que Harry n’ait vu nulle part la moindre trace du Chicaneur, tous les élèves ne parlaient plus que de l’interview, citations à l’appui. Il les entendait en discuter à voix basse dans les files d’attente, avant le début des cours, dans la Grande Salle pendant le déjeuner et au fond des classes. Hermione raconta même que, dans les toilettes des filles, toutes les occupantes des cabines étaient en train d’en parler lorsqu’elle y avait fait un tour avant son cours de runes anciennes.
– Quand elles m’ont vue, comme elles savent que je te connais, elles ont commencé à me bombarder de questions, lui dit Hermione, les yeux brillants, et tu sais, Harry, j’ai l’impression qu’elles te croient. Je le pense vraiment, tu as fini par les convaincre !
Pendant ce temps, le professeur Ombrage rôdait dans les couloirs, arrêtant les élèves au hasard pour exiger qu’ils retournent leurs poches et leurs sacs. Harry savait qu’elle cherchait des exemplaires du Chicaneur, mais ses condisciples avaient pris de l’avance sur elle. Ils ensorcelaient les pages de l’interview qui se transformaient en innocentes pages de manuel lorsque quiconque d’autre y posait les yeux, ou devenaient blanches dès qu’ils en interrompaient eux-mêmes la lecture. Bientôt, il sembla que tout le monde dans l’école avait lu l’article.
Bien entendu, le décret d’éducation numéro vingt-six interdisait aux professeurs d’en parler mais ils trouvaient quand même le moyen de faire savoir ce qu’ils en pensaient. Le professeur Chourave donna vingt points à Gryffondor lorsque Harry lui passa l’arrosoir. À la fin du cours de sortilèges, le professeur Flitwick, radieux, lui mit dans la main une boîte de Couinesouris en sucre en murmurant : « Chut ! » avant de s’éloigner précipitamment. Quant au professeur Trelawney, elle éclata en sanglots hystériques pendant le cours de divination et annonça devant une classe stupéfaite et une Ombrage désapprobatrice que, finalement, Harry ne connaîtrait pas une mort précoce mais vivrait au contraire jusqu’à un âge avancé, deviendrait ministre de la Magie et aurait douze enfants.
Ce qui fit le plus grand plaisir à Harry, cependant, ce fut de voir Cho le rattraper, le lendemain, alors qu’il se dépêchait d’aller au cours de métamorphose. Avant qu’il ait compris ce qui se passait, elle avait mis sa main dans la sienne et murmurait à son oreille :
– Je suis vraiment, vraiment désolée pour l’autre fois. C’est si courageux de ta part d’avoir donné cette interview… J’ai pleuré en la lisant.
Il était navré de lui avoir fait verser quelques larmes supplémentaires mais très heureux qu’elle accepte de lui parler à nouveau et sa joie fut encore plus intense lorsqu’elle l’embrassa rapidement sur la joue avant de repartir à pas précipités. Devant la salle de métamorphose, une surprise incroyable et tout aussi réjouissante l’attendait. Seamus sortit en effet de la file d’attente et s’avança vers lui.
– Je voulais simplement te dire, marmonna-t-il, le regard fixé sur les genoux de Harry, que je te crois, maintenant. Et j’ai envoyé le magazine à ma mère.
Enfin, la réaction de Malefoy, Crabbe et Goyle mit le comble à son bonheur. Il les vit cet après-midi-là à la bibliothèque, tête contre tête autour d’une table, en compagnie d’un garçon efflanqué du nom de Theodore Nott, d’après ce que lui souffla Hermione. Lorsque Harry alla chercher sur les étagères un livre consacré à la Disparition Partielle, ils se tournèrent vers lui et Goyle fit craquer ses jointures d’un air menaçant tandis que Malefoy murmurait à l’oreille de Crabbe quelque chose qui ne pouvait être que très malveillant à son égard. Harry connaissait parfaitement les raisons de leur attitude : il avait cité leurs pères comme étant des Mangemorts.
– Et le plus drôle, chuchota Hermione d’un air joyeux quand ils eurent quitté la bibliothèque, c’est qu’ils ne peuvent pas te contredire, sinon ce serait admettre qu’ils ont lu l’article !
Pour couronner le tout, Luna lui annonça au dîner que jamais on n’avait vu un numéro du Chicaneur aussi vite épuisé.