– Vous n’avez donc pas réalisé que cela vous pendait au nez ? dit avec un amusement cruel une voix aiguë de petite fille.
En se déplaçant légèrement vers la droite, Harry comprit que la terrifiante vision du professeur Trelawney n’était autre que le professeur Ombrage.
– Bien que vous ne soyez même pas capable de prévoir le temps qu’il fera demain, vous auriez dû deviner que vos piteuses performances au cours de mes inspections et votre absence totale de progrès par la suite rendaient votre renvoi inévitable.
– Vous… Vous ne pouvez pas faire ça ! s’écria le professeur Trelawney, des larmes ruisselant derrière ses énormes lunettes. Vous ne… vous ne pouvez pas me renvoyer ! Je… Je suis ici depuis seize ans ! P-Poudlard est ma m-maison !
– C’était votre maison, rectifia le professeur Ombrage.
Harry éprouva un sentiment de révolte en voyant la joie qui s’étalait sur son visage de crapaud tandis qu’elle regardait le professeur Trelawney, secouée de sanglots incontrôlables, s’effondrer sur l’une de ses malles.
– Mais depuis que le ministre de la Magie a signé il y a une heure votre ordre de révocation, vous n’habitez plus ici. Veuillez avoir l’amabilité de vous retirer de ce hall. Vous nous embarrassez.
Elle resta là à observer avec une jubilation féroce le professeur Trelawney, au comble du malheur, qui tremblait et gémissait en se balançant d’avant en arrière sur sa malle. Harry entendit à sa gauche un sanglot étouffé. Lavande et Parvati pleuraient silencieusement, serrées l’une contre l’autre. Puis des bruits de pas résonnèrent dans le hall. Se détachant de la foule, le professeur McGonagall marcha droit sur le professeur Trelawney et lui tapota le dos d’un geste ferme en sortant un mouchoir d’une poche de sa robe.
– Allons, allons, Sibylle… Calmez-vous… Tenez, mouchez-vous… Ce n’est pas si grave… Vous ne serez pas obligée de quitter Poudlard…
– Ah vraiment, professeur McGonagall ? dit Ombrage d’un ton assassin en s’avançant de quelques pas. Et qu’est-ce qui vous donne le droit de dire cela ?
– Moi, répondit une voix grave.
Les portes de chêne s’étaient soudain ouvertes et les élèves qui se trouvaient devant s’écartèrent précipitamment pour laisser passer Dumbledore. Qu’était-il allé faire dans le parc, Harry n’en avait aucune idée, mais il y avait quelque chose d’impressionnant à le voir ainsi apparaître dans l’encadrement de la porte, sa silhouette se découpant dans la nuit étrangement brumeuse. Il laissa les portes grandes ouvertes derrière lui et s’avança à travers le cercle des spectateurs en direction du professeur Trelawney, frissonnante et ruisselante de larmes, toujours effondrée sur sa malle, le professeur McGonagall à son côté.
– Vous, professeur Dumbledore ? dit Ombrage avec un petit rire singulièrement déplaisant. J’ai bien peur que vous n’ayez pas compris la situation. J’ai ici – elle tira de sa robe un rouleau de parchemin – un ordre de révocation signé par moi et par le ministre de la Magie. Conformément au décret d’éducation numéro vingt-trois, la Grande Inquisitrice de Poudlard a le pouvoir d’inspecter, de mettre à l’épreuve et de renvoyer tout enseignant qu’elle – c’est-à-dire que je – juge incapable de répondre aux critères exigés par le ministère de la Magie. Or, j’ai estimé que le professeur Trelawney n’était pas au niveau requis et c’est pourquoi j’ai mis fin à ses fonctions.
À la grande surprise de Harry, Dumbledore continua de sourire. Il baissa les yeux vers le professeur Trelawney qui sanglotait toujours sur sa malle et déclara :
– Vous avez tout à fait raison, bien sûr, professeur Ombrage. Comme Grande Inquisitrice, vous avez parfaitement le droit de mettre fin aux fonctions de mes enseignants. En revanche, vous n’avez aucune autorité pour les expulser du château. Je crains bien, poursuivit-il en s’inclinant courtoisement, que ce pouvoir-là incombe encore au directeur de l’établissement. Or, je souhaite que le professeur Trelawney continue d’habiter à Poudlard.
Le professeur Trelawney laissa alors échapper un petit rire frénétique ponctué d’un hoquet qu’elle n’arriva pas à étouffer.
– Non… Non, je v-vais partir, Dumbledore ! Je quitterai P-Poudlard pour chercher f-fortune ailleurs…
– Non, répliqua Dumbledore d’un ton abrupt. Je souhaite que vous restiez, Sibylle.
Il se tourna vers le professeur McGonagall.
– Puis-je vous demander de raccompagner Sibylle chez elle, professeur ?
– Bien entendu, répondit McGonagall. Levez-vous, Sibylle…
Le professeur Chourave surgit de la foule et se précipita pour prendre l’autre bras du professeur Trelawney. Toutes deux l’entraînèrent vers l’escalier de marbre en passant devant Ombrage. Le professeur Flitwick accourut derrière elles.
– Locomotor Barda ! ordonna-t-il de sa petite voix flûtée.
Aussitôt, les deux malles s’élevèrent dans les airs et se dirigèrent vers l’escalier, le professeur Flitwick fermant la marche.
Le professeur Ombrage resta parfaitement immobile, les yeux fixés sur Dumbledore, toujours souriant.
– Et qu’allez-vous faire, demanda-t-elle dans un murmure qui résonna tout autour du hall, lorsque j’aurai nommé un nouveau professeur de divination qui aura besoin de cet appartement ?
– Oh, ça ne posera aucun problème, répondit Dumbledore d’un ton aimable. Figurez-vous que j’ai déjà trouvé un nouveau professeur de divination et il préfère loger au rez-de-chaussée.
– Vous avez trouvé ? s’exclama Ombrage d’une voix perçante. Vous avez trouvé ? Puis-je vous rappeler, Dumbledore, qu’en vertu du décret d’éducation numéro vingt-deux…
– Le ministère est chargé de choisir lui-même la personne qualifiée dans le cas – et uniquement dans ce cas – où l’actuel directeur ne serait pas en mesure de trouver lui-même un candidat, répondit Dumbledore. Or, je suis heureux de vous annoncer qu’en la circonstance, j’ai réussi. Puis-je vous présenter ?
Il se tourna vers les portes ouvertes à travers lesquelles filtrait à présent la brume nocturne. Harry entendit un bruit de sabots. Il y eut un murmure stupéfait dans tout le hall et les élèves qui se tenaient près des portes reculèrent à nouveau, certains d’entre eux trébuchant dans leur hâte de laisser le passage au nouveau venu.
À travers la brume se dessinèrent un visage et une silhouette que Harry avait déjà vus lors d’une nuit sombre où il avait dû affronter les dangers de la Forêt interdite : des cheveux d’un blond presque blanc, des yeux d’un bleu extraordinaire, la tête et le torse d’un homme, le corps d’un cheval à la robe claire et cuivrée.
– Voici Firenze, dit Dumbledore d’un ton joyeux à une Ombrage qui semblait frappée par la foudre. Je pense que vous le trouverez qualifié pour ce poste.
27. LE CENTAURE ET LE CAFARD
– Je parie que tu regrettes d’avoir laissé tomber la divination, maintenant, dit Parvati à Hermione avec un sourire narquois.
C’était à l’heure du petit déjeuner, deux jours après le renvoi du professeur Trelawney. Parvati se recourbait les cils à l’aide de sa baguette magique et se regardait au dos d’une cuillère pour observer le résultat. Ce matin-là, ils devaient avoir leur premier cours avec Firenze.
– Pas vraiment, répondit Hermione d’un ton indifférent.
Elle était plongée dans la lecture de La Gazette du sorcier.
– Je n’ai jamais beaucoup aimé les chevaux.
Elle tourna une page du journal et en parcourut les colonnes.
– Ce n’est pas un cheval, c’est un centaure ! protesta Lavande, choquée.