Harry regarda à nouveau son père. Entre-temps, il avait enjolivé les lettres « L. E. » qu’il raya brusquement. Puis il se leva d’un bond, fourra sa plume et son questionnaire d’examen dans son sac qu’il balança sur son épaule et attendit que Sirius vienne le rejoindre.
Harry tourna la tête et aperçut Rogue un peu plus loin. Il se faufilait parmi les tables en direction des portes de la Grande Salle, toujours absorbé dans son propre questionnaire. Les épaules rondes mais le corps anguleux, il avait une démarche saccadée qui faisait penser à une araignée et ses cheveux graisseux voletaient autour de son visage au rythme de ses pas.
Un groupe de filles en grande conversation séparait Rogue de James et des autres. Harry se glissa au milieu pour conserver Rogue dans son champ de vision tout en écoutant ce que disaient James et ses amis.
– Ça t’a plu, la question dix, Lunard ? demanda Sirius tandis qu’ils arrivaient dans le hall d’entrée.
– J’ai adoré, répondit vivement Lupin. Donnez cinq signes permettant d’identifier un loup-garou. Excellente question.
– Tu crois que tu as réussi à les trouver tous ? demanda James d’un ton faussement inquiet.
– Je pense que oui, répondit Lupin très sérieusement.
Ils se mêlèrent à la foule qui se pressait aux portes du hall, avide de sortir dans le parc ensoleillé.
– Premier signe : il est assis sur ma chaise. Deuxième signe : il porte mes vêtements. Troisième signe : il s’appelle Remus Lupin.
Queudver, qui les avait rejoints, fut le seul à ne pas rire.
– Moi, j’ai mis la forme du museau, les pupilles des yeux et la queue touffue, dit-il d’un air anxieux, mais je n’ai rien trouvé d’autre…
– Tu es donc tellement bête, Queudver ? dit James, irrité. Tu fréquentes pourtant un loup-garou une fois par mois…
– Pas si fort, implora Lupin.
Harry jeta à nouveau un regard inquiet derrière lui. Rogue restait proche d’eux, toujours plongé dans ses questions d’examen… mais c’était son souvenir à lui et Harry était certain que, si Rogue choisissait de s’éloigner d’eux une fois qu’ils seraient sortis, lui-même ne pourrait plus suivre James. À son grand soulagement, cependant, lorsque James et ses trois amis traversèrent la pelouse en direction du lac, Rogue les imita, sans quitter son questionnaire des yeux. Apparemment, il n’avait pas d’idée précise de l’endroit où il voulait aller. En se maintenant à quelques pas devant lui, Harry pouvait continuer à surveiller de près James et les autres.
– Moi, j’ai trouvé que c’était du gâteau, cet examen, disait Sirius. Je serais surpris si je n’obtenais pas un Optimal.
– Moi aussi, dit James.
Il mit une main dans sa poche et en retira un Vif d’or qui se débattait.
– Où est-ce que tu as eu ça ?
– Je l’ai piqué, dit James d’un ton désinvolte.
Il se mit à jouer avec le Vif d’or qu’il laissait s’envoler à une trentaine de centimètres avant de le rattraper. Ses réflexes étaient excellents et Queudver paraissait impressionné.
Ils s’arrêtèrent au bord du lac, à l’ombre du même hêtre sous lequel Harry, Ron et Hermione avaient passé un dimanche à finir leurs devoirs, et se laissèrent tomber dans l’herbe. Harry regarda une nouvelle fois par-dessus son épaule et fut ravi de constater que Rogue s’était lui aussi installé dans l’herbe, à l’ombre d’un épais fourré. Voyant qu’il était toujours aussi absorbé par ses sujets d’examen, Harry eut toute liberté de s’asseoir entre le hêtre et le fourré pour continuer à observer James et ses amis. Le soleil étincelait à la surface lisse du lac et les filles qui avaient quitté la Grande Salle en même temps qu’eux s’étaient assises sur la rive. Hilares, elles avaient enlevé leurs chaussures et leurs chaussettes et se trempaient les pieds dans l’eau.
Lupin avait sorti un livre qu’il s’était mis à lire. Sirius regardait les autres élèves se presser sur la pelouse. Il affichait un air hautain et ennuyé, mais avec beaucoup d’élégance. James, lui, continuait de jouer avec le Vif d’or qu’il laissait filer de plus en plus loin et rattrapait à la dernière seconde, au moment où il était presque parvenu à s’échapper. Queudver le regardait bouche bée. Chaque fois que James réussissait à saisir le Vif d’extrême justesse, Queudver étouffait une exclamation et applaudissait. Au bout de cinq minutes, Harry se demanda pourquoi il ne conseillait pas à Queudver de se contrôler un peu, mais James semblait prendre plaisir à être l’objet de son attention. Harry remarqua que son père avait la manie de s’ébouriffer les cheveux d’un geste de la main pour éviter qu’ils ne paraissent trop bien coiffés. Il remarqua également qu’il ne cessait de lancer des coups d’œil en direction des filles assises au bord du lac.
– Range ça, tu veux ? dit enfin Sirius – une fois de plus, James venait de rattraper le Vif d’or d’un geste virtuose et Queudver avait poussé un cri d’admiration –, sinon, Queudver va tellement s’exciter qu’il finira par s’oublier.
Queudver rosit légèrement et James eut un sourire.
– Si ça te gêne…, dit-il en rangeant le Vif d’or dans sa poche.
Harry eut la très nette impression que Sirius était le seul qui pouvait décider James à cesser de jouer les m’as-tu-vu.
– Je m’ennuie, dit Sirius. J’aimerais bien que ce soit la pleine lune.
– Espère toujours, dit Lupin d’un ton grave derrière son livre. Si tu t’ennuies, on a encore l’épreuve de métamorphose, tu n’as qu’à me faire réviser. Tiens…
Il lui tendit son livre, mais Sirius renifla d’un air méprisant.
– Je n’ai pas besoin de ces idioties, je sais déjà tout.
– Tiens, voilà de quoi t’amuser un peu, Patmol, dit James à voix basse. Regarde qui est là…
Sirius tourna la tête et s’immobilisa comme un chien qui vient de sentir la piste d’un lapin.
– Parfait, murmura-t-il. Servilus.
Harry se retourna pour suivre le regard de Sirius.
Rogue s’était relevé et rangeait le questionnaire des B.U.S.E. dans son sac. Lorsqu’il quitta l’ombre des buissons et s’éloigna sur la pelouse, Sirius et James se levèrent à leur tour.
Lupin et Queudver restèrent assis. Lupin était toujours plongé dans son livre mais ses yeux restaient immobiles et une légère ride était apparue entre ses sourcils. Queudver regarda successivement Sirius et James, puis Rogue, une expression d’avidité sur le visage.
– Ça va, Servilus ? lança James d’une voix forte.
Rogue réagit si vite qu’il semblait s’être attendu à cette attaque. Lâchant son sac, il plongea la main dans une poche de sa robe de sorcier et sa baguette était à moitié levée lorsque James cria :
– Expelliarmus !
La baguette magique de Rogue fit un bond de quatre mètres dans les airs et retomba derrière lui avec un petit bruit mat. Sirius éclata d’un grand rire qui ressemblait à un aboiement.
– Impedimenta ! dit-il en pointant sa propre baguette sur Rogue qui fut projeté à terre au moment où il plongeait pour ramasser la sienne.
Autour d’eux, les élèves s’étaient retournés et regardaient. Plusieurs d’entre eux se levèrent pour venir voir d’un peu plus près. Certains semblaient inquiets, d’autres avaient l’air de s’amuser.
Rogue était allongé par terre, le souffle court. James et Sirius s’avancèrent vers lui, leurs baguettes brandies. En même temps, James lançait des regards par-dessus son épaule vers les filles assises au bord du lac. Queudver était également debout à présent. Il avait contourné Lupin pour mieux voir et contemplait le spectacle avec délectation.