– … à moins que vous ne soyez décidé à passer encore plus d’examens après Poudlard, vous devriez choisir une autre…
– Ce qui signifie que ce garçon a autant de chances de devenir Auror que Dumbledore de revenir dans cette école.
– Il a donc de très bonnes chances, assura le professeur McGonagall.
– Potter a un casier judicaire, dit Ombrage d’une voix sonore.
– Potter a été reconnu innocent, répliqua McGonagall d’une voix encore plus forte.
Le professeur Ombrage se leva. Elle était si petite qu’on ne remarquait pas très bien la différence mais ses minauderies avaient laissé place à une franche fureur qui donnait à son large visage flasque une expression étrangement sinistre.
– Potter n’a aucune chance de jamais devenir un Auror !
Le professeur McGonagall se leva à son tour, ce qui était beaucoup plus impressionnant. Elle domina de toute sa hauteur le professeur Ombrage.
– Potter, dit-elle d’une voix claironnante, je vous aiderai à devenir un Auror même si c’est la dernière chose que je dois faire dans ma vie ! Même s’il faut pour cela que je vous donne des cours particuliers chaque soir, je veillerai personnellement à ce que vous obteniez les résultats requis !
– Le ministre de la Magie n’emploiera jamais Harry Potter ! dit Ombrage d’une voix tonitruante de fureur.
– Il se pourrait très bien qu’il y ait un nouveau ministre de la Magie lorsque Potter sera prêt à entreprendre une carrière ! s’écria le professeur McGonagall.
– Aha ! hurla le professeur Ombrage en pointant un doigt boudiné sur McGonagall. Ah, oui, oui, oui, bien sûr ! C’est ça que vous voulez, n’est-ce pas, Minerva McGonagall ? Vous voulez que Cornelius Fudge soit remplacé par Albus Dumbledore ! Vous pensez que vous obtiendriez alors ma place : sous-secrétaire d’État auprès du ministre et directrice de Poudlard par-dessus le marché !
– Vous délirez, dit le professeur McGonagall avec un somptueux dédain. Potter, voilà qui conclut notre entretien d’orientation.
Harry balança son sac sur son épaule et se hâta de sortir du bureau sans oser regarder Ombrage qui continua d’échanger avec le professeur McGonagall des cris qu’on entendait jusqu’au bout du couloir.
Lorsqu’elle arriva dans la classe de défense contre les forces du Mal, le professeur Ombrage avait encore la respiration précipitée, comme si elle venait de courir.
– J’espère que tu as réfléchi et renoncé à tes projets, murmura Hermione dès qu’ils eurent ouvert leurs livres au chapitre trente-quatre, intitulé « Absence de représailles et négociation ». Ombrage a déjà l’air d’une humeur massacrante…
À intervalles réguliers, le professeur Ombrage lançait des regards noirs à Harry qui gardait la tête baissée sur sa Théorie des stratégies de défense magique. Les yeux dans le vague, il réfléchissait…
Il imaginait la réaction du professeur McGonagall s’il se faisait prendre dans le bureau d’Ombrage quelques heures seulement après qu’elle se fut portée garante de lui… Rien ne l’empêchait de retourner simplement dans la tour de Gryffondor en espérant que l’occasion se présenterait au cours des prochaines vacances d’été d’évoquer avec Sirius la scène à laquelle il avait assisté dans la Pensine… Rien, à part le fait que choisir cette voie raisonnable lui donnait la sensation qu’un morceau de plomb lui tombait dans l’estomac… Et puis il y avait Fred et George dont la diversion était déjà prévue, sans parler du couteau que Sirius lui avait donné et qu’il avait déjà mis dans son sac avec la vieille cape d’invisibilité de son père.
Mais le fait demeurait : si jamais il se faisait prendre…
– Dumbledore s’est sacrifié pour que tu restes à l’école, Harry ! chuchota Hermione en se cachant d’Ombrage derrière son livre. Si tu es renvoyé aujourd’hui, il l’aura fait pour rien !
Il pouvait abandonner son projet et se contenter d’apprendre à vivre avec le souvenir de ce que son père avait fait un jour d’été, plus de vingt ans auparavant…
Puis soudain, il se rappela les paroles de Sirius, dans la cheminée de la salle commune… « Tu ne ressembles pas autant à ton père que je le pensais… Pour James, c’était justement le risque qui était amusant… »
Mais voulait-il toujours ressembler à son père ?
– Harry, ne fais pas ça, je t’en prie, ne fais pas ça ! dit Hermione d’une voix angoissée lorsque la cloche annonça la fin du cours.
Harry ne répondit pas. Il ne savait plus très bien où il en était.
Ron paraissait déterminé à ne donner ni opinion ni conseil. Il évitait le regard de Harry mais lorsque Hermione ouvrit la bouche pour essayer une nouvelle fois de le dissuader, il dit à voix basse :
– Laisse-le un peu tranquille, tu veux ? Il est capable de décider tout seul.
En quittant la salle, Harry sentit son cœur battre très vite. Il avait parcouru la moitié du couloir lorsqu’il entendit au loin des clameurs caractéristiques. Des cris, des hurlements retentissaient quelque part au-dessus d’eux. Les élèves qui sortaient des cours tout autour de lui se figeaient sur place et levaient les yeux vers le plafond, l’air effrayé…
Ombrage se rua hors de sa classe aussi vite que le lui permettaient ses courtes jambes. Sortant sa baguette magique, elle courut dans la direction opposée. C’était le moment ou jamais.
– Harry… s’il te plaît ! le supplia Hermione d’une petite voix.
Mais il avait pris sa décision. Son sac solidement accroché à l’épaule, il se mit à courir en se faufilant dans la foule des élèves qui se hâtaient en sens inverse pour aller voir ce qui se passait dans l’aile est.
Le couloir qui menait au bureau d’Ombrage était désert. Harry se précipita derrière une grande armure qui tourna son heaume dans un grincement pour le regarder. Il ouvrit son sac, y prit le couteau de Sirius et se recouvrit de la cape d’invisibilité. Puis il se glissa lentement, précautionneusement, hors de sa cachette et suivit le couloir jusqu’au bureau d’Ombrage.
Il inséra dans l’interstice entre la porte et le mur la lame du couteau magique qu’il remua doucement de haut en bas. Lorsqu’il la retira, il y eut un faible cliquetis et le panneau s’ouvrit. Harry se faufila dans le bureau, referma aussitôt la porte derrière lui et jeta un coup d’œil autour de la pièce.
Tout était immobile, à part les horribles chatons qui gambadaient dans leurs assiettes accrochées au mur, au-dessus des balais confisqués.
Harry retira sa cape et s’avança vers la cheminée où il trouva en quelques secondes ce qu’il cherchait : une petite boîte remplie d’une substance étincelante, la poudre de Cheminette.
Les mains tremblantes, il s’accroupit devant l’âtre vide. Harry n’avait encore jamais fait cela mais il pensait connaître le fonctionnement du système. Il mit la tête dans la cheminée, prit une grosse pincée de poudre et la répandit sur les bûches soigneusement empilées. Elles explosèrent aussitôt dans une gerbe de flammes vert émeraude.
– 12, square Grimmaurd ! dit Harry à haute et intelligible voix.
Ce fut l’une des plus curieuses sensations qu’il ait jamais connues. Il lui était déjà arrivé de voyager par la poudre de Cheminette, bien sûr, mais c’était alors son corps tout entier qui avait tourbillonné dans les flammes à travers le réseau des cheminées magiques qui s’étendait dans tout le pays. Cette fois, en revanche, ses genoux restaient solidement appuyés sur le sol froid du bureau d’Ombrage et seule sa tête tournoyait dans le feu d’émeraude…
Puis soudain, aussi brusquement qu’il avait commencé, le tourbillon cessa. Avec une sensation de nausée et l’impression d’avoir la tête enveloppée dans un cache-nez particulièrement chaud, Harry ouvrit les yeux et découvrit devant lui la longue table de bois de la cuisine, vue depuis la cheminée. Assis à la table, un homme était absorbé dans la lecture d’un parchemin.