– Non, répondit Mr Weasley d’un ton brusque.
Ses doigts s’enfonçaient à présent dans l’épaule de Harry.
– Et vous, qu’est-ce que vous faites là ? demanda Harry à Lucius Malefoy.
– Je ne pense pas que les affaires privées entre le ministre et moi-même vous regardent en quoi que ce soit, Potter, répondit Malefoy en lissant le devant de sa robe.
Harry entendit un faible tintement qui semblait provenir d’une poche remplie d’or.
– Ce n’est pas parce que vous êtes le chouchou de Dumbledore que vous devez vous attendre à la même indulgence de notre part… Nous devrions peut-être monter dans votre bureau, à présent, mon cher ministre ?
– Certainement, approuva Fudge qui tourna le dos à Harry et à Mr Weasley. Par ici, Lucius.
Ils s’éloignèrent tous les deux en parlant à voix basse. Ce fut seulement lorsqu’ils eurent disparu dans l’ascenseur que Mr Weasley lâcha enfin l’épaule de Harry.
– Pourquoi n’attendait-il pas devant le bureau de Fudge, s’ils ont des affaires à traiter ? s’exclama Harry d’un ton furieux. Qu’est-ce qu’il fabriquait ici ?
– Si tu veux mon avis, il essayait de s’approcher en douce du tribunal.
Mr Weasley, en proie à une extrême nervosité, jetait des regards par-dessus son épaule pour s’assurer que personne ne pouvait les entendre.
– Il voulait savoir si tu avais été renvoyé ou pas. Je vais laisser un mot à Dumbledore quand je te déposerai, il faut qu’il sache que Malefoy a encore eu des contacts avec Fudge.
– Et, au fait, en quoi consistent leurs affaires privées ?
– J’imagine qu’il s’agit d’or, répondit Mr Weasley avec colère. Pendant des années, Malefoy s’est montré très généreux avec toutes sortes d’organismes… ce qui lui permet de fréquenter les gens utiles… à qui il peut alors demander des services… par exemple, retarder l’examen de certains projets de loi qu’il ne veut pas voir passer… Ah çà, Lucius Malefoy a beaucoup de relations…
L’ascenseur arriva. Il était vide en dehors d’un vol de notes de service qui battirent des ailes autour de Mr Weasley tandis qu’il appuyait sur le bouton de l’atrium. Il les chassa d’un geste irrité et les portes se refermèrent dans un bruit métallique.
– Mr Weasley, dit lentement Harry, si Fudge reçoit des Mangemorts comme Malefoy, s’il les voit en tête à tête, comment être sûr qu’ils ne l’ont pas soumis au sortilège de l’Imperium ?
– Ne crois pas que nous n’y ayons pas pensé, Harry, répondit Mr Weasley à voix basse. Mais Dumbledore estime qu’en ce moment, Fudge agit de sa propre initiative – ce qui n’a rien de très rassurant, comme le dit Dumbledore. Mais il vaut mieux ne plus en parler pour l’instant, Harry.
Les portes s’ouvrirent et ils sortirent dans l’atrium, presque désert à présent. Éric, le sorcier-vigile, était à nouveau caché derrière sa Gazette du sorcier. Ils étaient passés devant la fontaine d’or lorsque Harry se souvint.
– Attendez, dit-il à Mr Weasley.
Il sortit une bourse de sa poche et se tourna vers la fontaine.
Harry regarda le sorcier à la noble figure mais, vu de près, il lui sembla qu’il avait l’air plutôt faible et stupide. La sorcière affichait un sourire vide, comme une candidate à un concours de beauté, et d’après ce que Harry savait des gobelins et des centaures, il était peu vraisemblable qu’on les surprenne à contempler des humains, quels qu’ils soient, avec une telle mièvrerie. Seul l’elfe de maison, dans son attitude de soumission servile, paraissait convaincant. Avec un sourire à la pensée de ce qu’Hermione dirait si elle voyait la statue de l’elfe, Harry retourna sa bourse et vida dans le bassin non pas les dix Gallions qu’il avait promis mais l’intégralité de son contenu.
– Je le savais ! s’écria Ron en donnant un coup de poing en l’air. Tu t’en sors toujours !
– Ils ne pouvaient pas faire autrement que de te disculper, dit Hermione.
En voyant Harry entrer dans la cuisine, elle avait semblé sur le point de s’évanouir d’angoisse. À présent, elle se cachait les yeux derrière une main tremblante.
– Il n’y avait rien à te reprocher, absolument rien.
– Pour des gens qui étaient sûrs que j’allais m’en tirer, vous m’avez quand même l’air bien soulagés, fit remarquer Harry avec un sourire.
Mrs Weasley s’essuyait le visage avec son tablier et Fred, George et Ginny exécutaient une sorte de danse de guerre en scandant :
– Il s’en est tiré, il s’en est tiré, il s’en est tiré…
– Ça suffit, calmez-vous ! s’exclama Mr Weasley bien que lui aussi eût un sourire. Écoute bien, Sirius, Lucius Malefoy était au ministère…
– Quoi ? dit Sirius d’un ton brusque.
– Il s’en est tiré, il s’en est tiré, il s’en est tiré…
– Taisez-vous, tous les trois. Oui, on l’a vu parler avec Fudge au niveau neuf et ensuite, ils sont montés ensemble dans le bureau de Fudge. Il faut mettre Dumbledore au courant.
– Absolument, approuva Sirius. On le lui dira, ne t’inquiète pas.
– Bon, je ferais bien d’y aller, il y a des toilettes régurgitantes qui m’attendent à Bethnal Green. Molly, je rentrerai tard, je remplace Tonks, mais il se peut que Kingsley vienne dîner…
– Il s’en est tiré, il s’en est tiré, il s’en est tiré…
– Ça suffit, Fred, George, Ginny ! s’écria Mrs Weasley tandis que son mari sortait de la cuisine. Harry, mon chéri, viens manger quelque chose, tu n’as presque rien pris au petit déjeuner.
Ron et Hermione s’assirent en face de lui. Jamais ils n’avaient eu l’air aussi heureux depuis son arrivée square Grimmaurd et Harry sentit revenir en lui le sentiment de soulagement un peu étourdissant que sa rencontre avec Lucius Malefoy avait passablement refroidi. La maison lugubre lui parut soudain plus chaleureuse et plus accueillante. Même Kreattur lui sembla moins laid lorsqu’il pointa dans la cuisine son nez en forme de groin pour se renseigner sur l’origine de tout ce vacarme.
– Du moment que Dumbledore venait te soutenir, ils ne pouvaient plus te condamner, bien sûr, dit Ron d’un ton joyeux en distribuant de grands tas de purée dans les assiettes.
– Ouais, il a tout arrangé, dit Harry.
Il estima qu’il serait ingrat, pour ne pas dire puéril, d’ajouter : « Mais j’aurais bien voulu qu’il me parle. Ou même qu’il me regarde. »
À cette pensée, la cicatrice de son front le brûla si douloureusement qu’il plaqua une main dessus.
– Qu’est-ce qu’il y a ? s’inquiéta Hermione.
– Ma cicatrice, marmonna Harry. Mais ce n’est rien… Ça arrive tout le temps, maintenant…
Personne d’autre n’avait rien remarqué. Ils étaient tous occupés à vider leurs assiettes en se réjouissant que Harry s’en soit sorti de justesse. Fred, George et Ginny continuaient de chanter. Hermione, elle, paraissait un peu anxieuse mais, avant qu’elle ait pu dire quoi que ce soit, Ron lança joyeusement :
– Je parie que Dumbledore va venir ce soir pour faire la fête avec nous.
– Je ne pense pas qu’il pourra, Ron, dit Mrs Weasley en posant devant Harry une énorme assiette de poulet rôti. Il est très occupé en ce moment.
– IL S’EN EST TIRÉ, IL S’EN EST TIRÉ, IL S’EN EST TIRÉ…
– VOUS ALLEZ VOUS TAIRE, OUI ? rugit Mrs Weasley.