– Pas de problème, Molly.
L’œil bleu électrique de Maugrey pivota vers le plafond de la cuisine et regarda au travers.
– Le salon…, grogna-t-il, sa pupille contractée. Le bureau qui se trouve dans le coin ? Ouais, je le vois… C’est un Épouvantard… Tu veux que je monte m’en occuper, Molly ?
– Non, non, je ferai ça plus tard, répondit Mrs Weasley avec un grand sourire. Sers-toi donc un verre. On a improvisé une petite fête… – elle montra la banderole rouge. Le quatrième préfet de la famille ! dit-elle d’un ton débordant d’affection en ébouriffant les cheveux de Ron.
– Préfet, hein ? grogna Maugrey.
Son œil normal se posa sur Ron, l’œil magique roulant dans son orbite pour regarder sur le côté de sa tête. Harry eut l’impression désagréable que c’était lui qu’il observait et il s’éloigna pour aller retrouver Sirius et Lupin.
– Eh bien, félicitations, dit Maugrey, son œil normal fixant toujours Ron. Ceux qui incarnent l’autorité s’attirent toujours des ennuis, mais j’imagine que Dumbledore te croit capable de résister aux principaux maléfices, sinon il ne t’aurait pas choisi…
Ron parut surpris par cette façon de voir les choses mais l’arrivée de son père et de son frère aîné lui épargna la peine de répondre. Mrs Weasley était de si bonne humeur qu’elle ne protesta même pas en voyant qu’ils avaient amené Mondingus. Il portait un long pardessus qui formait d’étranges protubérances à des endroits inattendus et refusa de l’enlever lorsque Mrs Weasley lui proposa de l’accrocher à côté de la cape de Maugrey.
– Je crois que le moment est venu de porter un toast, dit Mr Weasley lorsque chacun eut un verre en main.
Il leva sa coupe.
– À Ron et à Hermione, les nouveaux préfets de Gryffondor !
Tout le monde but à leur santé avant de les applaudir. Ron et Hermione avaient le visage radieux. Les invités s’approchèrent ensuite de la table pour se servir à manger.
– Je n’ai jamais été préfète, dit joyeusement Tonks, derrière Harry.
Ce soir-là, elle avait des cheveux rouge tomate qui lui tombaient jusqu’à la taille. On aurait dit la sœur aînée de Ginny.
– Le directeur de ma maison disait que je manquais de certaines qualités indispensables.
– Par exemple ? demanda Ginny en prenant une pomme de terre au four.
– Par exemple, la capacité de me conduire convenablement, répondit Tonks.
Ginny éclata de rire. Hermione ne savait pas très bien s’il convenait de sourire ou pas. Choisissant une troisième voie, elle but une longue gorgée de Bièraubeurre qu’elle avala de travers.
– Et Sirius ? demanda Ginny en donnant à Hermione des tapes dans le dos.
Sirius, qui était juste à côté de Harry, éclata de son rire habituel, semblable à un aboiement de chien.
– Personne n’aurait songé à me nommer préfet, je passais trop de temps en retenue avec James. C’était Lupin, le bon élève, c’est lui qui a eu l’insigne.
– Dumbledore espérait peut-être que je parviendrais à exercer un certain contrôle sur mes meilleurs amis, dit Lupin. Est-il besoin de préciser que j’ai lamentablement échoué ?
Harry se sentit soudain d’humeur plus légère. Son père non plus n’avait pas été préfet. Tout à coup, la fête lui parut plus agréable. Il remplit largement son assiette et redoubla d’affection pour tout le monde.
Ron chantait les louanges de son nouveau balai à quiconque voulait l’entendre.
– … de zéro à cent kilomètres heure en moins de dix secondes, pas mal, non ? Quand on pense que dans le même temps, le Comète 260 ne va que jusqu’à quatre-vingt-dix et encore, par vent arrière, d’après Balai-Magazine.
Avec le plus grand sérieux, Hermione exposait à Lupin son point de vue sur les droits fondamentaux des elfes de maison.
– Vous comprenez, c’est le même genre d’absurdité que la ségrégation à l’égard des loups-garous. Tout cela vient de cette détestable manie qu’ont les sorciers de croire qu’ils sont supérieurs à toutes les autres créatures…
Bill subissait les habituels reproches de sa mère au sujet de ses cheveux :
– On se demande jusqu’où ils vont pousser, disait Mrs Weasley, pourtant, tu es si beau garçon, ce serait tellement mieux si tu les faisais couper, tu n’es pas d’accord, Harry ?
– Oh, je ne sais pas, répondit Harry, un peu inquiet qu’on lui demande son opinion.
Il jugea préférable de s’éloigner en direction de Fred et de George qui discutaient dans un coin avec Mondingus.
Mondingus s’interrompit en le voyant, mais Fred lui adressa un clin d’œil et lui fit signe d’approcher.
– Pas de problème, dit-il à Mondingus, on peut faire confiance à Harry, c’est lui qui nous finance.
– Regarde ce que Ding nous a trouvé, dit George en montrant au creux de sa main quelque chose qui ressemblait à de petites graines noires et desséchées.
Bien que parfaitement immobiles, elles produisaient un faible crépitement.
– Ce sont des graines de Tentacula vénéneuse, dit George. On en a besoin pour nos boîtes à Flemme mais elles appartiennent à la classe C des substances interdites à la vente et nous avons donc eu un peu de mal à nous en procurer.
– Alors, c’est d’accord, Ding, dix Gallions pour le tout ? dit Fred.
– ‘Vec tout c’que j’me suis donné comme mal pour les avoir ? répliqua Mondingus en écarquillant encore un peu plus ses yeux cernés, injectés de sang. Désolé, les gars, mais ce sera vingt, pas une Noise de moins.
– Ding adore la plaisanterie, dit Fred à Harry.
– Oui, la meilleure qu’il nous ait racontée jusqu’à maintenant, c’était six Mornilles pour un sac de piquants de Noueux, dit George.
– Faites attention, les prévint Harry à voix basse.
– Quoi ? dit Fred. Maman est occupée à roucouler sur son petit préfet chéri, on ne craint rien.
– Mais Maugrey vous surveille peut-être, fit remarquer Harry.
Mondingus jeta un regard inquiet par-dessus son épaule.
– T’as raison, grogna-t-il. C’est bon, les gars, va pour dix, mais dépêchez-vous de m’en débarrasser.
– Merci, Harry ! dit Fred d’un air réjoui lorsque Mondingus eut vidé ses poches dans les mains tendues des jumeaux, avant de s’éclipser pour aller chercher quelque chose à manger. On va se dépêcher de les emporter là-haut…
Harry se sentit un peu mal à l’aise en les regardant s’éloigner. Mr et Mrs Weasley voudraient sans doute savoir où Fred et George avaient trouvé les fonds, quand ils finiraient par s’apercevoir qu’ils avaient réussi à monter leur commerce de farces et attrapes. Donner aux jumeaux l’argent du Tournoi des Trois Sorciers lui avait semblé tout naturel à l’époque. Mais si cela entraînait une nouvelle querelle familiale semblable à celle qui avait abouti à l’éloignement de Percy ? Mrs Weasley continuerait-elle à le considérer comme son fils si elle découvrait qu’il avait fourni à Fred et à George les moyens d’entreprendre une carrière qu’elle désapprouvait ?
Harry n’avait pas bougé de l’endroit où l’avaient laissé les jumeaux, sans autre compagnie que ce sentiment de culpabilité qui lui pesait au creux de l’estomac, lorsqu’il entendit soudain prononcer son nom. La voix profonde de Kingsley Shacklebolt parvenait à dominer la rumeur des conversations.
– … pourquoi Dumbledore n’a pas nommé Potter préfet ? disait Kingsley.
– Il doit avoir ses raisons, répondit Lupin.