– Mais ça aurait montré qu’il avait confiance en lui. Moi, c’est ce que j’aurais fait, insista Kingsley. Surtout depuis que La Gazette du sorcier s’attaque régulièrement à lui.
Harry ne tourna pas la tête. Il ne voulait pas que Kingsley ou Lupin s’aperçoivent qu’il les avait entendus. Bien qu’il n’eût plus du tout faim, il imita Mondingus et s’approcha de la table. Le plaisir qu’il avait éprouvé au début de la fête s’était évanoui aussi vite qu’il était apparu. Il n’avait plus qu’une envie : monter se coucher.
Maugrey Fol Œil renifla une cuisse de poulet avec ce qui lui restait de nez. Apparemment, il n’avait détecté aucune trace de poison car il se mit à déchirer la chair à belles dents.
– Le manche est en chêne d’Espagne avec un vernis antimaléfices et un dispositif intégré de contrôle des vibrations, expliquait Ron à Tonks.
Mrs Weasley bâilla longuement.
– Je crois que je vais m’occuper de cet Épouvantard avant d’aller au lit… Arthur, je ne veux pas qu’ils se couchent trop tard, d’accord ? Bonne nuit, Harry, mon chéri.
Et elle quitta la cuisine. Harry posa son assiette en se demandant s’il lui serait possible de l’imiter sans attirer l’attention.
– Ça va, Potter ? grogna alors Maugrey.
– Oui, oui, très bien, mentit Harry.
Maugrey but une gorgée au goulot de sa flasque, son œil bleu électrique regardant Harry en biais.
– Viens là, dit-il, j’ai quelque chose qui pourrait t’intéresser.
Il tira d’une poche intérieure de sa robe une vieille photo tout abîmée.
– L’Ordre du Phénix, tel qu’il était à l’origine, gronda Maugrey. Trouvé ça hier soir en cherchant ma cape d’invisibilité de secours, puisque Podmore n’a pas eu l’amabilité de me rendre celle à laquelle je tiens le plus… J’ai pensé qu’il y en aurait peut-être qui aimeraient y jeter un coup d’œil.
Harry prit la photo. Un petit groupe de gens le regardait, certains lui adressant des signes de la main, d’autres levant leurs verres.
– Ça, c’est moi, dit inutilement Maugrey en se montrant lui-même.
Le Maugrey de la photo était parfaitement reconnaissable, bien qu’il eût les cheveux moins gris et un nez intact.
– À côté de moi, c’est Dumbledore, de l’autre côté, Dedalus Diggle… Ça, c’est Marlene McKinnon, elle s’est fait tuer deux semaines après que cette photo a été prise, ils ont eu la famille tout entière. Ça, c’est Frank et Alice Londubat…
L’estomac de Harry, qui n’était déjà pas très détendu, se crispa un peu plus lorsqu’il vit Alice Londubat. Il connaissait très bien son visage rond et sympathique, même s’il ne l’avait jamais rencontrée : elle était le portrait craché de son fils Neville.
– Pauvres diables, grogna Maugrey. Il vaut encore mieux mourir que de subir ce qu’on leur a fait… Ça, c’est Emmeline Vance, tu l’as déjà rencontrée, et voilà Lupin, bien sûr… Benjy Fenwick, lui aussi, y a eu droit, on l’a retrouvé en petits morceaux… Poussez-vous un peu, là, ajouta-t-il en tapotant la photo.
Les personnages se glissèrent alors sur le côté pour que ceux qu’ils cachaient partiellement puissent venir au premier plan.
– Ça, c’est Edgar Bones… le frère d’Amelia Bones. Lui aussi, ils l’ont eu avec sa famille, c’était un grand sorcier… Sturgis Podmore, oh, là, là, c’est fou ce qu’il paraît jeune… Caradoc Dearborn, il a disparu six mois après la photo, on n’a jamais retrouvé son corps… Hagrid, bien sûr, toujours le même… Elphias Doge, tu l’as vu ici, j’avais oublié qu’il portait ce stupide chapeau à l’époque… Gideon Prewett, les Mangemorts ont dû se mettre à cinq pour les tuer lui et son frère Fabian, ils se sont battus en héros… Allez, poussez-vous…
Les personnages se tassèrent un peu pour que ceux qui se trouvaient au tout dernier rang puissent apparaître à leur tour.
– Voici Abelforth, le frère de Dumbledore, c’est la seule fois où je l’ai rencontré, drôle de type… Dorcas Meadowes, Voldemort l’a tuée de sa propre main… Sirius quand il avait encore les cheveux courts… et… voilà qui devrait t’intéresser !
Harry sentit son cœur chavirer. Son père et sa mère le regardaient en souriant, assis de part et d’autre d’un petit homme aux yeux larmoyants que Harry reconnut aussitôt : c’était Queudver, celui qui avait révélé à Voldemort la cachette de ses parents, contribuant ainsi à leur assassinat.
– Hein ? dit Maugrey.
Harry leva les yeux vers son visage ravagé de cicatrices. Bien entendu, Maugrey était convaincu d’avoir fait un grand plaisir à Harry.
– Oui, très bien, dit Harry, s’efforçant à nouveau de sourire. Heu… excusez-moi, mais je viens de me souvenir que j’ai oublié de mettre dans ma valise…
Il n’eut pas à se donner la peine d’imaginer quel objet il avait pu oublier. Sirius venait en effet de dire : « Qu’est-ce que tu as là, Maugrey ? » et Fol Œil s’était aussitôt tourné vers lui.
Harry traversa rapidement la cuisine, se glissa par la porte et monta l’escalier avant que quiconque ait eu le temps de le rappeler.
Il ne savait pas pourquoi il avait éprouvé un tel choc. Il avait déjà vu d’autres photos de ses parents auparavant et il avait connu Queudver… mais les voir surgir soudain devant lui, au moment où il s’y attendait le moins… Personne n’aimerait ça, pensa-t-il avec colère…
Et puis, tous ces visages heureux autour d’eux… Benjy Fenwick, qu’on avait retrouvé en morceaux, et Gideon Prewett, qui était mort en héros, et les Londubat, devenus fous à force de torture… tous agitant joyeusement la main, sans savoir qu’ils étaient condamnés… Maugrey trouvait peut-être ça intéressant… Pour Harry, il y avait plutôt de quoi être bouleversé…
Content d’être à nouveau seul, il monta l’escalier du hall sur la pointe des pieds en passant devant les têtes d’elfes empaillées mais, lorsqu’il approcha du premier étage, il entendit des sanglots qui venaient du salon.
– Il y a quelqu’un ? demanda-t-il.
Personne ne répondit, mais il entendait toujours pleurer. Il monta alors les dernières marches quatre à quatre, traversa le palier et ouvrit la porte du salon.
Quelqu’un était prostré contre le mur sombre, une baguette magique à la main, les épaules secouées de sanglots. Étendu sur le vieux tapis poussiéreux, éclairé par un rayon de lune, il y avait un corps. Un corps mort, de toute évidence. Celui de Ron.
Harry sentit ses poumons se vider. Il eut l’impression de tomber à travers le plancher dans une chute vertigineuse. Un froid glacial se répandit dans sa tête. Ron mort, non, c’était impossible…
Mais oui, bien sûr que c’était impossible… Ron se trouvait en bas, dans la cuisine.
– Mrs Weasley ? appela Harry d’une voix rauque.
– R-r-riddikulus ! sanglota-t-elle en pointant sa baguette tremblante sur le corps de Ron.
Crac !
Le cadavre de Ron se transforma en celui de Bill, les bras en croix, les yeux grands ouverts, le regard vide. Mrs Weasley se mit à pleurer de plus belle.
– R-riddikulus ! répéta-t-elle.
Crac !
Le corps de Mr Weasley remplaça celui de Bill, les lunettes de travers, un filet de sang coulant sur son visage.
– Non ! se lamenta Mrs Weasley. Non… Riddikulus ! Riddikulus ! RIDDIKULUS !
Crac ! Les jumeaux morts. Crac ! Percy mort. Crac ! Harry mort…
– Mrs Weasley, sortez vite d’ici ! s’écria Harry en regardant son propre cadavre. Quelqu’un d’autre va s’occuper de…