Lorsqu’il eut achevé sa lecture, Harry contempla la page d’un air incrédule. Il s’agissait peut-être d’une plaisanterie, pensa-t-il, peut-être était-ce un magazine spécialisé dans le canular. Il revint quelques pages en arrière et trouva l’article consacré à Fudge.
Cornelius Fudge, le ministre de la Magie, a démenti avoir eu le projet de prendre la direction de Gringotts, la banque des sorciers, lorsqu’il a été élu à son poste, il y a maintenant cinq ans. Fudge a toujours répété qu’il souhaitait simplement « coopérer pacifiquement » avec les gardiens de notre or.
MAIS EST-CE BIEN VRAI ?
Des sources proches du ministre ont récemment révélé que la plus chère ambition de Fudge serait de s’assurer le contrôle des réserves d’or des gobelins et qu’il n’hésiterait pas pour cela à employer la force si nécessaire.
« D’ailleurs, ce ne serait pas la première fois, déclare un membre du ministère. Les amis de Cornelius Fudge l’ont surnommé l’Éventreur de gobelins. Si vous entendiez ce qu’il dit lorsqu’il se croit à l’abri des oreilles indiscrètes ! Il ne cesse de parler des gobelins qu’il a tués de toutes les manières possibles : il les a noyés, jetés du haut d’un immeuble, empoisonnés, il en a même fait du pâté en croûte… »
Harry n’alla pas plus loin. Fudge avait sans doute beaucoup de défauts mais il n’arrivait pas à l’imaginer donnant l’ordre de faire un pâté de gobelin. Il feuilleta le reste du magazine et découvrit divers articles : une accusation selon laquelle les Tornades de Tutshill étaient en train de gagner le championnat de Quidditch en combinant chantage, sabotage de balais et actes de barbarie. Une interview d’un sorcier qui prétendait avoir volé jusqu’à la lune sur un Brossdur 6 et en avoir rapporté un sac de grenouilles lunaires pour le prouver. Et enfin une étude sur les anciennes runes qui expliquait au moins pourquoi Luna tenait Le Chicaneur à l’envers. D’après le magazine, si on lisait les runes tête en bas, on pouvait y déchiffrer une formule magique qui permettait de transformer en kumquats les oreilles de ses ennemis. En fait, comparée au reste des articles, la suggestion selon laquelle Sirius serait le chanteur du groupe Croque-Mitaines paraissait tout à fait raisonnable.
– Il y a des trucs bien, là-dedans ? demanda Ron lorsque Harry referma le magazine.
– Bien sûr que non, répliqua Hermione d’un ton cinglant avant que Harry ait eu le temps de répondre. Le Chicaneur, c’est une vraie poubelle, tout le monde le sait.
– Excuse-moi, dit Luna d’une voix qui avait soudain perdu son ton rêveur, mais mon père en est le directeur.
– Ah, je… heu…, balbutia Hermione, gênée. En fait, il y a des choses intéressantes… je veux dire que c’est…
– Je vais le reprendre, merci, dit froidement Luna.
Elle se pencha et arracha le magazine des mains de Harry. Elle chercha la page 57 et le remit à l’envers en disparaissant derrière. Au même moment, la porte du compartiment s’ouvrit pour la troisième fois.
Harry leva la tête. Il s’y était attendu, mais la vue d’un Drago Malefoy ricanant, entouré de ses deux acolytes, Crabbe et Goyle, n’en fut pas plus réjouissante pour autant.
– Qu’est-ce que tu veux ? lança Harry d’un ton agressif avant que Malefoy ait pu ouvrir la bouche.
– Poli, Potter, sinon je serai obligé de te donner une retenue, dit Malefoy de sa voix traînante.
Il avait les mêmes cheveux blonds et lisses, le même menton pointu que son père.
– Tu vois, contrairement à toi, j’ai été nommé préfet, ce qui signifie que, contrairement à toi, j’ai le pouvoir de distribuer des punitions.
– C’est ça, répliqua Harry, mais toi, contrairement à moi, tu es un crétin alors sors d’ici et fiche-nous la paix.
Ron, Hermione, Ginny et Neville éclatèrent de rire. Malefoy pinça les lèvres.
– Dis-moi, Potter, quel effet ça fait de se retrouver deuxième derrière Weasley ? demanda-t-il.
– Ferme-la, Malefoy, répondit Hermione d’un ton sec.
– Tiens, on dirait que j’ai touché un point sensible, commenta Malefoy avec un sourire narquois. En tout cas, fais attention à toi, Potter, parce que je vais te suivre à la trace, comme un chien, et si jamais tu fais un pas de travers…
– Fiche le camp ! ordonna Hermione en se levant.
Toujours ricanant, Malefoy lança à Harry un dernier regard venimeux et s’en alla, suivi de Crabbe et de Goyle. Hermione claqua la porte du compartiment derrière eux et se tourna vers Harry. Il sut aussitôt que, comme lui, elle avait noté ce que Malefoy avait dit et qu’elle en était tout aussi alarmée.
– Envoie un autre Chocogrenouille, dit Ron qui, à l’évidence, n’avait rien remarqué.
Harry ne pouvait parler librement devant Neville et Luna. Il échangea à nouveau un regard inquiet avec Hermione puis contempla le paysage qui défilait par la fenêtre.
Il avait trouvé amusant que Sirius l’accompagne à la gare mais, soudain, cette escapade lui paraissait imprudente et même carrément dangereuse… Hermione avait eu raison… Sirius n’aurait pas dû venir. Si Mr Malefoy avait remarqué le chien noir et l’avait signalé à Drago ? S’il en avait déduit que les Weasley, Lupin, Tonks et Maugrey connaissaient la cachette de Sirius ? Ou alors fallait-il voir une pure coïncidence dans le fait que Malefoy ait prononcé le mot « chien » ?
Le temps demeurait incertain tandis qu’ils poursuivaient leur progression vers le nord. La pluie éclaboussait les vitres sans grande conviction puis le soleil faisait une timide apparition avant d’être une nouvelle fois masqué par les nuages. Lorsque le soir tomba et que les lumières s’allumèrent dans les wagons, Luna roula Le Chicaneur, le rangea soigneusement dans son sac et se mit à observer les autres à tour de rôle.
Harry avait posé le front contre la fenêtre, essayant de distinguer la silhouette lointaine de Poudlard mais c’était une nuit sans lune et la vitre balayée par la pluie était trop sale.
– On ferait bien de se changer, dit bientôt Hermione.
Hermione et Ron épinglèrent soigneusement sur leur poitrine leur insigne de préfet et Harry vit Ron regarder son reflet dans la vitre obscurcie.
Enfin, le train commença à ralentir et ils entendirent le tumulte habituel des élèves qui se précipitaient pour rassembler leurs bagages et leurs animaux, prêts à descendre. Comme Ron et Hermione étaient censés superviser les opérations, ils sortirent du compartiment, confiant à Harry et aux autres le soin de s’occuper de Pattenrond et de Coquecigrue.
– Je peux porter ce hibou si tu veux, proposa Luna à Harry.
Elle tendit le bras pour prendre la cage de Coquecigrue pendant que Neville glissait précautionneusement Trevor dans une poche intérieure.
– Ah, heu… oui, merci, répondit Harry.
Il lui donna la cage de Coquecigrue et put ainsi assurer un meilleur équilibre à celle d’Hedwige qu’il tenait dans ses bras.
Quand ils sortirent du compartiment, parmi la foule qui avait envahi le couloir, la fraîcheur nocturne leur picota le visage. Ils avancèrent lentement vers la portière la plus proche et Harry sentait déjà l’odeur des pins qui bordaient le chemin du lac. Descendu sur le quai, il regarda autour de lui, tendant l’oreille pour entendre le traditionnel : « Les première année, par ici… Les première année… »