Mais l’appel ne vint pas. À sa place, une voix très différente, une voix de femme, sèche et énergique, lança :
– Les première année en rang par deux, s’il vous plaît ! Toutes les première année, en rang devant moi !
Une lanterne se balança devant Harry et sa lueur éclaira le menton proéminent et la coupe de cheveux austère du professeur Gobe-Planche, la sorcière qui avait provisoirement remplacé Hagrid l’année précédente pour donner les cours de soins aux créatures magiques.
– Où est Hagrid ? demanda-t-il à voix haute.
– Je ne sais pas, répondit Ginny. Mais on ferait bien de bouger, on bloque la portière du wagon.
– Ah, oui…
En avançant vers la sortie de la gare, Harry et Ginny furent séparés par la foule. Bousculé de toutes parts, Harry scrutait l’obscurité pour essayer de distinguer Hagrid. Il était forcément là, Harry y comptait bien – revoir Hagrid était l’une des choses qu’il avait attendues avec le plus d’impatience. Mais il n’y avait aucune trace de lui.
« Il ne peut quand même pas avoir quitté Poudlard », songea Harry, tandis qu’il franchissait avec la foule des élèves la porte étroite qui donnait sur la route. « Peut-être qu’il a un rhume ou quelque chose comme ça… »
Il chercha du regard Ron et Hermione pour leur demander ce qu’ils pensaient de la réapparition du professeur Gobe-Planche, mais ni l’un ni l’autre ne se trouvait à proximité. Il se laissa donc entraîner sur la route obscure, luisante de pluie, devant la gare de Pré-au-Lard.
Sur la chaussée s’alignaient la centaine de diligences sans chevaux, qui emmenaient traditionnellement les élèves jusqu’au château, à l’exception des première année. Harry y jeta un rapide coup d’œil, se tourna pour continuer à chercher Ron et Hermione du regard, puis fit soudain volte-face.
Cette fois, les diligences étaient attelées. Des créatures se tenaient entre leurs brancards. Si Harry avait dû leur donner un nom, sans doute les aurait-il appelées des chevaux mais elles avaient aussi quelque chose de reptilien. On aurait dit qu’elles étaient dépourvues de toute chair. Leur pelage noir collait à leur squelette dont on voyait chaque os se dessiner. Leurs têtes rappelaient celles des dragons et leurs yeux blancs sans pupille avaient un regard fixe et vide. Elles étaient également dotées d’une paire d’ailes à la hauteur du garrot – de grandes ailes noires à la surface lisse comme du cuir, qui auraient pu appartenir à des chauves-souris géantes. Immobiles et silencieuses dans l’obscurité, les créatures paraissaient sinistres, effrayantes. Harry ne comprit pas pourquoi on avait attelé ces horribles chevaux aux diligences alors qu’elles étaient parfaitement capables de se mouvoir toutes seules.
– Où est Coq ? demanda la voix de Ron, juste derrière Harry.
– C’est cette fille, Luna, qui l’a pris, répondit-il en se tournant vers lui, impatient de lui parler de Hagrid. À ton avis, où est…
– … Hagrid ? Je ne sais pas, dit Ron, d’une voix inquiète. J’espère qu’il va bien…
Un peu plus loin, Drago Malefoy, suivi d’une petite bande qui comportait Crabbe, Goyle et Pansy Parkinson, écartait de son chemin des deuxième année à l’air timide pour que ses amis et lui puissent disposer d’une diligence à eux tout seuls. Quelques secondes plus tard, Hermione, tout essoufflée, surgit de la foule.
– Malefoy a été odieux avec un première année. Je te jure que je vais le signaler, ça fait à peine trois minutes qu’il a son insigne et il en profite déjà pour brutaliser les autres encore plus que d’habitude… Où est Pattenrond ?
– C’est Ginny qui l’a, dit Harry. La voilà…
Ginny venait d’émerger de la foule en serrant contre elle un Pattenrond qui ne cessait de se tortiller.
– Merci, dit Hermione qui reprit son chat. Viens, on va essayer de se trouver une diligence avant que tout soit plein…
– Je n’ai pas encore récupéré Coq ! dit Ron, mais Hermione se dirigeait déjà vers la diligence la plus proche.
Harry resta à côté de Ron.
– À ton avis, c’est quoi, ces choses ? lui demanda-t-il en montrant d’un signe de tête les horribles chevaux.
Autour d’eux, les élèves continuaient d’affluer.
– Quelles choses ?
– Ces chevaux…
Luna apparut, la cage de Coquecigrue dans les bras. Comme d’habitude, le minuscule hibou poussait des hululements surexcités.
– Et voilà, dit Luna. Il est très mignon, ton hibou.
– Heu… ouais, il est pas mal, répondit Ron d’un ton bourru. Bon, alors, on y va… Qu’est-ce que tu disais, Harry ?
– Je disais, qu’est-ce que c’est que ces espèces de chevaux ? répéta Harry tandis qu’il se dirigeait en compagnie de Ron et de Luna vers la diligence où Hermione et Ginny avaient déjà pris place.
– Quelles espèces de chevaux ?
– Ceux qui tirent les diligences ! s’impatienta Harry.
Ils n’étaient qu’à trois mètres de celui qui se trouvait le plus près d’eux. La créature les fixait de ses yeux vides et blancs. Mais Ron paraissait perplexe.
– De quoi tu parles ?
– Je parle de… Tiens, regarde !
Harry attrapa Ron par le bras et le fit pivoter pour le mettre face à face avec le cheval ailé. Ron regarda un instant, puis se tourna à nouveau vers Harry.
– Et qu’est-ce qu’il faut que je voie ?
– Le… Là, entre les brancards ! Attelé à la diligence ! Devant ton nez…
Voyant l’air toujours ahuri de Ron, une étrange pensée vint alors à l’esprit de Harry.
– Tu… Tu n’arrives pas à les voir ?
– Voir quoi ?
– Tu ne vois pas les créatures qui tirent les diligences ?
Ron semblait sérieusement inquiet, à présent.
– Tu te sens bien, Harry ?
– Je… Oui…
Harry n’y comprenait plus rien. Le cheval était là, devant lui, bien réel, son pelage luisant dans la faible lumière que diffusaient les fenêtres de la gare, des panaches de vapeur s’élevant de ses naseaux dans l’air frais de la nuit. Pourtant, à moins que Ron se soit moqué de lui – et dans ce cas, la plaisanterie aurait été douteuse –, il ne le voyait pas du tout.
– Bon, on monte ? dit Ron, incertain, en regardant Harry d’un air soucieux.
– Oui, oui, allons-y…
– Ne t’en fais pas, dit une voix rêveuse à côté de Harry, après que Ron eut disparu dans les profondeurs obscures de la diligence. Tu n’es pas en train de devenir fou, moi aussi, je les vois.
– C’est vrai ? s’exclama Harry d’un air éperdu en se tournant vers Luna.
Il distinguait dans ses grands yeux argentés le reflet des chevaux aux ailes de chauves-souris.
– Oh, oui, répondit-elle. Je les ai vus dès le premier jour où je suis venue ici. Ce sont toujours eux qui tirent les diligences. Ne t’inquiète pas, tu es aussi sain d’esprit que moi.
Avec un faible sourire, elle monta à la suite de Ron dans la diligence d’où s’exhalait une odeur de moisi. Sans être rassuré le moins du monde, Harry la suivit.
11. LA NOUVELLE CHANSON DU CHOIXPEAU MAGIQUE
Harry ne voulait pas révéler aux autres que Luna et lui partageaient la même hallucination – si toutefois c’en était une. Il ne parla donc plus des chevaux et s’assit à l’intérieur de la diligence dont il claqua la portière derrière lui. Il ne put s’empêcher cependant de regarder les silhouettes des chevaux qu’il voyait bouger par la fenêtre.